Les amazones s’illustrent au haras du Pin

Les femmes sont à l’honneur au Haras national du Pin jusqu’au 3 novembre! Et pour cause, le Versailles du cheval propose une exposition intitulée “Amazones”. De l’Antiquité à nos jours, des chevauchées à califourchon à la monte “en amazone” et jusqu’à la mixité des sports équestres, la féminisation de l’équitation est étudiée à travers les âges, sous la bannière de quelques figures éternelles, pour mieux en comprendre son évolution…



-

-

© Cagnoli Créations

Au Versailles du cheval, c’est bien la femme qui est reine. Pour son exposition annuelle, le Haras national du Pin rend en effet hommage aux “Amazones”. Celles d’hier, comme celles d’aujourd’hui.

Tout commence dans l’Antiquité grecque, époque où la figure de l’amazone prend vie sous le trait d’un peuple de guerrières à cheval se battant “comme des hommes” à coups de haches, de lances ou de flèches. Ainsi en est-il de Penthésilée, dont la beauté devenue mythique troublera Achille qui vient de la tuer au cours de la guerre de Troie. Cette reine des Amazones constitue l’une des figures sur lesquelles s’est construit le mythe de ces femmes de cheval n’ayant rien à envier aux hommes et qui ne sont pas que légendaires… De fait, des fouilles archéologiques ont d’ailleurs attesté la légende, ces dernières ayant révélé l’existence de sépultures de guerrières scythes datant du Ve siècle avant notre ère, qui chevauchaient à l’époque en pantalon, à cru, les jambes de part et d’autre de leur monture!

D’abord à califourchon, puis “en amazone”, les femmes se déplacent à cheval à travers les âges. Dans les hautes sphères, une distinction s’impose vite dans la manière de monter à cheval pour ces dames: dès le XVe, il n’est plus convenable pour ces dernières de monter comme un homme. Et, au XIXe siècle, la monte “en amazone” devient même une norme dans une guerre des sexes assumée par la gent masculine pour laquelle il ne fallait “pas plus de femmes à califourchon que de femmes députées, notaires, avouées, cochères, etc.”, comme le déclarait encore un certain Molier en 19071. Une guerre des sexes qui puise ses origines dès le Ve siècle avant notre ère, comme l’illustre le poète comique Aristophane dans sa comédie “Lysistrata”: “Car la femme aime beaucoup l’équitation, elle se tient solidement en selle; même au galop, elle ne se laisse pas facilement démonter. Voyez les amazones, que le peintre Micon a représentées combattant à cheval comme des hommes… Allons, allons, il nous faut enfermer dans un carcan le cou de toutes ces mégères.”2



-

-

© Cagnoli Créations

Depuis, les femmes ont acquis leur droit en selle, et le terme “d’amazone” s’est démocratisé, désignant désormais toutes les cavalières de toutes nationalités, quelle que soit leur manière de se tenir à cheval. Ou, pour reprendre les termes de Jean-Louis Gouraud: “Femmes de cheval chez tous les peuples de la Terre, depuis les temps les plus anciens jusqu’à nos jours.”3

Au-delà même du simple terme, la féminisation de l’équitation – galopante à partir de la seconde moitié du XXe siècle – a modifié le rapport au cheval, mais a également joué un rôle non seulement dans la mode, mais également dans l’ensemble de la société. C’est cette évolution à travers les âges, cette “histoire cavalière”, que le Haras national du Pin a souhaité mettre à l’honneur jusqu’au 3 novembre, sous l’impulsion de sa responsable du pôle culture, Muriel Meneux. Passionnée, et immergée depuis de nombreuses années au sein de la filière équine, cette dernière propose ici de se joindre à GRANDPRIX pour un aperçu de cette exposition sous la forme originale d’un abécédaire choisi.

A comme “AMAZONES”: “L’exposition est née en cherchant quel thème serait le plus fédérateur et le plus général en cette année olympique, en voulant valoriser le rôle des femmes dans l’équitation et souligner comment les cavalières ont su conquérir leur liberté. C’est un peu un “#MeToo” avant-gardiste en quelque sorte”, entame la commissaire de l’exposition.

D comme DISCIPLINE: codifiée par la Fédération française d’équitation (FFE) en 2006, la monte en amazone est désormais régie par un règlement et des compétitions officielles, notamment un championnat de France. Cette posture a pour spécificité de monter en maintenant ses deux jambes du même côté du cheval, la seconde jambe étant maintenue par une “fourche” – spécifique aux selles de cette équitation. Le terme d’amazone – pour illustrer le fait de monter en tenant ses deux jambes du même côté – a fait son apparition au siècle des Lumières. Dès lors, en Occident, il était recommandé aux femmes de renoncer à la monte à califourchon, pour des raisons d’hygiène, notamment. Puis, au XIXe siècle, cette distinction a servi ces messieurs dans leur guerre des sexes. Une manière d’empêcher les femmes d’être leurs égales. Quoi qu’il en soit, certaines ont brisé les tabous, montant à califourchon et n’ayant que faire du qu’en dira-t-on.

F comme FEMMES DE CHEVAL: outre les figures de la mythologie, comme Penthésilée ou encore Thalestris, de nombreuses cavalières se sont illustrées à travers les siècles. Citons ainsi les écuyères Caroline Loyo (1818-1882) et Émilie Loisset (1856-1882), ou encore les rebelles Calamity Jane (1856-1903) et Rosa Bonheur (1822-1899), bien décidées à porter culotte et à chevaucher une jambe de chaque côté de la selle! Pour autant, ce sont davantage les femmes en général, que certaines en particulier, que l’exposition a souhaité mettre en avant. Et pour cause! “Le sujet est tellement vaste, et le dernier ouvrage de Jean-Louis Gouraud sur les amazones le prouve, que nous n’avons pas privilégié ce sujet, à part l’évocation de l’impératrice Sissi ou encore de la reine d’Angleterre”, s’enthousiasme Muriel Meneux.

H comme HERMÈS: la maison Hermès a toujours été partie prenante dans l’univers de l’équitation. De fait, elle confie ici au Haras national du Pin quelques-unes des pièces présentées le temps de l’exposition, à l’image de la tenue d’amazone revisitée par Jean-Paul Gaultier lors de sa première collection en 2004 en tant que directeur artistique du prêt-à-porter femmes chez Hermès. “Nous avons obtenu des prêts d’objets, mais aussi d’œuvres du début du XXe siècle mais également d’aujourd’hui, car il existe la collection Émile Hermès et le Conservatoire des créations Hermès. Nous avons pu emprunter des objets qui démontrent comment la monte en amazone a surtout été imposée par les hommes au XIXe siècle pour parvenir à une émancipation au début du siècle suivant, et enfin arriver à une égalité, l’équitation étant la seule discipline olympique mixte. Au-delà de ce point, l’impact des amazones a été si important qu’il continue d’inspirer des créateurs, notamment dans le milieu de la mode. C’est une partie du patrimoine équestre qui se mêle à la création artistique, comme cela l’a été lors de la cérémonie d’ouverture des JO.”

M comme MODE: si les selliers et équipementiers rivalisent aujourd’hui d’innovations pour proposer confort et technicité aux équitants, tout en conservant une touche d’esthétisme, l’équitation a, de tout temps, façonné la mode. Ainsi, les tenues des amazones avaient leurs codes et chacune pouvait les décliner à loisir en choisissant tissus, coloris, formes, etc. Comme le rappelle le catalogue de l’exposition: “Une mode s’instaura pour elles et il était de bon ton de s’en imprégner au printemps et à l’automne.” La fashion week, ou presque, version cavalière! De nos jours, c’est bien la mode urbaine qui s’inspire des vêtements d’équitation. Bottes, bottines, boléros, jupes, pantalons, la discipline continue de distiller ses raffinements par-delà les écuries. “Jusqu’en 1953, toujours symboles d’élégance et de féminité, amazone et cheval furent repris pour de nombreuses publicités allant de la chaussure, au camembert, aux parfums, pour des sodas, des voitures…”, rappelle même le catalogue de l’exposition4.

O comme OEUVRES D’ART: en tout, le visiteur peut découvrir près de soixante-dix objets à travers cette exposition, “de la carte postale aux différentes selles, sans oublier les tenues d’amazones et autres œuvres d’art”. Autant d’objets témoignant de l’évolution de la femme à cheval et de sa représentation en selle. “Plus qu’un objet en particulier, ce qui me plaît dans cette exposition, c’est que nous soyons parvenus à diffuser un discours accessible à tous les publics. Pour y parvenir, nous sommes allés au-delà de l’aspect purement technique de la monte en amazone pour aborder une approche pluridisciplinaire, ce que permet largement le thème du cheval, tant au niveau des arts que de l’histoire, de la sociologie et de l’anthropologie liées au cheval”, se félicite Muriel Meneux.

P comme PANTALON: en France, il faudra attendre 1930 pour que les femmes soient officiellement autorisées à porter le pantalon et à monter à califourchon! S comme SELLES : si les femmes se tenaient d’abord assises de côté sur des planches de bois (appellées “sambues”) maintenues sur le dos des chevaux pour voyager, principalement au pas, l’animal étant tenu et dirigé par un homme à pied, elles montaient bel et bien à califourchon pour chevaucher à proprement parler. Et c’est au XVIe siècle seulement que les selles se sont peu à peu adaptées à cette équitation féminine. Ainsi, la fameuse “fourche”, qui permet de maintenir la jambe qui n’est pas contre le flanc du cheval, fait peu à peu son apparition, devenant plus technique dès le XVIIIe siècle et imposant dès lors le style caractéristique des selles féminines. L’exposition présente ainsi une collection de selles d’amazones de plusieurs périodes historiques, du XVIIIe siècle à l’époque Louis-Philippe, de la “selle à la fermière” au modèle présentant non plus deux, mais trois fourches.

V comme VERSAILLES: surnommé le “Versailles du cheval”5, le Haras national du Pin s’est donc fait le porte-parole des femmes cavalières, en écho aux épreuves des Jeux olympiques de Paris, dont les disciplines équestres se déroulaient dans les jardins de la demeure de Louis XIV. Discipline olympique militaire et masculine au départ, l’équitation s’est ouverte aux civils puis aux femmes à compter de 1952 pour le dressage, 1956 pour le jumping et 1964 en concours complet. À ce jour, l’équitation reste le seul sport olympique mixte. De fait, sur le rectangle de dressage, le parcours de cross ou la carrière d’obstacles de cette 33e Olympiade, l’Allemande Jessica von Bredow-Werndl, la Britannique Laura Collett ou encore l’Américaine Laura Kraut, pour ne citer qu’elles, ont montré toute l’étendue de leur savoir-faire et ont inscrit un peu plus encore leur nom dans cette longue liste d’amazones illustres. Des cavalières “combatives, comme l’ont été les amazones, dans la Grèce antique, et ces femmes qui ont également trouvé leur liberté au cours de l’histoire grâce à l’équitation”.

1 Préface signée Michelle Perrot, “Amazones”, collectif sous la direction de Jean-Louis Gouraud, Actes Sud, 2024. 

2 Muriel Meneux, catalogue de l’exposition “Amazones”, 2024. 

3 “Amazones”, collectif sous la direction de Jean-Louis Gouraud, Actes Sud, 2024. 

4 Rosine Lagier, catalogue de l’exposition “Amazones”, 2024. 

5 Expression prêtée au Haras national du Pin par l’écrivain Jean de La Varende (1887-1959).

-

-

© DR