Karl Cook critique le système de sélection américain et propose des alternatives
Médaillé d’argent par équipes aux Jeux olympiques de Paris cet été sur la formidable Caracole de la Roque, Karl Cook a donc bien obtenu sa sélection pour le championnat majeur de l’année. Toutefois, le Californien de trente-trois ans a quelques réserves concernant le système de sélection, qu’il a partagées sur la toile.
“Parlons du système de sélection américain pour les Jeux olympiques ! J'ai attendu de faire cette vidéo pendant longtemps. Si vous êtes nerveux à propos de ce que je vais dire, ne le soyez pas ! Ça va être chouette, je suis impatient et je pense que nous pouvons tous aller de l'avant ensemble”. Avec cette introduction et ce qui suit, Karl Cook a jeté un pavé dans la mare le 26 septembre dans sa série de vidéos “Walking and Talking”. Habitué à évoquer différents sujets du monde équestre avec beaucoup d’honnêteté, le médaillé d’argent par équipes des Jeux olympiques de Paris 2024, associé à Caracole de la Roque, n’a pas failli à sa réputation en évoquant le processus de sélection des États-Unis pour les grands championnats.
Dans un premier temps, Karl Cook, en couverture du dernier numéro du magazine GRANDPRIX, évoque le processus de sélection pour les JO de Paris. “Fin 2023, les États-Unis ont retenu sur une liste les quatre meilleurs cavaliers du pays en se basant sur le classement mondial (qui hiérarchise les cavaliers uniquement, ndlr) édité par la Fédération équestre internationale (FEI)”, fait savoir le Californien, qui souligne immédiatement que les points engrangés dans ce classement le sont grâce à plusieurs chevaux, et non pas celui destiné au championnat. “Le 5 avril, ils ont ajouté à la liste les trois meilleurs du classement mondial des couples, en dehors des quatre cavaliers déjà présent sur la liste”, poursuit Karl Cook. “En tout, cela a donc donné une liste courte de sept couples, qui a été portée à dix. Les trois autres […] ont été des choix discrétionnaires du chef d'équipe (Robert Ridland, ndlr) et des sélectionneurs”, détaille le trentenaire.“C’est stupide, car lorsque vous êtes sélectionné pour les Jeux olympiques, vous ne pouvez y monter qu’un seul cheval. Pourquoi vos points obtenus avec d’autres chevaux devraient-ils compter ? Cela favorise les gens qui ont beaucoup de montures, de propriétaires, etc. Les points ne devraient être attribués qu'à partir de la liste des couples, ce qui permettrait d’offrir davantage d’équité aux cavaliers ne disposant que d’un seul cheval capable de courir des championnats. Ces personnes méritent leur chance, or, si elles veulent grimper dans le classement mondial des cavaliers, […] elles seront poussées à faire concourir leur meilleur cheval plus souvent. Si vous vous basez uniquement sur la liste des couples, les choses s’équilibrent, car l’attention ne se porte que sur les chevaux les mieux classés et que chaque cheval ne concourt qu’avec un unique cavalier”, argumente Karl Cook. Ce dernier préconise donc de lister les quatre meilleurs couples du pays à la fin de l’année précédant le championnat, puis de rajouter les quatre meilleurs autres couples début avril en se basant sur une période plus courte. “Cela permettrait de lister des couples établis et compétitifs sur le long terme, et d’autres plus en forme dans une période plus restreinte. En effet, si vous avez le vent en poupe à un moment donné, que vous êtes très bon, mais qu’il n’y a aucune chance d’intégrer l’équipe, c’est un problème”, affirme l’élève de longue date du champion français Éric Navet.
“Actuellement, en fonction de vos résultats en Coupes des nations, de vos performances antérieures et de votre expérience, vous pouvez être choisi par le chef d'équipe et les sélectionneurs pour participer aux JO. Pour être sélectionné dans l’équipe olympique, il n’y a aucune règle objective”, expose Karl Cook, qui met en garde, en soulignant qu’il n’est pas en faveur d’un système totalement objectif. “Je sais que certains disent que nous devrions courir un championnat américain comme nous le faisions à une certaine époque, et que les quatre premiers dudit championnat obtiendraient leur sélection pour l’échéance visée”, poursuit Karl Cook. Un système avec une période de sélection avait été mis en place par le passé, permettant à la très jeune Reed Kessler de s’élancer aux JO de Londres, en 2012, après une campagne réussie sur Cylana. Il y avait toutefois montré ses failles en incitant Beezie Madden à y monter Via Volo vd Molendreef, éliminée dès le premier jour de compétition. Pour les USA, médaillés d’or en 2004 et 2008, cette édition est la seule ombre à leur tableau olympique de ces vingt dernières années, puisqu’il s’agit de l’unique fois où le Stars and Stripes est revenu sans médaille.
“La subjectivité a son importance”, souligne Karl Cook. “Quel est son intérêt ? Elle va de pair avec l’objectivité, mais le fondement de la subjectivité est de prendre en compte des éléments extérieurs aux simples résultats obtenus en piste. Pourquoi ? Parce qu’il peut il y avoir des éléments à considérer, tels que l’expérience par exemple”, argumente-t-il.
“Une fois que la liste de candidats potentiels est connue, nous devrions tous savoir quelles mesures objectives le chef d’équipe et les sélectionneurs utilisent. Ce n’est pas le cas. Je le sais parce que nous l’avons demandé. Il nous a été répondu qu’il s’agissait de données confidentielles que nous n’avions pas le droit de connaître”, regrette le Californien, qui estime que cette opacité est une “erreur”. “Nous devrions savoir comment nous sommes objectivement évalués. Cela n’a peut-être pas beaucoup d’importance pour quelqu’un qui est déjà au sommet et qui a pris part à de nombreux championnats, mais si vous essayez de gravir cette montagne, la vue au sommet est différente de celle d’en bas. Pour les nouveaux propriétaires ou les personnes dont la carrière n’est pas encore aussi longue, il est essentiel de savoir comment on nous évalue objectivement. Si vous avez participé à trois ou quatre éditions des JO, c’est moins important”, illustre-t-il.
“Aucun propriétaire ne va soutenir un jeune cavalier américain face à un tel manque de clarté”
Karl Cook poursuit son argumentaire en expliquant que des minimas seraient selon lui les bienvenus. “Je pense qu'au lieu d’avoir des exigences maximales en matière de performance, la meilleure façon d’avancer est d’obtenir des performances minimales, de fixer un plancher. Par exemple, si vous figurez sur la liste courte et que vous souhaitez participer aux Jeux olympiques ou aux Jeux équestres mondiaux, vous devez avoir participé à une Coupe des nations 5* avec le cheval que vous souhaitez monter lors du championnat. Si vous n’avez pas participé à une Coupe des nations avec ce cheval, vous ne devriez pas pouvoir être choisi face à un athlète qui l’a fait, même si vos résultats en Grand Prix sont meilleurs. […] Je sais que cela semble élémentaire, et que certains d’entre vous très connaisseurs pourraient dire que c'est hypocrite de ma part car j’en suis le parfait exemple ; j’ai été sélectionné pour les Jeux panaméricains l’année dernière, sur un cheval avec lequel je n’avais jamais concouru en Coupe des nations. Cela s’est mal passé, il y a beaucoup de raisons à cela, que j’ai déjà évoquées par le passé (sans jamais avoir couru de CSIO ensemble, Karl Cook et Caracole de la Roque avaient été choisis pour les Jeux Panaméricains de Santiago du Chili, où ils avaient écopé de trois scores lourds sur quatre parcours, début novembre 2023, ndlr). Aux États-Unis, nous ne devrions pas sélectionner pour un championnat majeur des personnes qui n'ont pas participé à une Coupe des nations sur le cheval en question”, argumente le cavalier de trente-trois ans. “Le premier objectif d’un championnat est de réaliser un double sans-faute pour l’équipe. Ensuite, il faut montrer que l’on est capable de bien figurer en individuel. Une médaille individuelle compte également, et nous devrions sélectionner des personnes qui peuvent montrer qu’elles ont bien réussi en Coupe des nations et en Grand Prix la même semaine, et pas il y a douze ans, mais récemment, car ce n'est pas parce que je l’ai fait il y a douze ans que je peux y parvenir aujourd’hui”.
“Par ailleurs, si les sélections sont faites en se basant à l’origine sur le classement mondial des couples (et non pas uniquement des cavaliers, ndlr), cela faciliterait l’ascension des jeunes professionnels, qui auraient moins de mal à gravir les échelons. Je ne veux pas que vous pensiez que parce que je veux faciliter l'ascension de la colline, j’essaie de niveler par le bas et de rendre ceci trop facile”, avertit Karl Cook. “Pour moi, il est nécessaire de prouver que l’on est capable de signer de bons parcours, et il ne faut pas que ceux qui sont au sommet puissent se laisser aller et se reposer sur leurs lauriers, tout en étant sélectionnés parce qu’ils sont des cavaliers de renom. Au même titre que les autres, ils doivent montrer qu’ils sont compétitifs. Cela permet de faire cohabiter subjectivité et objectivité. Je sais qu’il est toujours bien de partir avec de l’expérience, je le comprends. Mais à ma connaissance, lors des Jeux, trois remplaçants sont entrés en lice à la dernière minute. Sur deux parcours (des épreuves par équipes, ndlr), l’un d’eux a laissé une barre à terre puis a réussi un sans-faute (le Français Olivier Perreau avec GL Events*Dorai d'Aiguilly, acteurs importants de la médaille de bronze tricolore, ndlr), et les deux autres n’ont pas commis la moindre faute (Karl Cook lui-même avec Caracole de la Roque, ainsi que la Néerlandaise Kim Emmen avec Imagine, ndlr) et ont largement contribué aux classements de leurs équipes. […] Si nous ne tenons compte que de l’expérience [dans le processus de sélection], seuls les cavaliers expérimentées engrangent de l’expérience, et personne d’autre, ce qui crée un cercle vicieux”, exprime Karl Cook.
Selon l’Américain, les États-Unis perdent un nombre significatif de propriétaires compte-tenu du modèle de sélection actuel. “Nous exportons plus de propriétaires que n’importe quel autre pays. Nos processus sont si nébuleux, si difficiles à comprendre, que si vous êtes un cavalier moins expérimenté et que vous essayez de convaincre un propriétaire que vous êtes la bonne personne, celui-ci va manifester son intérêt d’intégrer l’équipe nationale. Le cavalier va alors lui expliquer qu’il a besoin de cinq chevaux de pointe pour grimper dans le classement mondial, puis qu’ils intégreront un processus de sélection purement subjectif, qui privilégie l’expérience. Ce n’est pas clair. Aucun propriétaire ne va soutenir un jeune cavalier américain face à un tel manque de clarté. Nous pourrions conserver les propriétaires s’ils savaient ce qui les attend. Nous donnerions aux cavaliers la possibilité de communiquer avec eux sur la façon dont ce sport fonctionne. Actuellement, le système est gardé secret derrière des portes closes, parce que les mesures objectives sont des informations exclusives auxquelles nous n’avons pas accès. C’est assurément un frein pour la nouvelle génération et je sais que nous voulons faciliter les choses pour les athlètes établis, ce que je comprends. Mais s’ils sont si bons que ça, ils devraient tout de même se mesurer à la jeune génération. Le monopole ne rend pas les gens meilleurs, il les fait régresser”, a aussi affirmé Karl Cook.
Au lendemain de la médaille d’argent des Jeux olympiques de Paris 2024, le médaillé d’argent par équipes n’a donc pas hésité à faire une nouvelle fois entendre sa voix, en exposant clairement son avis. Si le système de sélection prête à la discussion, les USA n’ont pour autant pas manqué de décrocher une cinquième breloque en vingt ans. Reste à savoir si le chef d’équipe Robert Ridland et le staff américain ont pris bonne note des suggestions du Californien, et espérons surtout que sa prise de parole ne lui fermera pas des portes.