“J’aurais tant aimé voir King Edward rééditer l’exploit de Baloubet…”, Rodrigo Pessoa
Il y a quatre jours, Henrik von Eckermann a annoncé mettre un terme à la saison de concours intérieurs de King Edward Ress, son crack, sacré champion olympique par équipes en 2021 à Tokyo, puis champion du monde individuel et collectif en 2022 à Herning. Également vainqueurs de la finale de la Coupe du monde Longines de saut d’obstacles en 2023 et 24, le Suédois et le hongre BWP de quatorze ans par Edward 28 et une mère par Feo de Lauzelle auraient pu remporter ce sommet printanier pour la troisième fois consécutive en avril à Bâle, et ainsi égaler le record établi il y a vingt-cinq ans par Rodrigo Pessoa et l’incomparable Baloubet du Rouet. Respectant pleinement la décision de son confrère scandinave, le Brésilien, médaillé d’or individuel aux Jeux olympiques d’Athènes en 2004 sur l’étalon Selle Français après avoir conquis un titre mondial avec Lianos en 1998 à Rome, regrette toutefois de voir cette perspective s’éloigner.
“J’aurais vraiment aimé, pour la beauté du sport, voir King Edward tenter de rééditer l’exploit accompli Baloubet du Rouet (vainqueur de la finale de la Coupe du monde en 1998, 1999 et 2000 sous la selle de Rodrigo Pessoa, ndlr). Ce qui s’est passé à La Corogne et Genève (le hongre BWP a infligé à Henrik von Eckermann trois refus lors des barrages des Grands Prix Longines de La Corogne et Rolex de Genève, ainsi qu’en seconde manche du Top Ten Rolex IJRC, ndlr) laisse penser qu’un petit quelque chose s’est déréglé au sein de ce couple d’exception. En cela, on peut comprendre la décision d’Henrik de renoncer à la saison indoor avec King Edward Ress. Cependant, je suis surpris qu’il l’ait prise si tôt vis-à-vis de l’échéance de la finale de la Coupe du monde (prévue début avril à Bâle, en Suisse, ndlr). Il doit ressentir le besoin d’effectuer un pas en arrière pour mieux repartir de l’avant.
Dans notre sport, la réussite d’un couple repose sur la confiance entre deux athlètes. Et quand elle vacille de part ou d’autre, cela crée des malentendus, et l’on ne peut plus prendre tous les risques, notamment lors des barrages. Dans pareil cas, on a beau être numéro un mondial, il faut parfois redescendre d’une marche, au moins pendant quelque temps. Cela peut arriver à tous les athlètes, y compris les plus solides en apparence. Je sais ce qu’il en est. Avec Baloubet du Rouet, y compris durant nos plus belles années, j’ai moi aussi connu des échecs et des désillusions (le Selle Français avait refusé à deux reprises de sauter le triple de la finale individuelle des JO de Sydney en 2000, puis infligé une autre désobéissance à son cavalier en finale par équipes des Jeux équestres mondiaux de Jerez de la Frontera, en 2002, ndlr). Henrik a vécu cela cet été à Versailles. Son élimination en finale individuelle des JO, devant la terre entière, fut une terrible claque pour le favori qu’il était. Cela fait partie du jeu, mais digérer un tel échec demande du temps. Je lui avais d’ailleurs adressé un message de soutien après les Jeux. Étant moi aussi passé par là, je lui ai dit qu’il s’en relèverait, même si ce serait forcément difficile. King Edward a gagné avant, et je suis persuadé qu’il regagnera à son retour. Et je ne suis pas inquiet pour Henrik, qui brille avec tout type de chevaux sur toutes les pistes du monde.
Cependant, en tant que passionné de sport, je ressens forcément de la tristesse. Tous les records sont faits pour être égalés, voire battus, et j’aurais adoré voir ce couple se lancer à l’assaut du nôtre. C’est vraiment un beau défi. Avant Henrik et King, il fallait remonter à quinze ans pour trouver trace d’un duo ayant gagné deux finales consécutives (l’Allemande Meredith Michaels-Beerbaum et Shutterfly, en 2008 et 2009, après s’être déjà imposés en 2005, ndlr). King Edward méritait d’avoir sa chance parce qu’il est de la trempe de ces immenses champions. Amasser plus de 4 millions d’euros de gains dans notre sport (en moins de quatre ans, ndlr), c’est vraiment considérable. Pour autant, Henrik a forcément ses raisons, et il faut les respecter. De la même manière, je rêve de voir un couple réussir le Grand Chelem Rolex et égaler l’exploit accompli par Scott Brash et Hello Sanctos (van het Gravenhof, vainqueur du Grand Prix Rolex du CHI de Genève en 2014, puis des Grands Prix Rolex des CSIO 5* d’Aix-la-Chapelle et Calgary en 2015, ndlr). Dans un cas comme dans l’autre, il nous faudra donc encore attendre, mais c’est aussi ce qui fait la beauté du sport. Quoi qu’il en soit, la finale de Bâle ouvrira un nouveau cycle, et je suis ravi qu’elle se déroule dans un pays où le saut d’obstacles passionne tant de gens, notamment grâce aux performances exceptionnelles et continues de Steve Guerdat et Martin Fuchs.”