“La culture équestre donne du sens, de la cohérence et du respect à notre manière de monter”, Éric Louradour

L’équitation que nous pratiquons de nos jours n’est pas née d’hier. Elle est le fruit d’un long chemin parcouru par des générations d’écuyers qui ont observé, expérimenté, corrigé et transmis leurs savoirs. Connaître cette histoire est essentiel, car elle donne du sens à nos gestes, éclaire nos choix techniques et rappelle que la bonne équitation repose sur le respect profond du cheval. Monter en ignorant cet héritage consisterait à se priver de la compréhension de ce qui fait la justesse et l’efficacité de nos actions.



L’histoire commence véritablement en Italie, au XVI? siècle, lorsque des maîtres comme Grisone ou Pignatelli rédigent les premiers traités organisés. À cette époque, l’équitation est surtout militaire et parfois assez sévère, mais ces écrits posent une base essentielle: celle d’une méthode structurée pour éduquer le cheval. Des cavaliers français se rendent alors en Italie, y puisent les premières règles du dressage réfléchi et rapportent chez eux une vision plus subtile, notamment grâce à La Broue et surtout à Antoine de Pluvinel, qui propose de convaincre plutôt que contraindre et met en place des exercices progressifs fondés sur la souplesse.

Au XVIII? siècle, François Robichon de La Guérinière rassemble et clarifie l’ensemble de ces principes dans un système harmonieux. Grâce à lui, l’équitation devient un art fondé sur la logique, l’équilibre et la simplicité: des notions comme la rectitude ou la position juste prennent une importance capitale, à l’instar de l’épaule en dedans. L’influence de La Guérinière marque toute l’Europe et façonne durablement ce que l’on appelle l’école française. Le XIX? siècle apporte une réflexion encore plus approfondie. Baucher analyse les effets des aides avec une précision nouvelle et pousse très loin la recherche de la légèreté. Le général L’Hotte, héritier de Baucher autant que de l’équitation militaire, synthétise les courants opposés et rappelle que le “calme, en avant et droit” est la base de tout. Beudant, cavalier d’une finesse rare, montre qu’un cheval monté avec tact peut atteindre une souplesse et une disponibilité extraordinaires. Puis, au début du XX? siècle, Decarpentry poursuit cet héritage en mettant en lumière l’importance des assouplissements, de la rectitude et des attitudes justes, offrant une transition essentielle entre l’équitation académique et l’équitation sportive moderne.



À cette même période, un bouleversement s’est produit, concernant spécifiquement le saut d’obstacles. À force d’observer les chevaux en liberté, l’Italien Federico Caprilli a compris que le cavalier devait accompagner le mouvement plutôt que l’entraver. Il a alors créé l’assiette en équilibre, le buste en avant, les mains qui suivent et les étriers raccourcis. Une véritable révolution. Grâce à lui, le saut est devenu plus fluide, plus naturel et infiniment plus respectueux de la biomécanique du cheval. Toute l’équitation moderne associée au saut d’obstacles découle de cette idée simple mais géniale: “Laisser faire le cheval”.

Au fil du XX? siècle, chaque pays a développé sa propre façon de monter. Les Français ont cultivé la légèreté et les Allemands, la stabilité et la rigueur, tandis que les Italiens ont suivi la voie de Caprilli, avec un buste très en avant, et que les Anglais ont entretenu une tradition efficace, issue de la chasse à courre. Pendant ce temps, des maîtres comme Nuno Oliveira, héritier direct de la grande tradition classique, ont rappelé l’importance de la finesse, du tact et de la relation intime entre le cavalier et son cheval. À travers ses écrits et son enseignement, il nous rappelle que la véritable équitation n’est jamais brutale, mais attentive, intelligente et sensible.

À partir des années 1980, les échanges internationaux se sont accélérés. Alors que les Nord-Américains dominaient la Coupe du monde, combinant fluidité, efficacité et simplicité, les Belges et Néerlandais ont révolutionné l’élevage et imposé de nouveaux standards techniques. En parallèle, la biomécanique et la science équine ont confirmé ce que les anciens avaient découvert intuitivement: la bonne équitation est celle qui respecte le mouvement naturel du cheval. Peu à peu, les styles nationaux ses sont influencés, enrichis et rapprochés. Aujourd’hui, l’équitation mondiale est devenue plus harmonieuse et plus homogène, non parce qu’elle a perdu son identité, mais parce qu’elle a choisi de garder le meilleur de chaque tradition. On monte léger grâce aux Français, équilibré grâce à Caprilli, stable grâce aux Allemands, fluide grâce aux Anglo-Saxons, et de plus en plus respectueusement du cheval grâce aux connaissances scientifiques modernes. Ce que l’on considère aujourd’hui comme une “bonne position” ou une “aide juste” résulte d’une immense construction collective.



Comprendre cette histoire, c’est comprendre pourquoi nous cherchons la légèreté et non la force, pourquoi nous travaillons à assouplir avant de demander, pourquoi nous montons en équilibre au-dessus d’un obstacle et pourquoi la science rejoint désormais l’art pour protéger le cheval. C’est aussi reconnaître que rien n’a été inventé par hasard: chaque progrès d’aujourd’hui repose sur des découvertes d’hier.

Dans le fond, apprendre l’équitation, c’est apprendre le cheval. Et apprendre le cheval, c’est connaître ceux qui, avant nous, ont consacré leur vie à mieux le comprendre. La culture équestre n’est donc pas un supplément: elle est une clé qui apporte du sens, de la cohérence et du respect à notre manière de monter. Grâce à elle, nous devenons de vrais cavaliers: attentifs, réfléchis, responsables, et dignes de l’animal qui nous porte.

Sportivement votre, Éric



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