“Je mets l’énergie qu’il me reste au service des chevaux et de mon sport”, Éric Lamaze

Sacré champion olympique en 2008 à Hong Kong avec son prodigieux Hickstead, médaillé de bronze en individuel il y a trois ans à Rio de Janeiro avec Fine Lady 5 et vainqueur des plus belles épreuves du monde, Éric Lamaze est un géant du saut d’obstacles. Parti de rien avant de devenir, non sans embûches, un businessman et un cavalier à succès, le Canadien serait le protagoniste idéal d’un blockbuster, voire d’une épopée grecque. Luttant depuis plus de deux ans contre une grave tumeur au cerveau ayant considérablement réduit son espérance de vie, le quinquagénaire poursuit avec brio ses carrières de pilote et d’entraîneur. Depuis quelques mois, il s’est même relancé avec un appétit féroce dans le commerce de chevaux. Désormais établi à l’entrée des écuries d’Écaussinnes, à une cinquantaine de kilomètres au sud-ouest de Bruxelles, le Québécois défie fièrement la mort, rêvant d’achever son périple sportif par une médaille collective aux Jeux olympiques de Tokyo 2020. Morceaux choisis de cet entretien paru dans le dernier numéro du magazine GRANDPRIX, disponible en kiosque. 



Comment allez-vous et dans quel état d’esprit êtes-vous en ce 27 août 2019 ?
La fin de l’été approche à grands pas. Après le Stephex Masters de Bruxelles puis le Masters de Spruce Meadows à Calgary, je rentrerai aux États-Unis afin de poursuivre les rénovations entamées dans ma propriété. J’irai également au Mexique pour entraîner Federico Fernández et sa compagne Paola Amilibia Puig (le Mexicain et l’Espagnole évoluent tous deux en CSI 5*, ndlr). Je reviendrai en Belgique fin septembre pour disputer le CSI 5* de Waregem, puis je profiterai du mois d’octobre, qui a toujours été synonyme de vacances pour moi. Je vais jouer au golf et faire du bateau ! Je reviendrai en Europe courant novembre pour préparer les CSI 5* indoor de Paris et de Genève, que je prends toujours très au sérieux, avant de passer l’hiver en Floride. Entretemps, j’essaierai si possible de planifier un petit séjour au ski !
 
Comment vous sentez-vous ici, dans la propriété de Christophe Ameeuw ? Considérez-vous ces écuries d’Écaussinnes comme votre deuxième chez-vous ? Je m’y sens très bien ! Ces dernières années, mes équipes et moi passions des semaines à chercher des écuries où poser nos valises pendant notre saison européenne. Déplacer sans cesse tout notre matériel et nos affaires entre les États-Unis et ici commençait à devenir fatigant. De son côté, Christophe, qui est un très bon ami, en avait marre de devoir gérer des locations de quelques mois seulement. Un jour, alors qu’il était en vacances à la maison, je lui ai proposé de louer toute la structure, y compris l’hiver pendant que nous sommes aux États-Unis. Il a trouvé l’idée intéressante, et nous avons trouvé un bon compromis. On ne peut pas être plus heureux qu’ici ! Nous disposons d’une superbe carrière pour nous entraîner, de beaux obstacles, d’installations fonctionnelles. Les chevaux s’y sentent très heureux ! L’environnement est très sain et calme, et je ne suis qu’à trois quarts d’heure de mon appartement situé à Wemmel, en banlieue de Bruxelles. J’adore être ici !
 
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Avez-vous suivi les championnats d’Europe Longines de Rotterdam, fin août ?
Oui, et je les ai trouvés fantastiques ! Les parcours étaient brillamment construits. Chapeau au chef de piste (le Néerlandais Louis Konickx, qui avait déjà officié aux Européens Longines de Göteborg en 2017, ndlr)! Il n’y a eu aucune chute violente ni le moindre crash. C’était gros et dur, mais personne, chevaux ou cavaliers, n’en a souffert. Et les champions ont mérité leurs titres ! 
 
Le mois dernier aux Jeux panaméricains de Lima, le Canada a décroché sa qualification pour les Jeux olympiques de Tokyo, après l’avoir manqué de peu l’an passé aux Jeux équestres mondiaux de Tryon. Qu’avez-vous pensé des performances de vos compatriotes ?
Honnêtement ? Catastrophique. Ils ont fini à presque deux barres du podium (7,12 points très exactement, ndlr)! Vu la faible concurrence, nous n’avons pas de quoi crier victoire en vue des Jeux olympiques de Tokyo… Même si ce n’était pas la meilleure équipe de l’histoire (le quatuor était composé de Lisa Carlsen avec Parette, DSP, Pessoa VDL x Barinello ; Erynn Ballard avec Fellini S, KWPN, Vermont x Rash R ; Nicole Walker avec Falco van Spieveld, BWP, Toulon x Lys de Darmen ; et Mario Deslauriers avec Amsterdam 27, Holst, Catoki x Acord II, ndlr), elle était capable de faire mieux qu’une quatrième place. D’accord, le Canada est qualifié pour les JO, et tant mieux, mais les Panaméricains sont normalement notre terrain de jeu. Le pire, c’est que tous les cavaliers sont rentrés presque heureux de leur prestation… C’est inquiétant ! Je les ai remis à leur place parce qu’ils passaient pour des cons. Pardon, mais c’est la honte. Cela faisait longtemps que nous étions rentrés sans médaille des Panaméricains (en 2011, à Guadalajara, le Canada avait terminé quatrième par équipes, ndlr). En tout cas, j’en ai un paquet chez moi ! Malheureusement, j’ai préféré annuler ma participation parce que je ne me sentais pas à l’aise de partir au Pérou avec mes problèmes de santé et sans mes médecins. C’est désormais du passé et nous devons regarder devant nous. 
 
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Mi-mai, vous avez annoncé publiquement que vous souffriez d’une tumeur au cerveau. Comment allez-vous ? Où en êtes-vous de ce combat ?
Comme je l’ai dit, on m’a effectivement détecté une tumeur au cerveau en 2017. J’ai été suivi par les meilleurs médecins au monde, qui me donnaient peu de chances de survie. J’ai levé le pied sur la compétition petit à petit. Au CHI de Genève, fin 2017, j’étais déjà très malade. Quand Alban Poudret (directeur sportif et âme du concours, mais aussi éditeur du magazine suisse Le Cavalier Romand, ndlr) m’a interviewé en public pendant la finale du Top Ten Rolex, je pouvais à peine parler. Après les JEM de Tryon, j’ai respecté une vraie pause parce que je me le devais. Monter était devenu dangereux, donc j’ai arrêté et suis resté dans mon appartement, en Belgique. Je regardais les concours à la télévision tout en me faisant soigner. J’étais très affaibli, je suis descendu jusqu’à 105 livres (soit 47,62 kg, ndlr)! J’ai vraiment senti la fin se rapprocher. La tumeur diminuait, mais le traitement, qui était indispensable parce que rien n’était opérable, me détruisait. Sans la chimiothérapie, je serais mort. Avec ce traitement, je ne suis pas bien non plus, mais je suis vivant ! Franchement, j’ai vraiment cru mourir à trois ou quatre reprises. Pour autant, malgré la maladie, j’ai décidé de continuer à monter jusqu’à la fin, jusqu’au moment où cela deviendrait dangereux pour mon cheval et moi. Jusqu’à ce que je m’écroule ! Mes docteurs m’avaient prévenu que le traitement était très fort et que j’allais probablement être incapable de remonter si vite, mais je n’en avais rien à faire : je voulais revenir ! (rires)J’ai effectué quelques concours cet été (et même gagné deux Grands Prix CSI 5* à Calgary, ndlr). Je continue de faire ce que je peux. Désormais, la tumeur est éliminée, mais le reste du corps ne va pas très bien… Si j’ai la chance de vivre jusqu’aux JO de Tokyo, j’aurai été très chanceux.


Retrouvez l'entretien complet dans le dernier numéro de GRANDPRIX, disponible en kiosque ou en commande ici