À Rotterdam, Cian O’Connor et Ingmar de Vos se sont livré un véritable combat de boxe verbal…

Jeudi après-midi, quelques heures après la première manche de l’épreuve par équipes des championnats d’Europe Longines de Rotterdam, le Club international des cavaliers de saut d’obstacles (IJRC) a tenu une assemblée générale dans un hôtel de la ville néerlandaise. En présence des plus hauts représentants de la Fédération équestre internationale (FEI), de quelques cavaliers et chefs d’équipe de renom, on a débattu de plusieurs sujets brulants mais aussi du nouveau format des Jeux olympiques. Encore une fois, le ton est monté et Cian O’Connor, représentant des cavaliers à la FEI, n’y est pas allé de main morte…



© IJRC

Il y a un peu moins de trois ans, l'assemblée générale de la Fédération équestre internationale avait voté les nouveaux formats des compétitions de saut d’obstacles – mais aussi de complet et de dressage – des Jeux olympiques. Initié par l’instance suprême, ce changement a notamment pour but d’ouvrir cette compétition, première vitrine médiatique de l’équitation, à de nouvelles nations. Dans moins d’un an, à Tokyo, on étrennera cette nouvelle formule, avec la compétition individuelle avant celle des équipes, des sélections composées de trois couples au lieu de quatre, et la suppression du “drop score“ qui veut traditionnellement que le moins bon résultat individuel ne compte pas dans le score de l'équipe. Durant le processus de réforme, qui a duré près de deux ans, la FEI et ses dirigeants avaient certes écouté mais jamais vraiment entendu les griefs et propositions formulés par de très nombreux cavaliers, chefs d’équipes, propriétaires et grandes fédérations, européennes notamment, si bien que le sujet reste très sensible pour ces derniers, pas encore prêts à pardonner au président Ingmar de Vos et aux élus impliqués ce qu’ils considèrent comme un sabotage.
 
Jeudi après-midi à Rotterdam, lors de l’assemblée générale du Club international des cavaliers de saut d’obstacles (IJRC), le sujet est revenu sur la table tel un boomerang. “Il est dur pour moi de rester assis en silence. MM. De Vos et Ellenbruch (Stephan, juge et président allemand du comité de saut de la FEI, ndlr), il est dur pour nous de vous entendre énoncer des contre-vérités”, a lancé l’Irlandais Cian O’Connor, fervent défenseur des grands championnats et représentant élu l’an passé par ses pairs au sein des instances de la FEI. “Dire que changer nos formats au risque de quitter le programme olympique était la philosophie du Comité international olympique et que devions promouvoir des changements est une chose. Confier cette mission à John Madden (marchand américain et ancien président du comité de saut, ndlr) en était une autre. Dire que les cavaliers et autres parties prenantes de notre sport ont été consultés est complètement faux. Rien ne sert de consulter un groupe si l’on ignore ce qu’il dit. C’est juste de la dictature. Ce que je dis va sûrement déranger dans la mesure où je siège au comité de jumping. Vous dites aussi que vous soutenez les Coupes des nations. Aujourd’hui, le contrat que vous avez signé avec Longines n’est pas consultable par le comité de jumping parce que confidentiel. Mais force est de constater que vous avez affaibli ce produit au point que plus personne ne veut y participer et que les chefs de piste sont obligés de construire des parcours plus faciles. La FEI est en désordre. Vous allez devoir vous réveiller pour le voir. Il y a vingt ou trente ans, les décisions étaient prises par des gens qui connaissaient le sport. Maintenant, nous avons affaire à des administrateurs. Si vous ne réalisez pas qu’il nous faut une profonde réflexion, vous êtes dans l’erreur.”
 
“Nos opinions divergent, j’en suis navré”, lui a répondu Ingmar de Vos. “Croyez-moi, nous faisons tout notre possible pour faire progresser le sport en tenant compte de tous les paramètres. Au sujet des formats olympiques, essayez juste de regarder ce que font d’autres Fédérations avec leurs disciplines, afin de proposer des compétitions plus dynamiques et courtes et/ou avec des équipes plus restreintes.” Et Cian O’Connor de reprendre la parole. “Avec ce nouveau format, vous allez abaisser le niveau des Jeux olympiques. Il y a deux semaines, lors du CSI 1* de Valkenswaard, qualificatif pour les JO pour le groupe G (regroupant l’Asie du Sud-Est et l’Océanie, ndlr), le niveau était terriblement bas… La compétition ne sera pas homogène aux JO, qui sont pourtant censés être le championnat le plus dur de notre sport. Vous prenez des décisions qui n’ont aucun sens”, a-t-il encore déclaré, franchement excédé, concluant un peu plus tard par un terrible: “Vous parlez mais vous ne savez rien!” Même si le Belge et l’Irlandais se sont expliqués vendredi dans les allées du stade de Rotterdam, on imagine mal comment Cian O’Connor pourrait rester en poste… Interrogé à ce sujet par GRANDPRIX hier matin, il n’a pas encore donné suite.
 
Ingmar de Vos a alors tenté de faire baisser la tension. “Il n’est plus l’heure de débattre de ce nouveau format, qui a été validé et qu’on ne pourra pas changer pour Tokyo. Après 2020, on verra s'il est nécessaire d'appliquer des modifications”, a déclaré le Belge, à son poste depuis fin 2014. “Ce changement a été motivé par de multiples indicateurs et un sentiment exprimé très clairement par le CIO que nous devions moderniser notre sport. Essayez de ne pas être négatifs et de laisser la chance à ce nouveau concept. Quoi qu’il en soit, cette décision résulte d’une consultation et de compromis discutés entre toutes les parties.” Cette dernière phrase n’a pas manqué de faire réagir le Suisse Steve Guerdat. “Non, il ne s’agit en aucun cas d’un compromis en ce qui concerne les cavaliers”, a vivement déclaré le numéro un mondial, fidèle à ses convictions. “La FEI n’a jamais tenu compte de ce que les cavaliers ont dit.” Pilier de l’équipe de France et président de l’IJRC depuis un peu plus d’un an et demi, Kevin Staut est intervenu à la fin de la discussion. “Ce que disent Cian et Steve montre à quel point les cavaliers prennent ces sujets à cœur. Malgré tout ce qu’on en dit, les championnats passionnent visiblement encore les athlètes! Vous devez comprendre pourquoi ces cavaliers vous parlent comme ça. Ce ne sont pas des postures ni de l’agressivité. La FEI a fait des choix et il semble difficile d’en discuter.”
 


L’autre sujet brulant… les Coupes des nations !

Ingmar De Vos, Président de la Fédération équestre internationale, est intervenu à de multiples reprises.

Ingmar De Vos, Président de la Fédération équestre internationale, est intervenu à de multiples reprises.

© IJRC

Sujet tout aussi sensible, le circuit des Coupes des nations Longines, en perte d’attractivité depuis quelques années, est aussi arrivé sur la table. On le sait, de nombreux cavaliers et/ou propriétaires lui préférent participer à des circuits prétendument plus lucratifs. “Cette période est compliquée pour les Coupes des nations, mais ce n’est pas qu’une question d’argent”, ont réagi plusieurs cavaliers irlandais. “Désormais, il arrive qu’il y ait quatorze doubles sans-faute dans ces épreuves... La FEI devrait vraiment se pencher sur la question.” Tiffany Foster, porte-parole des cavaliers d’Amérique du Nord, a posé des questions puis émis des propositions, notamment la création de classements nationaux qui prendraient en compte tous les résultats en Coupes des nations. Il se trouve que ces classements existent visiblement, mais qu’ils ne sont jamais publiés par la FEI…
 
Aussi, plusieurs membres des équipes portugaise et autrichienne ont pris la parole pour évoquer la prochaine finale des Coupes des nations, qui se déroulera à Barcelone. En tant que nation hôte de l’événement, l'Espagne est automatiquement invitée à disputer ce CSIO, contrairement aux autres équipes qui ont dû se qualifier. Sans avoir eu besoin de gagner leur ticket pour Barcelone, les Espagnols pourraient donc prétendre à la dernière place collective mise en jeu pour les Jeux olympiques de Tokyo... Différents protagonistes, notamment le Portugal et l’Autriche, qui ont échoué dans leur quête olympique la semaine dernière à Rotterdam, jugent cette règle inéquitable. Comment leur donner tort? La FEI a dit avoir pris connaissance de ce problème et devrait le traiter lors de la prochaine olympiade.


Lutte antidopage et contamination des chevaux

Dernier thème majeur de cette assemblée générale chargées, les affaires de contamination des chevaux dans le cadre de la lutte contre le dopage. Tout le monde garde en mémoire le malheureux cas de Steve Guerdat, suspendu à seulement quelques semaines des championnats d’Europe d’Aix-la-Chapelle en 2015 à la suite d’une contamination alimentaire de son crack Nino des Buissonnets, contrôlé positif lors du CSIO 5* de La Baule, où il y avait en plus remporté le Grand Prix… En effet, dans le cadre de la lutte contre le dopage des athlètes équins, la FEI n’a cessé de durcir ses règles en allongeant la liste des substances contrôlées et interdites, mais aussi et surtout en abaissant encore drastiquement les seuils, si bien qu’il faudrait presque éviter les contacts entre animaux et humains…
 
Le cavalier autrichien Max Kühner, rejoint plus tard par l’Allemand Ludger Beerbaum, a d’ailleurs demandé à ce que la liste complète soit à la disposition des athlètes, et a indiqué qu’elle devrait être mise à jour plus régulièrement. Aine Power, directrice du département légal de la FEI, a déclaré que les sanctions en cas de contrôle positif pouvaient aller d’un simple avertissement à une suspension de deux ans. “Si l’affaire est jugée comme une contamination involontaire, les résultats seront tout de même supprimés ; sinon, il suffirait de dire qu’il s’agit d’une contamination”, a réagi l’employée de la FEI à juste titre. L’instance a tout de même dit travailler sur le sujet afin de parvenir à différencier les affaires de dopage des contaminations involontaires, afin de garantir le respect des cavaliers, jugés premiers responsables d’un quelconque contrôle positif. “Ces situations sont très délicates pour nous, cavaliers”, a avoué Steve Guerdat, évidemment sensible à la question, à la fin de la présentation. “Même si nous savons que nous n’avons rien administré à notre cheval, le simple fait de passer au contrôle antidopage constitue désormais une importante source de stress. Je sais que vous faites (la FEI, ndlr) votre maximum sur ce sujet-là, mais vous devez savoir à quel point être accusé pour quelque chose dont nous ne sommes pas coupables est une épreuve extrêmement dure pour n’importe quel athlète. Tout cela reste dans la tête des gens et dans l’opinion publique, et nous n’avons que très peu de moyens pour nous défendre.”
 
Très discret depuis le début de la réunion, le Suédois Henrik von Eckermann a alors enchaîné. “D’ailleurs, pourquoi ces cas de contrôles positifs sont-ils obligatoirement rendus publics? Ne pourrions-nous pas fonctionner en interne, avec les fédérations par exemple, quitte à publier l’information une fois la procédure judiciaire terminée ?” Les quelques journalistes présents dans la salle n’ont pas manqué de frémir, le droit à l’information étant un autre principe fondamental. Rien n’interdirait toutefois d’attendre l’examen des échantillons B avant de prononcer la suspension automatique du cheval pour deux mois et rendre le cas public.
 
En bref, après une assemblée générale sous très haute tension, l’IJRC et la FEI ne manquent pas de sujets de travail ces prochains mois.
 
Revivez en vidéo cette assemblée générale de l’IJRC