Adieu Yarland Summer Song... ou l'incroyable itinéraire d'une légende

Le concours complet pleure aujourd’hui l’un de ses plus grands champions internationaux, Yarland Summer Song. Acteur d’une histoire incroyable et après avoir parcouru le monde en quête des plus grands titres de la discipline avec Marie-Christine Duroy de Laurière, le surdoué à la robe sombre s’est éteint aujourd’hui à l’âge de trente-trois ans. 



© PSV Morel

C’est une chanson d’été que l’on aurait aimé écouter jusqu’à la fin des temps. Pourtant, Yarland Summer Song a aujourd’hui tiré sa révérence alors qu’il soufflait cette année ses trente-trois printemps. En 2014, GRANDPRIX avait dressé le portrait de cet étalon bai brun à la trajectoire invraisemblable :
 
En 1986, Opposition Buck voit le jour sur le sol britannique à l’élevage Landford, géré par la famille Johnston. Fils de Fleetwater Opposition et Welton Gazelle, il est racheté foal par une voisine qui décide de le renommer Yarlands Summer Song à la suite de son voyage dans un magnifique gîte des Îles Yates baptisé Yarlands. Alors qu’il est âgé de deux ans, Marie-Christine Duroy de Laurière concourt sous les couleurs de la compagnie Britanny Ferries, qui l’encourage à investir dans un cheval anglais. Intéressée, la cavalière française traverse alors la Manche en compagnie du docteur Duroy, et se rend dans une petite écurie pour essayer quelques chevaux. “Parmi les montures qui m’ont été présentées, aucune ne me convenait. Mon ex-beau-père, qui se promenait parmi les boxes, a aperçu un cheval noir, aussi petit par l’âge que par la taille, qui lui a plu. Il m’a tout de suite conseillé de l’acheter. Je lui ai fait confiance, car il m’était impossible d’évaluer la qualité d’un cheval aussi jeune, je n’étais pas encore assez expérimentée. Il était certes bien fait, mais beau ne voulait pas dire bon”, raconte Marie-Christine Duroy de Laurière. Aucun prix n’avait été fixé pour Summer Song. La mère de la jeune fille à qui appartenaient les chevaux avait besoin d’une prothèse de hanche, mais ne pouvait s’offrir une intervention chirurgicale coûtant 40 000 francs (soit environ 6 000 euros). “J’ai obtenu mon futur crack en échange du coût de l’opération, soit pas grand-chose”, s’étonne encore la cavalière installée en Charente.


Un crack surnommé “Bouboule”

Malgré sa petite taille, 1,62m, Yarland Summer Song s’est fait une place parmi les plus grands.

Malgré sa petite taille, 1,62m, Yarland Summer Song s’est fait une place parmi les plus grands.

© PSV Morel

Lorsque Summer Song rejoint ses écuries, la complétiste ne se doute pas encore du potentiel de son nouveau protégé, et encore moins de la carrière qui l’attend. “Peu après son arrivée en France, je lui ai fait sauter quelques croisillons en liberté, et je me suis rendu compte qu’il bougeait bien, qu’il avait un petit quelque chose. Mais bien sûr, je ne pouvais pas encore l’imaginer courir les plus grands cross du monde. Rien ne laissait présager qu’il était de cette trempe-là. Il était vraiment petit […] et gros. D’ailleurs son surnom est Bouboule. En plus, je ne m’étais pas intéressée à ses origines lorsque j’étais allée le chercher en Grande-Bretagne. Ce n’est que lorsqu’il a commencé à gagner tous les concours où je l’emmenais que je me suis penchée sur la question. Je me suis alors rendu compte que sa qualité n’était pas due au hasard”, confie Marie-Christine.
La propriétaire de l’entier envisage d’abord de le faire castrer, mais les événements ne tardent pas à la faire changer d’avis. Sous sa selle, Summer Song se montre compliqué et délicat, mais jamais complètement rétif. Toujours à son écoute, Marie-Christine Duroy de Laurière compose et parvient peu à peu à le mener à sa guise. “Bien qu’entier, Bouboule ne m’a jamais mise en difficulté. Il n’était pas trop physique. Sans vouloir me vanter, je crois que j’ai réussi là où d’autres auraient peut-être échoué. Le travail qu’une femme peut accomplir sur un cheval est différent de celui d’un homme. Il n’avait pas besoin d’être contenu, il fallait seulement l’écouter”.
 
Les chevaux étrangers de moins de cinq ans n’étant pas autorisés à concourir sur le sol français, Summer Song travaille à la maison et progresse très rapidement. “C’était déjà un cheval très intelligent et au grand cœur. Je n’avais jamais vu une telle générosité, une telle envie de bien faire. Cela m’a parfois joué des tours. Les petits parcours ne l’intéressaient pas. C’était même dangereux parce qu’il ne faisait pas attention aux obstacles et risquait de se blesser. Dès que j’ai pu le sortir en concours, j’ai dû l’engager dans des épreuves assez importantes. Comme un enfant surdoué, il avait toujours un an d’avance sur les autres”.En effet, à six ans, il évolue déjà dans des épreuves dites A2 alors que la plupart de ses conscrits se forment encore sur le circuit Jeunes Chevaux. En 1994, le couple déjà solide décroche une première médaille, en bronze, pour ses premiers championnats de France. Le prélude d’une longue carrière à succès. Preuve de sa précocité, Summer Song, est déjà sélectionné pour représenter le drapeau tricolore lors des Jeux équestres mondiaux de La Haye, la même année. Avec son cheval âgé de seulement huit ans, Marie- Christine Duroy de Laurière contribue largement de la médaille d’argent de l’équipe de France, aux côtés de Jean-Lou Bigot sur Twist La Beige*HN et Jean Teulère sur Rodosto. Pourtant, tout ne s’est pas passé comme prévu durant la compétition. Éprouvé par le trajet en camion entre l’endroit où s’est déroulée l’épreuve de dressage et le terrain de cross, Summer Song fait un coup de sang. 
 
En 1995, le désormais fameux couple de complétistes français rafle le titre de champion de France. Loin de se contenter de ce sacre, Summer Song et Marie-Christine Duroy de Laurière partent à nouveau affronter leurs meilleurs concurrents internationaux. Ils terminent à la huitième place du célèbre CCI 4* de Badminton, en Grande-Bretagne, non sans difficulté. Lors du cross, la cavalière française connaît même quelques frayeurs. “Summer Song et moi avons commencé notre carrière alors que les directionnels n’étaient pas encore vraiment démocratisés. La plupart des cavaliers les évitaient. Pour ma part, j’ai toujours eu du mal à tourner avec Bouboule. Sur le parcours, il y avait une combinaison composée d’une banquette irlandaise suivie d’un obstacle vraiment très étroit. La plupart de nos adversaires ont décidé de prendre une autre option pour l’éviter, mais celle-ci nécessitait de tourner très court. Je n’ai pas eu le choix. J’ai continué tout droit vers le directionnel tant redouté. Beaucoup ont considéré mon acte comme gonflé, voire héroïque. Mais en vérité, il n’en était rien. Je l’ai fait parce que je n’ai pas pu faire autrement. En tout cas, c’est à partir de là que Bouboule est devenu la coqueluche du public”, se remémore la cavalière, amusée.
 
Fort d’un second titre national, le duo s’envole pour les Jeux olympiques d’Atlanta aux États-Unis, en 1996. Grâce à lui, ainsi qu’à Jacques Dulcy sur Upont, Rodolphe Scherer sur Urane des Pains et Koris Vieules sur Tandresse de Canta, la France parvient à se classer quatrième par équipes. Marie-Christine et Summer Song ne s’illustrent pas au classement individuel à cause d’une chute sur le cross. “Ce jour-là, j’ai sans doute été victime de mon enthousiasme. Je ne sais pas pourquoi, mais j’étais persuadée de réaliser une bonne performance lors de ces Jeux. Je me disais que les spectateurs américains s’amuseraient de voir Summer Song monter avec moi sur le podium. Je l’ai donc entraîné à faire ça en main. À avoir voulu vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué, j’ai reçu une bonne leçon”, ne s’épargne pas Marie-Christine Duroy de Laurière. En 1998, Summer Song et sa pilote de toujours sont de nouveau sélectionnés pour porter les couleurs de la France aux Jeux équestres mondiaux, cette fois-ci à Rome en Italie. En compagnie de Rodolphe Scherer sur Bambi de Brière, Jean-Lou Bigot sur Twist La Beige*HN et Philippe Mull sur Viens du Frêne ENE*HN, le couple permet à l’équipe de conserver sa médaille d’argent gagnée quatre ans plus tôt. Les deux compères terminent à la onzième place du classement individuel.


Une retraite prématurée et une carrière de reproducteur remarquable

© PSV Morel

Suivant leur petit bonhomme de chemin, Summer Song et sa propriétaire filent vers les championnats d’Europe de 1999, à Luhmühlen en Allemagne, espérant une nouvelle breloque. Malheureusement, rien ne se passe comme prévu. Sur le cross, le petit étalon noir est victime d’une entorse du boulet. Marie-Christine Duroy de Laurière est confrontée à un dilemme. Son cheval est âgé de treize ans et a déjà un beau palmarès. Il pourrait être soigné et continuer la compétition, mais cela risquerait d’atteindre son bien-être. Elle décide alors de le retirer des terrains de concours. “Je ne voulais pas risquer de lui faire courir l’épreuve de trop. C’était vraiment dommage, mais la vie est ainsi faite. Summer Song ne s’est jamais ménagé. Il lui arrivait souvent de couvrir des distances incroyables. Ses articulations en avaient sans aucun doute souffert, d’autant plus qu’à l’époque, les terrains n’étaient pas toujours de très bonne qualité. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, la décision a été assez facile à prendre pour moi. J’ai offert une retraite un peu prématurée à Summer Song, mais sans jamais le regretter. D’ailleurs, qu’est-ce que j’aurais bien pu regretter ? Il m’avait déjà tout donné. Ma carrière à haut niveau n’était pas terminée. J’avais d’autres très bons chevaux dans mes écuries. La relève de Bouboule était assurée. Je n’ai pas eu l’impression de me priver de quoi que ce soit. Certes, je savais qu’il ne m’accompagnerait plus autour du monde, mais peu m’importait puisqu’il allait rester chez moi”, explique sa protectrice.
La complétiste est sûre d’elle, Summer Song est le meilleur cheval qu’elle ait eu dans ses écuries durant sa carrière. Malgré sa petite taille, 1,62m, il s’est fait une place parmi les plus grands. “Comme lui, beaucoup de petits chevaux ont su tirer leur épingle du jeu. Je pense notamment à Jappeloup ou Itot du Château. Après l’avoir vu en piste, les gens étaient très surpris en le croisant aux écuries. Ils s’attendaient plutôt à voir un immense cheval”, se souvient-elle. Sur le rectangle de dressage, Summer Song présentait une bonne locomotion et se montrait relativement souple. “Sans avoir le talent d’un cheval de dressage pur, il savait se défendre. Néanmoins, je pense qu’il aurait peut-être pu obtenir de meilleures notes avec un autre cavalier, comme le Néo-Zélandais Mark Todd”, avoue la cavalière.
 
Sa carrière sportive achevée, Summer Song a débuté celle de reproducteur, elle aussi couronnée de succès. “Une fois que Bouboule a quitté les terrains de concours, j’ai décidé de le consacrer à l’élevage. Auparavant, il n’avait fait la monte qu’occasionnellement, seulement lorsque j’avais des pauses d’au moins un mois. Quand il était encore sportivement actif, j’avais peur que cela modifie son comportement au détriment de ses performances, mais finalement, il est toujours resté le même. Summer Song passait l’automne, l’hiver et le printemps à la maison, où il me servait de cheval de balade, et partait au Haras du Pin en Normandie chaque été”. Le crack SHBGB entre aux Haras en 1997 et est agréé Selle Français, avant que sa cavalière et propriétaire ne mette un terme à sa carrière d’étalon en 2013. Parmi ses meilleurs produits, on peut citer l’étalon Lesbos, né en 1999 et évoluant sous la selle de Nicolas Touzaint avec lequel il a été champion de France des sept ans à Pompadour en 2005 et médaillé de bronze par équipes aux championnats d’Europe de Malmö en 2013. Il a également produit Nemetis de Lalou, vainqueur international et représentant de la France aux Jeux olympiques de Londres en 2012 sous la selle de Lionel Guyon. Champion du monde des chevaux de sept ans en 2017, Alertamalib’Or, le crack d’Astier Nicolas, est lui aussi un produit de Summer Song, comme Sursumcord’Or, champion d’Europe Juniors par équipes à Fontainebleau l’été dernier avec Julie Simonet. 
 
En 2014, Marie-Christine Duroy de Laurière disait : “J’ai conscience que l’état des chevaux de son âge peut se dégrader très vite, mais j’espère qu’il lui restera encore du temps pour profiter des prairies de chez moi. Il le mérite amplement”

Disparu à trente-trois ans, Yarlands Summer Song, un petit cheval noir venu de nulle part, a marqué de son empreinte le monde du concours complet. Charge à ses nombreux produits de faire encore perdurer son nom sur les plus grandes affiches de la discipline.

Ses meilleurs produits
Lesbos (SF, ICC 173)
Leprince des Bois (SF, ICC 160)
Némétis de Lalou (CS, ICC 155)
Alertamalib’Or (AAC, ICC 154)
Noutlaw Gabin (SF, ICC 154)
Métisse de Lalou (SF, ICC 151),
Sursumcord’Or (AACr, ICC 150)
Popof des Bois (SF, ICC 150)
Minx du Mané Roz (SF, ICC 150)
Tom du Cers (SF, ICC 149)
Orphéo des Sablons (SF, ICC 147)
Lytchie de la Gane (SF, ICC 147)
Ult’im (AACr, ICC 146)
Unum de’Or (AAC, ICC 146)
Song du Magay (SF, ICC 146)
Spes Addit’Or (AACr, ICC 146)
Mayland de Brunel (SF, ICC 145)
Midnightsong de Théol (SF, ICC 145)
Kampanule de la Baie (SF, ISO 145)
Porto Ric’Or (CS, ICC 143).