Dans deux ans, le Japon au sommet de l’Olympe?
Si la dernière marche à gravir semble encore haute, et le chemin pavé d’embuches, le Japon est en passe de devenir une grande nation du concours complet. Grâce à l’apport technique de Laurent Bousquet, ancien sélectionneur national de l’équipe de France, et à un ambitieux programme d’achats de chevaux, le pays du Soleil-Levant, quatrième des Jeux équestres mondiaux de Tryon et facile vainqueur des Jeux asiatiques de Djakarta, peut rêver de triompher dans deux ans à domicile, aux Jeux olympiques de Tokyo. Décryptage.
Trois ans plus tard, c’est ce même Laurent Bousquet que le Fédération japonaise recontacte avec un objectif aussi ambitieux qu’excitant: hisser le Soleil-Levant au zénith de la hiérarchie mondiale du complet! “Il s’agissait d’entraîner les cavaliers pour qu’ils soient aussi performants que possible aux Jeux olympiques de Rio. Le délai était court et le Japon, qui n’avait pas qualifié d’équipe, n’y a présenté que deux individuels. Cependant, cela a permis de se connaître et de se comprendre”, rappelle celui qui avait déjà pris en charge les cavaliers de cette nation de 1991 à 2004, avant de conduire l’équipe belge de 2005 à 2010, puis la France de 2010 à 2013 – après le départ et jusqu’au retour de Thierry Touzaint. Au Brésil, le cavalier le plus expérimenté du pays, Yoshiaki Oiwa, quarante-deux ans, se classe vingtième avec The Duke of Cavan, tandis que Just Chocolate, le partenaire de Ryuzo Kitajima, est éliminé lors de la seconde visite vétérinaire après un cross difficile.
Confirmé dans ses fonctions par la Fédération japonaise, l’ancien cavalier international établi à Teloché, à quinze kilomètres au sud du Mans, dans la Sarthe, amplifie son action avec l’ambition de faire monter en puissance l’équipe nationale en vue des Jeux olympiques de Tokyo, qui se tiendront du 24 juillet au 9 août 2020. “Nous avons essayé de structurer les choses. L’idée était de parvenir à construire une équipe compétitive, de renforcer la cavalerie et de faire en sorte que chacun trouve sa place dans ce projet collectif : cavaliers, entraîneurs privés, grooms, le vétérinaire d’équipe et les vétérinaires traitants, le chef d’équipe (Shigeyuki Hosono, ndlr) et la Fédération. Nous nous sommes également fixé des objectifs sportifs pour essayer d’atteindre progressivement le très haut niveau. Les cavaliers sont répartis entre la France, l’Angleterre, l’Allemagne et bien évidemment le Japon. Trois d’entre eux, qui sont encore en phase de progression, sont installés en permanence à la maison: Kenki Sato, Atsushi Negishi et Koki Nakamura. Je les suis évidemment au quotidien. Pour les autres, je suis à la fois coach et manager. Je suis en contact permanent avec eux, ainsi qu’avec leurs entraîneurs, et j’essaie de me déplacer aussi souvent que possible pour les voir, les aider à progresser techniquement et discuter de leurs calendriers et objectifs individuels. Je me rends également deux fois par an au Japon, ce qui permet d’entretenir la motivation des cavaliers restés là-bas. Même si le niveau est moindre qu’en Europe, ils comprennent ainsi que les portes de l’équipe nationale leur restent ouvertes.”
Devant l’Allemagne, l’Australie et la Nouvelle-Zélande !
En septembre à Tryon, les efforts du Français, de la Fédération et des cavaliers japonais ont payé, l’équipe décrochant une quatrième place historique aux Jeux équestres mondiaux, devant des nations comme l’Allemagne, qui défendait son titre acquis en 2014 en Normandie, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, les États-Unis, la Suède et les Pays-Bas, médaillés de bronze en 2014. C’est dire les progrès accomplis! Individuellement, Toshiyuki Tanaka a fini quinzième avec Talma d’Allou, Yoshiaki Oiwa, vingtième avec Calle 44 – que le staff fédéral a fait venir à la dernière minute vu que The Duke of Cavan boitait après sa quarantaine –, Kazuma Tomoto, vingt-troisième sur Tacoma d’Horset, et Ryuzo Kitajima, cinquante-neuvième avec Queen Mary. “Les Japonais nous ont montré une très belle équitation. À vrai dire, c’est d’eux dont nous avions le plus peur à l’hippique. Leurs chevaux sautent bien, ils sont bien coachés et ont énormément progressé. Nous sommes très heureux pour Laurent Bousquet, qui a toujours cru en ce projet depuis le départ. C’est une nation sur laquelle il faudra évidemment compter aux JO de Tokyo dans deux ans, mais il faudra aussi compter sur nous!”, a ainsi déclaré Michel Asseray, directeur technique national adjoint de la Fédération française d’équitation, au terme des JEM.De son côté, Laurent Bousquet met en avant la progression globale de ses couples. “Même si elle a pu surprendre, cette quatrième place aux JEM n’est vraiment pas le fruit du hasard, mais le résultat d’un travail sérieux de long terme. En 2017, comme le Japon n’avait pas de championnats à disputer ni de qualification à décrocher, nous avons essayé d’appuyer sur le champignon pour obtenir des performances individuelles. Et là, je dois dire que les cavaliers ont dépassé mes espérances. Non seulement ils sont devenus plus compétitifs, mais cela leur a aussi permis de gagner en confiance, ce qui est absolument essentiel dans notre discipline. Désormais, les Japonais enregistrent de bons résultats partout. Pour ne parler que de la fin de la saison 2018, Kazuma Tomoto s’est classé cinquième du CCIO 3* de Boekelo avec Brookpark Vikenti, et Kenki Sato a terminé troisième du CCI 3* de Montelibretti avec la jeune Shanaclough Contadora. Sans oublier l’excellent CCI 4* de Pau de Toshiyuki Tanaka, neuvième avec Kelecyn Pirate, et Ryuzo Kitajima, quatorzième sur Just Chocolate, alors que l’un comme l’autre disputaient leur tout premier CCI 4*! Cette quatrième place aux JEM a évidemment fait plaisir à tout le monde. J’aurais adoré repartir avec une médaille, mais j’étais aussi très content que les Français décrochent le bronze.” Désormais, on compte pas moins de huit Japonais classés parmi les cinq cents meilleurs cavaliers de complet de la planète, dont quatre parmi les cent premiers: Toshiyuki Tanaka, Yoshiaki Oiwa, Kazuma Tomoto et Ryuzo Kitajima.
En outre, quelques semaines avant les JEM, le Japon a largement dominé le concours complet des Jeux asiatiques de Djakarta, en Indonésie, grâce notamment à un certain Bart L, double médaillé d’or avec l’incontournable Yoshiaki Oiwa. Sacré champion olympique par équipes en 2016 à Rio avec Mathieu Lemoine, Bart L a été acquis en septembre 2017 par la Fédération japonaise. Dans cette compétition, qui n’est certes qu’un CCI 1*, le couple nippon a réussi à devancer le Chinois Alex Hua Tian, meilleur cavalier asiatique depuis dix ans, associé à PSH Convivial. Le Japon a ainsi largement remporté la compétition par équipes, devant l’Inde et la Thaïlande coachée par Maxime Livio. “Nous avons choisi de construire une équipe avec deux cavaliers établis en Europe et deux autres installés au Japon, afin de leur faire prendre de l’expérience, ce qui a bien fonctionné”, se félicite encore le Sarthois.
Bart L, Vinci de la Vigne et les autres
Jusqu’alors, Bart L restait la plus belle prise du Soleil-Levant sur le modeste marché des chevaux de complet. Désormais, Laurent Bousquet peut aussi compter sur Vinci de la Vigne, septième des JEM avec Astier Nicolas, qui a rejoint le piquet de Kazuma Tomoto, cavalier installé chez la légende britannique William Fox-Pitt. “Il était essentiel d’enrichir notre réservoir de chevaux. Dans notre discipline, même avec la meilleure préparation possible et en prenant toutes les précautions, les blessures des chevaux restent le principal facteur limitant la progression. Nous voulons donc en avoir un maximum sous la main, de façon à pouvoir pallier d’éventuels pépins physiques. Nous nous y sommes attelés dès l’an passé, à nouveau cette année et devrions continuer encore dans les mois qui viennent, en gardant à l’esprit les délais de qualification (en concours complet, pour des raisons de sécurité, les cavaliers doivent suivre un cursus de qualification de niveau en niveau, ce qui n’existe pas en jumping ou en dressage, ndlr).” Outre Bart et Vinci, citons Vinka’s, excellent Anglo-Arabe formé par Thomas Carlile, Vegas de l’Elfe et Ventura de la Chaule, transfuges des écuries de Nicolas Touzaint, ou encore Absinthe du Loir, fidèle partenaire de Fabrice Saintemarie, acquise cette semaine par un cavalier resté sur son archipel natal.En clair, l’éveil du complet japonais profite aussi à la filière française ! “En France, les cavaliers, éleveurs et propriétaires me connaissent bien. Nous entretenons des rapports agréables et parfois amicaux. J’ai toujours eu le souci de mettre en avant le talent des chevaux français ainsi que le savoir-faire de nos éleveurs et cavaliers. Dans la mesure du possible, j’essaie donc vraiment de faire acheter des chevaux français à mes cavaliers, et je suis ravi de pouvoir faire travailler un peu les éleveurs, propriétaires et cavaliers. J’ai conscience que certains achats démunissent un peu l’équipe de France, mais ce n’est pas le but”, assure Laurent Bousquet. “De fait, je ne m’intéresse qu’aux chevaux qui sont réellement à vendre et je ne permettrais pas de tenter des choses en douce avec les autres.”
Dans les deux autres disciplines olympiques, qui nécessitent des investissements d’une tout autre ampleur, le Japon peine encore à rivaliser avec les meilleures nations. Ainsi, malgré les belles performances de Karen Polle, lauréate de son premier Grand Prix CSI 5* en 2017 à Wellington, son équipe de saut d’obstacles n’a terminé que vingtième – sur vingt-cinq – à Tryon après avoir décroché l’argent aux Jeux asiatiques. Et on ne recense que trois Japonais parmi les cinq cents premiers au classement mondial Longines: Karen Polle, Hikari Yoshizawa et Taizo Sugitani. De fait, Eiken Sato, le frère de Kenki, qui avait précipitamment quitté les écuries Stephex en plein été 2014 pour des raisons personnelles, reste le seul à s’être hissé dans le top cinquante. En dressage, c’est nettement mieux, puisqu’on dénombre huit couples parmi les cinq cents premiers du classement mondial. Pour autant, en septembre à Tryon, l’équipe nipponne n’a terminé que quatorzième sur quinze, et aucune de ses paires ne s’est qualifiée pour le Grand Prix Spécial. Et là aussi, la médaille d’or par équipes décrochée à Djakarta, sur des tests de niveau Saint Georges, ne signifie pas grand-chose dans le concert des grandes nations. “La Fédération japonaise mise sur le long terme”, plaide Laurent Bousquet. “Nos réussites en complet sont un beau message pour toutes les nations émergentes. Si l’on se donne les moyens, sans pour autant dépenser autant d’argent que le Qatar ou l’Arabie saoudite l’ont fait en saut d’obstacles, si l’on structure sa politique sportive et si l’on fait confiance à des professionnels sur le long terme, on peut réussir à montrer le bout de son nez à haut niveau.”
Quoi qu’il en soit, c’est donc bien sur ses complétistes que la nation hôte des Jeux olympiques de Tokyo devra compter pour briller en équitation. “C’est clairement l’objectif. Il nous reste un an et demi pour poursuivre nos efforts et essayer de nous présenter à Tokyo aussi bien préparés que possible sur les plans technique, physique et mental. Il nous faut aussi garder les pieds sur terre, parce que nous savons que tout a parfaitement bien fonctionné à Tryon et que ce n’est pas toujours le cas en complet. Si nous avions rencontré une mésaventure lors du cross ou de la seconde visite vétérinaire, notre classement final aurait été totalement différent… En tout cas, ce que nous avons vécu cette année nous donne forcément de l’espoir.”
Rappelons tout de même que le Japon fait partie de la trentaine de nations qui sont déjà parvenues à se hisser sur un podium olympique depuis que l’équitation a véritablement intégré le programme des Jeux, en 1912 à Stockholm. Pour trouver trace de la seule médaille gagnée par l’un de ses cavaliers, il faut remonter aux JO de Los Angeles… en 1932! Associé à Uranus, le lieutenant Takeichi Nishi s’était alors paré d’or en saut d’obstacles. Et quand on s’aperçoit que seuls onze couples avaient pu prendre part à la compétition, et que cinq en étaient venus à bout sans encombre, on se rend compte à quel point les temps ont changé!