L’air de rien, Nartago creuse son sillon

Malgré une production assez réduite, avec en moyenne moins de vingt produits par an, Nartago a engendré plusieurs gagnants à haut niveau et figure parmi les meilleurs pères de jeunes chevaux. Ce Selle Français de dix-neuf ans se distingue aussi par un pedigree ne présentant aucun des courants de sang d’Uriel, Almé et Grand Veneur, les trois étalons ayant le plus imprégné l’élevage tricolore. Un article paru dans le numéro de mars du magazine GRANDPRIX.



Né le 28 avril 2001 à Saint-Clair-sur-l’Elle, à dix kilomètres au nord de Saint-Lô, dans la Manche, Nartago est issu du croisement entre deux très bons perfor­mers internationaux. Son père, le Holstei­ner Carthago (Capitol I), a été l’un des grands étalons révélé par Jos Lansink, par­ticipant sous les couleurs des Pays-Bas aux Jeux olympiques de 1996 à Atlanta et 2000 à Sydney, où il a disputé la finale indivi­duelle, et aux championnats d’Europe de 1999 à Hickstead, où le couple a obtenu une médaille de bronze par équipes avant de finir huitième en individuel. Carthago a laissé une très belle production hexagonale, puisque dix-huit de ses quarante-cinq pro­duits Selle Français ayant évolué en com­pétition, soit 40 %, ont été indicés au-dessus de 140, dont les grands gagnants inter- nationaux Nouma d’Auzay (ISO160), La Vie du Fraigneau (ISO161), Moon Mail (ISO164), Panama Tame (ISO166), Loo­ping d’Elle (ISO172), Old Chap Tame (ISO175) et le grand serviteur de l’équipe de France, Mylord Carthago (ISO173), médaillé d’argent par équipes aux Jeux équestres mondiaux de Lexington puis aux championnats d’Europe de Madrid sous la selle de Pénélope Leprevost.

La mère de Nartago, Sabatina des Prés (ISO163), était une redoutable compéti­trice, brillant notamment avec Roger-Yves Bost. Issue d’une souche vendéenne, elle était très imprégnée de sang. Fille d’Hurlevent (SF, Amour du Bois), lequel a pour grand-père maternel le Pur-sang Red Star II, elle avait une mère et une grand-mère issues de Pur-sang, tandis que sa qua­trième mère provenait du bon Anglo-Arabe Lotus VIII. Dans cette famille maternelle, on retrouve de bons gagnants dans les trois disciplines olympiques comme Boléro de Chine (IDR146, SF, Hurlevent), Ut Ma­jeur III (ISO152, SF, Melkior du Montois), Micmac de Bance (ISO161, SF, Urbain du Monnai), Babette XVII (ISO163, SF, Monti­gny, Ps), Flipper I (ICC170, SF, Ironside, Ps) ou Gentleman E (ICC175, SF, Ironside, Ps).

Nartago a vu le jour à l’élevage de la Cense, à Saint-Clair-sur-l’Elle dans la Manche, pour le compte de Theresa et Emilio Malta da Costa, les propriétaires portugais de Sabatina des Prés. «Nous avions acheté Sabatina à Christian Paillot quand elle était en fin de carrière pour mon fils, Filipe, qui était alors Junior. Hélas, nous n’avions pas eu de chance, car elle avait glissé dans le manège et s’était blessée, si bien qu’elle avait peu concouru avec lui. Elle était déjà un peu usée quand nous l’avions récupérée et Filipe n’a pas pu trop en profiter. Nous avons voué Sabatina à l’élevage à quinze ans. Elle nous a alors donné Ma Jong, une pouliche de Rosire qui s’est accidentée et cassé une rotule. Consacrée à la reproduction, celle-ci a eu une pouliche mort-née de Guépard de Brekka (SF, Papillon Rouge x Quat’Sous) et s’est elle-même éteinte le lendemain. Après Ma Jong, Sabatina a eu Nartago. Ensuite, nous l’avons croisée à Kannan, mais cela n’a pas fonctionné et nous n’avons plus réussi à la faire féconder. Nartago est né chez Jacky Misteli car nous avions nos chevaux chez lui», raconte Emilio Malta da Costa, frère de l’élégant styliste Manuel Malta da Costa, malheureusement disparu il y a près de six ans. Celui-ci fut l’un des plus grands cavaliers portugais de son époque, disputant de nombreux championnats internationaux, dont les Jeux olympiques de Séoul, en 1988 avec le grand étalon Selle Français Jalisco B.


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Ici en 2011 à Comporta avec Filipe Malta da Costa, le fils de ses naisseurs, l’étalon n’a malheureusement pu concourir très longtemps, handicapé par des seimes à répétition. © Sportfot



Une carrière sportive contrariée par une seime

Ici au CSIO 5* de Barcelone, Vodka Star se classe régulièrement à 1,50 m avec l’Espagnol Manuel Fernández Saro.

Ici au CSIO 5* de Barcelone, Vodka Star se classe régulièrement à 1,50 m avec l’Espagnol Manuel Fernández Saro.

© Scoopdyga

Nartago grandit à l’élevage de la Cense, où travaillait Emmanuel Vincent, qui le forme et l’initie à la compétition à quatre ans. «C’était un poulain vraiment sympa avec un très bon caractère, qui ne posait aucun souci. En revanche, il était très tardif, comme beaucoup de produits de Carthago. Il avait une mère exceptionnelle avec une qualité de saut parfaite, un respect de la barre et une technique hors du commun. Je l’avais d’ailleurs montée un peu sur la fin, mais nous l’avions arrêtée car elle était un peu usée. C’était une bombe. Ayant monté les deux, je dois dire que Nartago ne ressemblait pas trop à sa mère. Il était plutôt typé Carthago. Comme j’avais trop de chevaux, nous avions confié Nartago à Régis Vauvrecy pour préparer le championnat des mâles de trois ans Selle Français, et il a été sacré champion Suprême des étalons. Je l’ai récupéré juste après pour préparer sa première saison de concours. Il était plutôt tardif, mais très agréable avec un super équilibre et une bonne locomotion, notamment un excellent galop ; un peu lent, mais facile avec une bonne tête. Il avait un super mental et ne se posait pas de questions», se remémore le Normand, qui a pris la succession de Jacky Misteli, son beau-père, à l’élevage de la Cense.

Après avoir été plutôt ménagé à quatre ans, ne bouclant que huit parcours dont quatre sans-faute, Nartago passe sous la selle de Pénélope Leprevost, alors à l’aube de sa grande carrière internationale. Le gris accomplit deux saisons avec la future championne, comptabilisant dix sans-faute et participant à la finale nationale de Fontainebleau à cinq ans, puis une vingtaine de parcours à six ans, avant de rejoindre le Portugal. Cependant, sa carrière sportive sera tronquée par des seimes récurrentes. «C’était un cheval un peu tardif. À cinq ans, il s’est bien comporté. À six ans, il a effectué une saison correcte, mais il était un peu irrégulier. Ensuite, il est venu au Portugal chez mon frère, Manuel, avec lequel il a bien évolué pendant un an, puis mon fils l’a monté jusqu’en Grands Prix CSI 3*. Hélas, il souffrait régulièrement de seimes, ce qui fut un gros problème pour sa carrière sportive. Il est passé chez Timothée Anciaume, puis nous l’avons définitivement arrêté à onze ans après une nouvelle seime afin de le consacrer uniquement à la monte», explique Emilio Malta da Costa. 

En France, Nartago a débuté la reproduction à quatre ans, mais n’a jamais connu un franc succès. Excepté en 2012, où il a sailli quatre-vingt-dix-huit juments pour soixante et une naissances, ses autres générations ont oscillé entre huit et vingt-neuf produits, presque tous SF. Ses premiers poulains, au nombre de vingt-huit, sont nés en 2006. Dix-neuf ont évolué en compétition avec, dès la première année, un produit labellisé Élite au championnat des quatre ans, Shamira Semilly, troisième sous la selle de Ludovic Leygue. Après une bonne année de six ans avec Walter Lapertot, sanctionnée d’un ISO142, cette grise a été exportée aux États-Unis où elle s’est classée jusqu’à 1,45m avec Lauren Tisbo. Plusieurs autres bons Selle Français sont issus de cette génération, dont Sabine des Ibis (ISO145), classée en Grands Prix CSI 3* avec Nicolas Paillot, ou Sellia du Bessin (ISO152), exportée en Italie, gagnante en Grands Prix CSI 2*, classée en CSI 3* et qui a participé aux championnat d’Europe Jeunes Cavaliers en 2015 avec Francesca Arioldi.


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À ce jour, le meilleur produit de Nartago est Golden Wave OL, alias Ushuaia d’Aurel, classée jusqu’à 1,60 m avec la Britannique Louise Saywell, ici lors du Saut Hermès au Grand Palais en 2018. © Scoopdyga



Une belle proportion de bons gagnants

Ici au Master Pro de Fontainebleau, Typhon de la Cense a réussi une belle carrière avec Cédric Le Goff, brillant jusqu’à 1,50 m.

Ici au Master Pro de Fontainebleau, Typhon de la Cense a réussi une belle carrière avec Cédric Le Goff, brillant jusqu’à 1,50 m.

© PSV Morel

Issue du la génération suivante, Telula Hoy (SF, mère par Quito de Baussy) a remporté le championnat des quatre ans avec Thomas Lévêque, puis a été montée à cinq ans par Julien Champailler avant d’être vendue à Léa Jeanneau qui a évolué avec elle en Juniors et Jeunes Cavaliers jusqu’à 1,35m. Classé Excellent à cinq ans, Typhon de la Cense a accompli toute sa carrière avec Cédric Le Goff. Régulièrement classé en Grands Prix à 1,50m dans le Grand National, le couple a même participé au championnat de France Pro Élite en 2018 à Fontainebleau, obtenant le bon indice de 153. De la génération des «U», où seuls six chevaux ont évolué en compétition, cinq ont été indicés au-dessus de 120, dont Ushuaia d’Aurel, rebaptisée Golden Wave OL quand elle a été exportée en Grande-Bretagne en 2017. Avec Louise Saywell, elle s’illustre régulièrement entre 1,45m et 1,55m et a même concouru à 1,60m, se classant notamment dans l’épreuve du Saut Hermès en 2018 à Paris. De l’année des «V», trois des huit chevaux vus en compétition ont obtenu un indice supérieur à 140, dont Vodka Star (ISO157 en 2019), classé en Grands Prix CSI 3* avec l’Espagnol Manuel Fernández Saro, tout comme Vasco de Gamas avec le Brésilien Felipe Ramos Guinato. 

Cinq des huit chevaux nés en 2010 ayant concouru ont obtenu un indice supérieur à 120, dont Alentejo, né chez Emilio Malta da Costa et classé en Grands Prix CSI 3* avec son fils Filipe avant d’être exporté aux Émirats arabes unis fin 2019. Chez les plus jeunes, Batik d’Encrevier (ISO135, mère par Comte des Tilleuls) a fini douzième du championnat des cinq ans et a été labellisée Excellente sous la selle de Joachim Jacques, avec lequel elle s’est classée en Grands Prix à 1,40m en 2019. Captain Semilly a été le meilleur étalon lors du testage des trois ans, alors que Dgin du Pestel (ICC131, mère par Verdi) a été vice-champion de France des quatre ans en concours complet avec Donatien Schauly. Parmi cette génération, Déesse de Mai (ISO133, mère par Kannan) a été labellisée Excellente à cinq ans avec Fabrice Paris, terminant onzième du championnat, alors que Dollar Nok (ISO136) a fini quinzième du championnat des six ans avec François-Xavier Boudant.

Chez les « E », deux chevaux ont obtenu la mention Excellent à cinq ans : Evora Semilly (ISO130, mère par Apache d’Adriers), septième du championnat avec Alexis Gourdin, et Elton de St Jean (ISO134, mère par Quelmek), douzième avec Franck Costil. Enfin, chez les «F», dernière génération vue sur les terrains de concours, Fendi d’O (ISO122, mère par Narcos II) a bouclé onze sans-faute en autant de parcours sans participer à la finale. Malgré une production assez réduite, Nartago présente un très bon pourcentage de chevaux performants en compétition, plus de 30 % d’entre eux ayant obtenu un indice supérieur ou égal à 120. On attend encore le crack qui le mettra plus franchement en lumière, mais celui-ci vient souvent du nombre, qu’il n’a pas eu. 

Nartago étant plutôt typé Carthago, mieux vaut sûrement lui amener des juments avec un dos tendu et du sang. «C’est un cheval très sport avec de très belles allures, un bon trot et un bon galop qu’il transmet. Il produit des chevaux avec un peu de look, de la locomotion et beaucoup de classe. Il apporte aussi de bons moyens. Il était très souple et avait une très grande amplitude de galop. Je pense qu’il faut le croiser avec des juments qui ont de la frappe», analyse Emilio Malta da Costa. Ayant suivi de près la production de Nartago, Emmanuel Vincent apprécie beaucoup ses filles. «Il y a un peu de tout dans sa production, mais on voit quand même pas mal de bons compétiteurs, particulièrement du côté des femelles. Evora Semilly, celle de Richard Levallois, me semble très, très bonne. Nartago produit de bons chevaux de concours. Certains ayant le dos un peu relâché, je crois qu’il vaut mieux le croiser avec des juments un peu courtes avec du sang, de bons réflexes et une bonne technique. Il ne faut pas avoir peur de lui ramener du sang, même si Sabatina en avait beaucoup.»

Depuis trois ans, Nartago est parti faire la monte en Allemagne, mais son propriétaire, Emilio Malta da Costa, verrait d’un bon œil qu’il puisse achever sa carrière d’étalon en France. «En France, les éleveurs attendaient de juger sa production en compétition. C’est pourquoi il saillissait un peu moins de juments lors des dernières saisons. Nous avons reçu une proposition en provenance d’Allemagne, alors nous l’avons envoyé là-bas depuis trois saisons. Il est assez demandé puisqu’il saillit quarante à cinquante juments par saison là-bas. Cependant, il n’est pas exclu qu’il revienne en France s’il y a de la demande et si un étalonnier se montre intéressé.»

Nartago est un étalon auquel il convient assurément de s’intéresser, d’autant qu’il peut permettre de sortir des courants traditionnels du Selle Français pour les juments qui sont imprégnées des sangs d’Almé, Uriel et Grand Veneur, les trois étalons les plus marquants du stud-book, qui sont absents du pedigree de Nartago.