Fragance de Chalus s’est éteinte, l’élevage perd l’une de ses plus grandes dames

Par le nombre et la qualité de ses descendants, Fragance de Chalus aura durablement marqué l’histoire de l’élevage. Dans sa vingt-sixième année, l’incomparable baie s’est malheureusement éteinte à l'élevage de Muze de Joris de Brabander, à Sint Niklaas en Belgique. En décembre, GRANDPRIX Heroes avait consacré un portrait à celle qui était née chez une autre grande dame de l’élevage, Solange Planson, qui a su développer une souche de course au service des sports équestres. 



Nifrane et Rémy Deuquet.

Nifrane et Rémy Deuquet.

© Collection privée

Grâce à la technique du transfert d’embryon, largement utilisée par Joris de Brabander, Fragance de Chalus aura été l’une des juments les plus prolifiques au monde, avec plus de cinquante produits. Malheureusement, cette formidable mère a poussé son dernier souffle à vingt-six ans, dans les écuries de Muze pour lesquelles elle aura été un véritable joyau.  
 
Via ses filles et petites-filles, la baie née en 1993 compte près de trois cents descendants, dont une quarantaine ayant évolué dans des épreuves cotées à 1,50 m ou plus. C’est son pedigree qui a séduit le grand éleveur, étalonnier et vétérinaire belge. « Je cherchais une excellente poulinière française et j’ai étudié différentes lignées. J’aimais bien cette famille. La mère de Fragance était une très bonne compétitrice et son père, Jalisco B, l’un des meilleurs étalons français, ayant donné de très nombreux gagnants au plus haut niveau. J’ai donc contacté son éleveuse pour essayer d’acheter Fragance. »
 
L’éleveuse, c’est Solange Planson, installée à Levet, à une vingtaine de kilomètres au sud de Bourges, dans le Cher, au centre de la France. Après avoir d’abord élevé une jument Trotteuse, avec de bons résultats à la clé, Solange Planson jette son dévolu sur Ifrane (Château du Diable, Ps), une Anglo-Arabe de complément née pour courir et dont la mère, Oita (Cidre Mousseux, Ps), avait effectué une bonne carrière sur les hippodromes. « Ifrane est née chez Roland Gilberton, un voisin qui élevait surtout pour la course. Sa mère s’étant illustrée en steeple-chase, la pouliche était destinée à courir. Elle avait un œil magnifique et c’était une athlète avec de gros points de force : elle était petite, bourrée de sang et de tempérament. Après qu’elle s’est blessée à l’entraînement, Roland Gilberton l’a vouée à l’élevage, mais le premier poulain qu’elle lui a donné (qui n'est autre que Morgat, ISO 177, AAC, Drapeau Rouge, Ps, médaillé de bronze par équipes aux Jeux olympiques de Séoul en 1988 puis médaillé d'or par équipes et de bronze en individuel aux Jeux équestres mondiaux de Stockholm avec le regretté Hubert Bourdy !, ndlr) ne lui plaisait pas pour la course et il l’a vendu. Ensuite, il m’a proposé la jument, que j’ai achetée », raconte Solange Planson. 
 
Solange Planson croise Ifrane avec le bon étalon national Fury de la Cense (SF, Questeur), ce qui donne Nifrane (SF), la mère de Fragance de Chalus, puis Sebago Lake (ISO 125, SF) et Vanifrane Chalusse (ISO 134, SF), mère de Dody de Chalusse (ISO 162, SF, Galoubet A), très bonne gagnante avec le Britannique Alex Rident. Après avoir donné naissance à treize produits, Ifrane coule une retraite bien méritée chez Solange Planson, s’éteignant à l’âge de vingt-neuf ans.


Mylord Carthago, Bamako de Muze, Hugh Grant de Muze...

Mylord Carthago et Pénélope Leprevost aux championnats d'Europe de Madrid, en 2011.

Mylord Carthago et Pénélope Leprevost aux championnats d'Europe de Madrid, en 2011.

© Scoopdyga

Pour sa part, Nifrane connaît une belle carrière internationale avec Rémy Deuquet, obtenant un indice de 165 avant d’être consacrée à l’élevage à onze ans. « C’était une jument pleine de sang, adorable avec l’homme, mais avec un caractère encore plus trempé que sa mère. À la maison, elle n’aimait pas trop travailler, mais en piste c’était une jument très respectueuse, qui montrait une vraie volonté de franchir les obstacles sans faute. Elle n’avait pas un galop très ample, mais elle était très rapide et très performante dans les épreuves au chronomètre », se souvient Solange Planson.
L’éleveuse croise d’abord Nifrane à l’étalon Stew Boy (SF, Jalisco B), l’une des vedettes des Haras Nationaux au début des années 2000, qui n’a d’ailleurs pas laissé un souvenir impérissable à l’élevage. Né de cette union, Edgard de Chalusse, lui-même étalon national, participe à la finale nationale des six ans avec Rémy Deuquet, obtenant un ISO 122, avant de se reconvertir en complétiste (ICC 128) avec Pierre Defrance. Hélas, il s’éteint prématurément à dix ans. L’année suivante, Solange Planson jette son dévolu sur Jalisco B, l’un des étalons les plus en vogue à cette époque : « Je l’ai choisi alors qu’il était déjà confirmé sur descendance, afin d’apporter de la force et de l’amplitude à cette souche. Cela a donné Fragance, une pouliche très plaisante qui a d’ailleurs participé aux championnats de France des foals. Joris de Brabander, qui suivait mon travail de près et m’avait déjà acheté Caprice, m’a contacté pour Fragance, que je lui ai alors vendue. Je voulais réutiliser Jalisco B avec Nifrane, mais il est malheureusement mort deux semaines après la vente de la pouliche.»
 
En Belgique, Fragance de Chalus devient mère avant même d’être débourrée. « Saillie à deux ans, elle a produit un très beau poulain : Ternitz de Muze (BWP, Darco). Comme elle sautait très bien et se déplaçait bien, je lui ai fait faire davantage de poulains l’année suivante. Dès lors, sa carrière de compétitrice est passée au second plan, même si elle a été l’une des meilleures juments du Cycle belge des jeunes chevaux à quatre, cinq et six ans. Fragance, comme toutes les pouliches de cette souche, était une jument très compétitive, mais qui manquait un peu de force, donc nous avons toujours essayé de la croiser avec des étalons qui pouvaient lui apporter davantage de puissance », explique Joris de Brabander. Montée successivement par les Belges Christel Lenssens, Stefan van de Walle et Johan Lenssens, Fragance passe ensuite sous la selle de David Jobertie, alors installé en Belgique, à l’âge de sept ans. Le Français se souvient d’une jument« pas très grande, mais styliste et respectueuse. C’était une vraie compétitrice. Il suffisait de l’amener face aux obstacles et elle ne demandait qu’à les sauter sans commettre de faute. »Après avoir débuté en CSI avec David, Fragance accompagne Karline de Brabander, la fille de Joris, sur les circuits Juniors et de Jeunes Cavaliers, concourant jusqu’à 1,45 m, mais surtout très compétitive sur 1,40 m. Fragance a terminé sa carrière de compétitrice à l’âge de vingt ans avec Katia de Brabander, la femme de Joris, dans des épreuves Amateurs.
En parallèle, la baie poursuit sa carrière de reproductrice grâce aux transferts d’embryons, une technique dont Joris de Brabander a été l’un des pionniers. Après Ternitz, qui concourt jusqu’à 1,35 m, Fragance engendre cinq embryons l’année suivante, dont Jolly Môme (SF, Darco), montée jusqu’à 1,60 m par l’Américaine Cara Raether, Jolly Girl de Kervec (ISO 153, SF, Darco), excellente avec Jean-Marc Nicolas et mère de nombreux très bons chevaux, comme Pactole Kervec (ISO 140, SF, Kannan), Queen Girl Kervec (ISO 162, SF, Diamant de Semilly), Triomphe Kervec (ISO 141, SF, Kannan) et Uto Kervec (ISO 150, SF, Diamant de Semilly). Via Queen Girl, Jolly Girl est également la grand-mère de Trafalgar Kervec (ISO 149, SF, Quincy), classé à 1,50 m avec Margaux Rocuet, et de Vip du Forézan (ISO 156, SF, Berlin), champion des sept ans avec Julien Gonin et acquis par le Mexicain Federico Fernández, qui en partage la monte avec sa compagne espagnole Paola Amilibia Puig.
Lors de sa deuxième année de production, Fragance a également engendré Urline de Muze (BWP, Cash), mère d’A Big Boy (BWP, Kannan), qui a participé aux championnats d’Europe de Windsor en 2009 avec l’Estonien Rein Pill. 


Près de trois cents descendants

Hugh Grant de Muze et le Français Frédéric Bouvard.

Hugh Grant de Muze et le Français Frédéric Bouvard.

© Pixels Events

À chaque génération, la Selle Français livre son lot de très bons gagnants ou de poulinières mères de champions. Parmi ses produits ayant concouru à 1,50 m ou au-dessus, citons Vodka Orange de Muze (BWP, Darco), Arc en Ciel de Muze (BWP, Rubens du Ri d’Asse), Anaïs Anaïs de Muze (BWP, Rubens du Ri d’Asse), Norton d’Éole (SF, Cento), Bamako de Muze (BWP, Darco), Hugh Grant de Muze (BWP, Shindler de Muze), Iorio (BWP, Shindler de Muze) et bien sûr Mylord Carthago (SF, Carthago), qui a permis à la Française Pénélope Leprevost de participer à ses premiers grands championnats, avec à la clé des médailles d’argent par équipes aux JEM de Lexington en 2010 et aux Européens de Madrid en 2011, ainsi que des victoires dans les Grands Prix CSI 5* de Vienne, Helsinki et Paris. Mylord est aussi le père de Timon d’Aure, épatant neuvième des récents JEM de Tryon sous la selle du jeune Alexis Deroubaix.
 
Via ses filles, Fragance est à l’origine d’une kyrielle de bons chevaux de concours, comme Théodore Manciais (SF, Kashmir van Schuttershof x Power Light), Tinkerbell de la Pomme (SF, Tinka’s Boy x Darco), Ronaldo de la Pomme (SF, Stakkato x Darco), Tintin de la Pomme (SF, Diamant de Semilly x For Pleasure), Twister de la Pomme (BWP, Darco x For Pleasure), Jaguar van de Berghoeve (BWP, Emerald van’t Ruytershof x Nabab de Rêve), Hilfiger van de Olmenhoeve (BWP, Dulf van den Bisschop x Querlybet Hero), Ego van Orti (BWP, Vigo d’Arsouilles x Darco), Bacardi-Orange de Muze (BWP, Cento), Bacardi- Rhum de Muze (BWP, Kannan), Élouise de Muze (BWP, Nabab de Rêve x Darco), Indi 28 (BWP, Erco van’t Roosakker x Nabab de Rêve) ou encore Sandor de la Pomme (sBs, Vigo d’Arsouilles x Darco), tous ayant évolué au-dessus d’1,55 m. Déjà arrière-arrière-grand-mère, Fragance de Chalus compte près de trois cents descendants. 
 
Avant de pousser son dernier souffle, Fragance coulait des jours heureux dans les prés de Joris de Brabander. L’an passé, la baie était « en pleine forme », d’après les mots de son propriétaire. Elle profitait d’une retraite bien méritée :« Nous l’avons mise à la retraite car elle avait plus de mal à prendre. Comme elle nous avait déjà beaucoup donné, nous avons décidé de la laisser tranquille. Maintenant, nous travaillons avec ses filles et petites-filles. »Nul doute que de nombreux autres champions devraient émerger et que sa descendance brillera encore longtemps sur les plus beaux terrains de concours de la planète.