“L’ICSI devrait révolutionner l’élevage haut de gamme”, Sébastien Neyrat

Béligneux le Haras (BLH), entreprise de la famille Neyrat, est le seul établissement français spécialisé dans la technique de l’ICSI (injection intra-cytoplasmique de spermatozoïde). Cette technique consiste à prélever un ovocyte de la jument pour le féconder in vitro avec un spermatozoïde de l’étalon. Au Haras de Châtenay, BLH effectue la ponction ovocytaire, qui est ensuite envoyée en Italie, chez la société Avantea du Pr Galli, pionnier et leader en matière d’ICSI. Si cette nouvelle technique peut avoir ses détracteurs, qui peuvent lui reprocher son coût ou un côté invasif, pour Sébastien Neyrat, l’ICSI est l’avenir des élevages haut de gamme. Un avenir qui doit se conjuguer le plus rapidement possible au présent.



Grand Prix Replay : Quel est, pour vous, l’intérêt de l’ICSI ?

© Collection privée

Sébastien Neyrat : La technique de l’ICSI est une ouverture qui me semble vraiment intéressante pour l’élevage. C’est une technique qui commence à arriver en France et qui devrait révolutionner l’élevage haut de gamme. Elle peut permettre une réconciliation entre les vieilles juments qui ont du mal à remplir ou celles qui arrêtent la compétition et les étalons subfertiles, comme on peut en trouver beaucoup parmi ceux qui sont encore en compétition. Il y a un intérêt car on sort des sentiers battus et des étalons très utilisés. Avec un étalon subfertile et une vieille jument, on arrive à obtenir une gestation, ce qui ne serait pas le cas par la voie traditionnelle. Je pense à certains étalons qui sont commercialisés à la paillette, à 800 € ou plus la paillette, et quand on a une jument de vingt-deux ans, on y réfléchit à deux fois. Ce qu’on a développé, la ponction ovocytaire pour ICSI me parait totalement révolutionnaire pour ce genre d’individus.
 
GPR : Votre haras de Châtenay est le premier centre français spécialisé dans l’ICSI. Pourquoi ce choix ?
S.N. : En région Rhône-Alpes, nous sommes moins une terre d’élevage qu’en Normandie, mais nous avons beaucoup de compétitrices de bon niveau. Elles font souvent de longues carrières et s’arrêtent vers dix-huit ans pour les meilleures et le temps est assez court pour rentabiliser la vie à l’élevage de la jument. Nous avons des juments comme Cocoshinsky ou La Toya, avec qui c’est difficile d’obtenir un embryon par saison et ça nécessite que la jument soit fouillée tous les jours jusqu’à trois fois par jour. Elle reste six mois au haras pour parfois avoir avec peine un embryon. Avec cette technique, la jument arrive au haras, on l’échographie deux fois pour connaître le nombre de follicules, on réalise la ponction et ensuite, elle retourne au pré chez elle. La vie de ces juments-là est grandement améliorée par rapport au transfert d’embryon traditionnel. Ce sont des juments qui n’ont pas besoin d’être dans un centre pendant six mois pour tirer au mieux deux embryons. En plus, c’est un risque à chaque fois qu’on passe une jument à la barre, surtout avec ces grandes compétitrices qui sont souvent très dans le sang. Pour moi, il y a un réel avantage éthique et de bien-être animal avec cette technique.


GPR : Certains reprochent à cette technique d’être trop invasive…

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S.N. : C’est très pointu comme technique, ça demande beaucoup de connaissances, ça fait peut-être un peu peur, mais, à mon avis, ça reste quand même plus éthique que le transfert d’embryon ou l’insémination traditionnelle d’une jument subfertile, qui nécessite beaucoup de temps et de manipulations. Avec la ponction ovocytaire, on parle d’une manipulation qui dure une heure et, à l’issue de laquelle, la jument pourra retourner au pré. Elle aura fait ce qu’elle avait à faire pour la saison. D’une part, il faut le comparer avec un suivi gynécologique à l’année d’une jument dans un centre d’insémination. C’est moins invasif que de fouiller une jument quatre fois par jour.
Le côté invasif est, qu’effectivement, on effectue une ponction. On passe par voie transvaginale avec un guide porte-aiguille, une sonde échographique, et on va ponctionner à l’intérieur de l’ovaire.
C’est une aiguille qui traverse la paroi du vagin pour aller dans l’ovaire. Mais l’ovaire est un tissu fibreux qui cicatrise très vite et se reconstitue très facilement. C’est son rôle dans la nature de cicatriser. Il y a une ovulation, puis un corps jaune hémorragique et l’ovaire se reconstitue très facilement. Les juments sont sédatées, elles ont une épidurale, non pas pour la douleur, mais pour maintenir une immobilité pendant la manipulation pour que l’on puisse être le plus précis possible. Elles ne reçoivent aucun antalgique et sont juste sédatées ? Ça ne procure pas de douleur chez la jument et il y a un suivi dans les vingt-quatre heures pour constater de la bonne évolution de l’anesthésie, qu’elle ne colique pas, comme ça peut parfois arriver après des anesthésies. C’est un suivi vétérinaire pointu, mais quarante-huit heures après, dans la grande majorité des cas, la jument peut repartir sans avoir besoin de suivi vétérinaire.
 

GPR : Est-ce une technique risquée ?

S.N. : C’est notre première année d’exercice, on a fait une quarantaine de ponctions et, à ce jour, nous n’avons aucun incident qui est survenu. Mais ça doit être fait par des techniciens qui ont une certaine vue chirurgicale de la chose, au niveau de l’asepsie, de la propreté et du suivi de la jument. C’est bien quand le vétérinaire a été un chirurgien ou a une certaine expérience de la chirurgie. On n’est pas vraiment dans la chirurgie, puisqu’on n’incise pas, c’est de la ponction, mais on va quand même rentrer par le péritoine dans l’ovaire. Si vous emmenez des microbes avec vous, il y a un risque d’inflammation.


GPR : Vu son coût, cette technique ne s’adresse qu’à une élite ?

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S.N. : Effectivement c’est une technique qui va rester élitiste eu égard à son coût, que l’on estime à deux mille euros de plus qu’un transfert d’embryon. En revanche, la rentabilité peut vite augmenter. Vous avez des coûts fixes importants, qui sont la ponction ovocytaire et l’ICSI, mais si vous avez trois ou quatre embryons, ces coûts fixes sont divisés par trois ou quatre. Avec le transfert d’embryon, vous avez un embryon, voire deux en cas de double-ovulation, mais rarement plus.
Pour les éleveurs haut de gamme qui ont des très bonnes juments, il y a vraiment une grosse rentabilité. Quand vous faites le tour des plus grosses ventes aux enchères, vous avez 80% de foals issus d’ICSI. La Belgique inonde les ventes aux enchères de ses embryons, il faut que nos meilleures souches françaises puissent également produire ces embryons top mode. Maintenant, pour vendre dans les grosses ventes aux enchères, il faut que ce soit de l’hyper exclusif et il n’y a que l’ICSI qui peut vous le procurer en utilisant des étalons rares encore en compétition. Il faut que les éleveurs français rentrent dans le jeu, sinon on se fera encore passer devant alors qu’on a une formidable génétique.

Les clients très riches qui sont prêts à investir beaucoup d’argent sont en recherche d’exclusivité et si vous avez ça, c’est facile de leur vendre. Certains éleveurs vont opposer l’argument qu’ils sont éleveurs, mais pas spéculateurs. Mais en faisant de la trésorerie en vendant quelques embryons par an, ça peut leur permettre d’être véritablement éleveur en gardant d’autres poulains pour les valoriser.

Il faut avoir de tout à vendre, dont des embryons et des foals, ainsi que des chevaux dans lesquels on croit et que l’on veut valoriser. Je ne dis pas qu’avec l’ICSI, on fera les meilleurs chevaux, mais on fera les embryons les plus faciles à vendre. On ne tirera notre élevage que par le haut.

Visitez le site officiel www.beligneuxleharas.com