L'écurie des Monceaux produit l'élite des courses

Si elle est encore jeune, l'écurie des Monceaux est toutefois tête de liste des ventes de Pur-sang en France depuis une petite dizaine d'années. Si cette position de numéro un satisfait Henri Bozo, directeur de la structure, ce dernier ne s'arrête pas aux résultats bruts des ventes et veut avant tout faire fructifier le patrimoine génétique du haras en produisant toujours plus de gagnants au plus haut niveau.
Article extrait du magazine GRANDPRIX heroes n°115.



© Scoopdyga

Au début du XXème siècle, le richissime homme d'affaires américain et magnat de la presse Ralph Beaver Strassburger, un amoureux de la France, de la Normandie et des courses, vient s'installer dans le Calvados. Il achète d'abord, au baron Henri de Rothschild, une magnifique villa à Deauville, anciennement propriété de la famille du grand écrivain Gustave Flaubert. Elle deviendra la “Villa Strassburger“, et fera partie du patrimoine de la ville de Deauville, qui en est propriétaire depuis 1980 et son leg à la ville par les héritiers de Strassburger. C'est aux Monceaux, un petit village à dix minutes au sud-ouest de Lisieux, que Ralph Strassburger va acquérir cette fois une ferme avec un manoir, à partir de laquelle il va créer de toute pièce un haras pour développer un élevage de Pur-Sang pour courir sous ses couleurs.
Le haras des Monceaux naît ainsi en 1924 et s'y développe un élevage de chevaux de courses qui va devenir l’un des plus performants de France et d'Europe. De cet exploitation naîtront une quantité de champions, comme Asteroide (Ps, Sun Star x Lamaneur), Cambremer (Ps, Chamossaire x Easton), Celerina (Ps, Teddy x Le Sagittaire), Pensbury (Ps, Brantome x Teddy), Clarion (Ps, Djebel x Columba), Le Tyrol (Ps, Verso II x Prince Rose, grand-père maternel du médaillé olympique et champion d'Europe de saut d’obstacles Rochet Rouge, ancien crack d’Alexandra Ledermann), Norseman (Ps, Umidwar x Teddy) ou encore Worden (Ps, Wild Risk x Sind).
Après la mort de Ralph Strassburger, en 1959, le haras des Monceaux va perdre de sa superbe, passer de main en main, et l'élevage de chevaux de courses va quasiment y disparaître. C'est en 2004 que va s'opérer la renaissance du domaine à la suite de son acquisition par Lucien Urano. Homme d'affaires d'origine calabraise, connu d’abord pour avoir été l’actionnaire principal des enseignes Fabio Lucci, Pizza Pino ou encore Tati, Lucien Urano était aussi un passionné des courses, possédant déjà le haras de Retz et l'écurie des Charmes, très performants dans les courses de trot.

Pour sa nouvelle exploitation équestre, Lucien Urano va faire appel à Henri Bozo, un jeune homme d’une trentaine d’années qui baignait depuis tout petit dans l’élevage de chevaux de courses. “Mon père dirigeait le haras du Mézeray (haras de Pur-Sang basé dans l’Orne, ndlr), et j'ai grandi là-bas, avec quatre frères et sœurs“, raconte Henri Bozo, devenu le directeur de l’écurie des Monceaux. “C'était une enfance formidable, où nous avons pu profiter d’un cadre de vie fantastique. Cela m'a donné l'envie de faire ce métier. J'ai suivi des études de commerce, et après mon service militaire, je suis parti me former à l'étranger pendant deux ans et demi. J’ai vadrouillé en Afrique du Sud, en Irlande, aux États-Unis, en Australie... À mon retour, j'ai eu la grande chance de pouvoir travailler au haras du Mézeray, où je suis resté quatre ans, avant de venir travailler ici, au haras des Monceaux. Lorsque Mr Urano m’a contacté, le haras du Mézeray était une structure aboutie et organisée, et je n'avais pas de plus-value importante à apporter. De fait, je me suis laissé tenter par l'aventure des Monceaux. Au début, j’ai vendu le projet de créer une écurie de Pur-Sang à Mr Urano et il m'a donné le feu vert. En 2006, nous avons lancé le projet. L'idée était d'essayer de créer un élevage haut de gamme, capable de rivaliser avec les plus grands haras commerciaux européens tout en restant basé sur la notion d'élevage du terroir. Nous avons remis le domaine en état le haras en effectuant des travaux importants, dont la construction de barns et rénovation de paddocks. Petit à petit, nous avons eu des opportunités pour acquérir des fermes et des herbages, et aujourd'hui, nous disposons de 340 hectares !“


“Le plus important, c’est la souche maternelle“, Henri Bozo

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Le projet du haras des Monceaux est ambitieux, mais toute l’équipe se donne les moyens d’être à la hauteur. Du côté de l’élevage, Henri Bozo et ses équipes décident de miser principalement sur de la jeune génétique. “Nous sommes allés acheter des poulinières et des yearlings femelles avec un fort potentiel génétique un peu partout en France, mais aussi en Angleterre, en Irlande, aux États-Unis, ou en Allemagne“, raconte le Normand. “Nous avons davantage misé sur les pedigrees que sur les performances en courses des poulinières, car quand il y a les deux, c'est hors-budget ! (Rires) Dans le choix de nos achats, le plus important est la souche maternelle. Nous avons misé sur des yearlings que nous mettions à l’entraînement, en espérant que l’une d’elles sorte du lot. Nous avons été sacrément veinards de tomber sur des chevaux performants, comme Naissance Royale (Ps, Giant’s Causeway x Forty Niner), Royale Highness (Ps, Monsun x Nashwan), ou encore Coquerelle (Ps, Zamindar x Caerleon), qui est d’ailleurs née au haras du Mézeray. Toutes ces juments ont été directement performantes au niveau Stakes et même Groupe 1, et cela nous a permis de nous lancer avec des juments d'un bon niveau.“

Le choix d’une génétique haut de gamme et les bons résultats en courses des futures poulinières ont rapidement propulsé la nouvelle écurie sur le devant de la scène des vendeurs français. Et ce, en misant sur une jeune agence de vente, qui va très rapidement prospérer. “Nous sommes un haras commercial“, précise le directeur. “C'est à dire que nous faisons naître des poulains qui seront présentés aux ventes de yearlings à dix-huit mois. Nous avons choisi de tout miser sur Arqana (agence de vente deauvillaise créée en 2006, et qui organise chaque année des ventes très réputées, ndlr), qui se situe à une demi-heure d'ici et s’est développée en même temps que nous. Nous sommes français et normand, et nous avions aussi envie d'accompagner cette nouvelle entreprise de ventes aux enchères. Nous vendons 90 % de notre production et gardons quelques femelles intéressantes pour l'élevage. Nous avons commencé à vendre nos premiers yearlings en 2009 à Deauville et, en 2011, nous étions tête de liste des vendeurs ! Depuis, nous n'avons pas quitté cette position. Toutefois, nous continuons à acheter, car c'est indispensable pour participer à l'activité d'entraînement en France et ne pas simplement être des producteurs et vendeurs de chevaux. Nous voulons renouveler les courants de sang, donc chaque année, nous achetons des yearlings femelles.“

NEUF GAGNANTS DE GROUPE 1.

Si les ventes sont indispensables à la pérennité économique de l’écurie, elles ne sont cependant pas le but ultime, mais la conséquence d’un travail bien fait sur le long terme. Pour Henri Bozo, les résultats des chevaux élevés au haras sur les champs de courses restent primordiaux. “Chaque année, nous équilibrons nos comptes et continuons à investir“, détaille le passionné. “Nous essayons de donner de la valeur à notre patrimoine génétique. Et pour cela, le nerf de la guerre, c'est d'élever de bons chevaux de courses qui performent à haut niveau. Tout ce que nous avons essayé de mettre en place, entre les infrastructures, les achats de poulinières, les croisements et la constitution d'une équipe, c'est avec l’obsession de faire naître et d'élever des chevaux performants. Sinon, vous pouvez effectuer quelques belles ventes une année, et si les clients pensent que leurs chevaux n'ont pas de valeur résiduelle et qu’ils ne performent pas, ils ne reviendront pas.“

Des chevaux nés à l’écurie des Monceaux et qui performent, on en retrouve chaque année sur les plus belles courses des plus grands hippodromes. Neuf chevaux élevés par l’équipe d’Henri Bozo ont à ce jour gagné au niveau Groupe 1 (le plus haut niveau en courses, l’équivalent de Grands Prix 5* en saut d’obstacles). Le premier aura été Most Improved (Ps, Lawman x Linamix), vainqueur en 2012 à Ascot, puis Chicquita (Ps, Montjeu x Dansili), gagnante à Curragh et deuxième du Prix de Diane à Chantilly derrière l’illustre Treve, Charm Spirit (Ps, Invincible Spirit x Montjeu) gagnant de trois Groupe 1 à Ascot, au Prix du Moulin de Longchamp et du Prix Jean Prat à Chantilly. Ectot (Ps, Hurricane Run x Linamix) a remporté le Critérium International des deux ans à Saint-Cloud, puis a été victorieux outre-Atlantique à Belmont Park, alors que National Defense (Ps, Invincible Spirit x Kingmambo) s’est imposé dans le Qatar Prix Jean-Luc Lagardère à Deauville. Intellogent (Ps, Intello x Kheleyf) a gagné le Qatar Prix Jean Prat à Deauville, tandis que Magic Wand (Ps, Galileo x Dansili) s’est imposé cette année à Flemington. Gagnante de sept courses, dont trois Groupe 1, Sistercharlie (Ps, Myboycharlie x Galileo) a été désignée meilleure jument aux Eclipse Awards aux États-Unis, et son petit frère Sotssass (Ps, Siyouni x Galileo), âgé de trois ans, suit ses traces, puisqu’il s’est récemment imposé dans le Prix du Jockey-Club à Chantilly puis dans le Qatar Prix de Niel à Longchamp avant de finir bon troisième du Qatar Prix de l’Arc de Triomphe à Longchamp en octobre dernier.


Un top price à 2 600 000 €

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L’écurie des Monceaux a choisi de présenter ses yearlings lors de deux ventes annuelles d’Arqana, celle d’août, la plus prestigieuse, et celle d’octobre. Ces événements et leur préparation constituent les temps forts de la saison, avec un stress qu’Henri Bozo a appris à maîtriser. “Pendant la préparation, en juillet et août, nous embauchons du personnel saisonnier pour nous aider. Pendant six à huit semaines, nous allons vraiment dans le détail, soignons les petits bobos, faisons venir l’ostéopathe ou insistons sur le pansage. Chacun a sa méthode pour préparer les yearlings. Chez nous, le fait de ne pas prendre de chevaux de l’extérieur facilite grandement la tâche, dans le sens où nous suivons nos chevaux tout au long de l’année. La préparation repose sur plusieurs éléments : la marche en main principalement, une demi-heure par jour à bon rythme, et le paddock. Nos chevaux restent le plus possible dehors, où ils marchent et sont bien dans leur tête. Et puis, il y a la longe et le marcheur pour ceux qui en ont besoin. Avant la vente, il faut finaliser la préparation, en les mettant bien en condition, mais c’est surtout un travail mené toute l’année. Nous amenons nos chevaux à Deauville quelques jours avant les ventes, sachant qu’il y a déjà des visites ici au haras dès la mi-juillet. Cela représente du stress, mais, avec les années, on gagne en assurance. Le stress n’est pas lié au résultat, mais à l’exigence d’amener les chevaux en bel état, que tout se passe bien, qu’aucun ne s’énerve, qu’il n’y ait pas de blessé parmi le personnel ou les chevaux, et que les quatre jours de présentation se déroulent bien, en accueillant au mieux les clients. Le reste, si nos chevaux plaisent ou non, la fréquentation et la conjoncture, ne dépend pas de nous. Le résultat d’une vente ne dépend pas d’un cheval, mais de tous nos produits. Dans l’ensemble, nous parvenons à équilibrer nos comptes d’exploitation, ce qui est le plus important.“

Cette année, sur cinquante-sept chevaux présentés, les Monceaux en ont vendu quarante-neuf pour une somme totale approchant les 12 millions d’euros. Parmi eux, deux ont fait sensation avec une adjudication à 1,5 million pour un fils du crack Galileo. Et aussitôt après, sa cousine, une fille de Dubawi, propre sœur de Magic Wand et sœur utérine de Chicquita, a obtenu le top price à 1,625 million. Mais ce n’est pas le record pour l’écurie normande, qui avait vu en 2015 Parabellum (Dubawi et Pacifique par Montjeu), également issu de la famille de Chicquita et Magic Wand, affoler les compteurs et atteindre 2,6 millions, record des ventes Arqana. Pour autant, Henri Bozo affirme ne pas forcément viser ces top prices : “Un cheval vendu 2,6 millions, c’est spectaculaire, mais sans fausse modestie, nous ne courons pas après cela. C’est une récompense pour toute l’équipe, mais cela met aussi une pression particulière sur le cheval. Le vrai succès est d’avoir des chevaux qui performent. C’est ça le nerf de la guerre, qui donne du crédit à un élevage et à ses souches maternelles. Quand vous avez la sœur de Sotssass qui passe l’an prochain aux ventes, cela donne beaucoup plus de valeur à votre catalogue.“ Pour autant, le prix ne garantit pas forcément les résultats et Parabellum n’a pas répondu aux attentes placées en lui par ses acheteurs, n’obtenant que de modestes classements dans des courses de niveaux Groupe 3 et Listed. “Parabellum a été l’une des déceptions de notre carrière aux Monceaux. Après, on parle d’un cheval et cela peut arriver. En revanche, de nombreux autres chevaux ont vraiment performé et si le haras se porte bien aujourd’hui, c’est grâce à leurs bons résultats. Depuis 2010, nous avons élevé neuf gagnants de Groupe 1. C’est là notre fierté et nous avons bien l’intention de continuer.“

PRINCIPALEMENT DES ÉTALONS HAUT DE GAMME.

Si le fait de miser sur des souches maternelles haut de gamme a fait le succès des Monceaux, le choix des étalons est également très important. Henri Bozo y consacre beaucoup de temps, étudiant scrupuleusement les pedigrees et les croisements ayant fait leurs preuves. Près de soixante-dix poulains naissent chaque année au haras, tous issus d’étalons extérieurs. “Nous avons choisi de ne pas avoir d’étalons pour pouvoir opérer nos croisements en toute indépendance et vraiment dans l’idée de maximiser nos chances de réussite et non de faire en fonction de ce que nous avons à la maison. Nous choisissons principalement des étalons haut de gamme en essayant de faire au mieux en termes de budget, car il faut rester raisonnable. Nous misons surtout sur des étalons confirmés, ce qui évite une part importante d’inconnu et accélère le succès d’une jeune structure. Je suis pragmatique, donc nos croisements reposent sur plusieurs principes. J’essaie d’avoir les meilleurs étalons possibles, en étudiant les courants de sang qui fonctionnent dans les différentes familles. Je travaille avec une amie établie en Angleterre, passionnée par les pedigrees et qui a construit une base de données extrêmement pertinente.“

Exigeant sur la qualité de la jumenterie, qu’il cherche sans cesse à améliorer, Henri Bozo l’est également pour ce qui concerne les infrastructures et le bien-être des chevaux, l’alimentation, avec des produits très sélectionnés, ainsi que pour les herbages. Aux Monceaux, on prête attention a ne pas surpâturer et à pratiquer des rotations en faisant paître par alternance des bovins et des ovins dans chaque pré, tout en laissant les herbages se reposer régulièrement. Mais un point qui est également primordial aux yeux d’Henri Bozo est le personnel du haras et l’équipe de vingt-cinq personnes qui l’entoure et sur laquelle il ne tarit pas d’éloges, lui attribuant une grande part du succès de l’écurie.

Grâce à cette exigence à tous les niveaux, l’Ecurie des Monceaux a prouvé son savoir-faire en terme de production de cracks de galop. Il lui reste maintenant à atteindre le Graal en voyant un poulain né aux Monceaux passer en tête le poteau d’arrivée du Qatar Prix de l’Arc de Triomphe. Gageons que ce sera pour les années à venir…

Cet article est extrait du magazine GRANDPRIX heroes n°115.