Le milieu du sport se réunit pour lutter contre les violences sexuelles

J’ai l’impression de vivre un moment historique. Cette journée a été très dense !”, confie un directeur d’un Centre de ressources, d'expertise et de performance sportive (CREPS)au terme de la convention nationale de prévention des violences sexuelles dans le sport, tenue le vendredi 21 février à Paris. Il faut dire que la journée a été riche en émotions. De 9 à 17 heures, les différents participants et acteurs de cette convention ne se sont pas ménagés. Le programme a été intense, et le temps fut compté : discours, annonces de mesures, témoignages de victimes, conseils d’associations, expertises… 



Vendredi 21 février à l’occasion de la convention nationale de prévention des violences sexuelles dans le sport, quatre ministres étaient présents : la ministre des Sports, Roxana Maracineanu accompagné de la garde des Sceaux, Nicole Belloubet et d’Adrien Taquet, secrétaire d’État à la protection de l’enfance. Marlène Schiappa, secrétaire d'État chargée de l'Égalité, a fait une apparition dans la journée. Marie-George Buffet, ancienne ministre des sports est venue apporter son soutien à sa successeuse. Le message est clair : le gouvernement s’attaque à la problématique des violences sexuelles dans le sport d’un front uni. 
 
Depuis quelques semaines, le milieu sportif est secoué par de nombreuses affaires de violences sexuelles. Le 11 décembre, une enquête de Disclose se fait l’écho de 77 affaires et rassemble les témoignages de 216 victimes de violences sexuelles dans le monde du sport. Fin janvier, la patineuse artistique Sarah Abitbol, raconte le viol dont elle a été victime par son entraineur à la fin des années 70 dans le livre Un si long silence. Présente pendant la convention, son témoignage est accueilli par une standing ovation. “Maparole est entendue”, affirme-t-elle, émue que “la honte se transforme en fierté, et ça, c’est la plus belle victoire, [ma] médaille d’or olympique”. La honte semble aussi “changer de camp”. 
Son témoignage a ouvert la voie à de nombreux autres, y compris dans l’univers équestre. Amélie Quéguiner a été la première en envoyant une lettre adressée au président de la Fédération française d’équitation (FFE) Serge Lecomte afin que de briser le silence au sujet des violences sexuelles, ce à la suite de quoi l’instance dirigeante des sports équestres en France a réagi en lançant une campagne de communication et en proposant un accompagnement aux victimes de violences sexuelles
 
Malgré tout, de nombreux présidents de fédération manquent à l’appel vendredi, les deux tiers sont absents, y compris Serge Lecomte, président de la Fédération d’équitation. “J'espère que les présidents qui n'étaient pas là pour X ou Y raison seront là demain, lance la ministre des sports, ce n'est pas un problème de femmes, c'est un problème d'instances, et de hautes instances”. 


Un contrôle d’honorabilité et des mesures d’écoute et de prévention

Roxana Maracineanu entend donner des moyens à la lutte. Une mesure est évoquée à plusieurs reprises : le “contrôle d’honorabilité”, une extension de la vérification des antécédents judiciaires aux bénévoles d’un club sportif. Jusqu’ici, seuls les éducateurs détenteurs d’une carte professionnelle et les dirigeants d’établissements étaient soumis au contrôle annuel de leur casier mais aussi du Fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (FIJAISV). Pour le moment, la Fédération Française de football teste cette mesure dans la région Centre-Val-de-Loire et devrait bientôt l’étendre à l’ensemble de ses bénévoles.
 
On ne sait pas, cependant, quand cette mesure pourrait être généralisée à l’ensemble des fédérations. Pourtant, selon l’inspecteur général, Patrick Karam, le contrôle de l’honorabilité des 1,8 millions de bénévoles du milieu sportif français pourrait permettre d’en écarter au moins 700 d’entre eux. D’après l’enquête de Disclose au mois de décembre, sur 77 affaires, 59 des agresseurs étaient en poste malgré une condamnation ou une procédure judiciaire.  
 
Afin d’améliorer la communication entre le gouvernement et les clubs et permettre de diffuser l’ensemble des outils de prévention et de lutte contre les violences, la ministre réclame la création d’un répertoire national des associations sportives et envisage de créer un code de déontologie de l’éducateur pour placer “éthique et intégrité au cœur des formations”. Il incombe à Fabienne Bourdais,nomée avec effet immédiat au poste de déléguée ministérielle chargée de la lutte contre les violences sexuelles dans le sport d’assurer “le pilotage des travaux”. 
 
Au début du mois de février, la ministre avait déjà annoncé la mise en place d’une “cellule d’écoute au ministère” à l’image du 119, Enfance en danger, pour recueillir la parole des victimes (01 40 45 90 00). Trois nouveaux agents vont venir rejoindre les trois premiers déjà en poste. 
 
À la Fédération Française de rugby (FFR), une ligne dédiée est en place depuis 2016. En plus de deux ans, elle n’avait reçu que trois appels. Mais, la semaine dernière, onze appels ont été enregistrés, relèveChristian Dullin, secrétaire général de la FFR, “preuve que la libération de la parole est en marche et qu’il faut faire preuve de courage, il serait temps”. Ces dix dernières années, la fédération a eu à traiter 17 affaires de violences sexuelles. 13 ont été révélées par la presse indique le secrétaire général, témoignage de la nécessité de renforcer l’écoute aux victimes qui ont trop longtemps été écartées. 


1 enfant sur 5

Les associations et experts qui se relaient pour faire des recommandations répètent inlassablement qu’il faut avant tout libérer l’écoute et sensibiliser. Les enfants doivent apprendre qu’ils ont le droit de disposer de leurs corps et être sensibilisés aux violences de manière délicate et adaptée. C’est ce que fait Sébastien Boueilh avec l’association colosse aux pieds d’argile depuis 2013. Il sillonne la France et ses clubs sportifs pour alerter. L’année passée, l’association a mené plus de 300 interventions en France. Pour l’ancien rugbyman, cela représente “600 victimes libérées, puisqu’en moyenne, à la suite d’une intervention, deux personnes se confient”. Pour lui, c’est loin d’être fini : “d’autres chosent vont sortir, tout le monde le sait, tout le monde en parle”
 
Chaque année, 165 000 enfants sont victimes de violences sexuelles en France. Le sport n’échappe pas aux statistiques, 17% des sportives et sportifs ont subi des violences sexuelles dans le cadre du sport selon Greg Decamps, doyen de la faculté de psychologie de Bordeaux, qui a produit la seule enquête de référence sur les violences sexuelles dans le sport en 2008.
 
Dès les années 90, de tels faits sont dénoncés, notamment par Catherine Moyon de Baecque, lanceuse de marteau, qui accuse ses coéquipiers d’agression sexuelle. Reconnus coupables par la justice, ils seront réintégrés dans la fédération après avoir purgé leur peine alors même que la lanceuse de marteau est, elle, écartée. “J’ai plus souffert de la maltraitance institutionnelle que des violences dont j’ai été victime, explique l’ancienne athlète, dans le sport, on ne doit jamais faire deux fois la même erreur et il y a une obligation de résultatil faut que cela soit pareil pour les violences”.