Le bien-être équin en question aux Assises de la filière équine d’Angers

Dans la lignée des dernières avancées en matière de bien-être du cheval, se tenaient le 7 novembre à Angers les cinquièmes Assises de la filière équine, une journée de conférences et d’échanges menés par de nombreux professionnels autour de ce thème qui anime tous les débats actuels. Gérants d’exploitation, entraîneurs, cavaliers professionnels ou amateurs, chercheurs ou ingénieurs, près de quatre cent personnes avaient fait le déplacement pour écouter, débattre et apporter leur pierre à l’édifice. Soulignant chaque débat, les questions et retours d’expérience ont fusé, marquant cette volonté actuelle de faire évoluer le bien-être des chevaux. Plusieurs idées ont été notées pour le bien de la filière équine.



© Assises de la filière équine

Ouvreur de cette conférence, Charles Trolliet, président de la Fédération suisse des sports équestres et secrétaire du Conseil et Observatoire suisse de la filière du cheval, aura en effet proposé une entrée en matière aussi bienveillante et dynamique qu’alarmiste. Pour lui, il est temps de mettre en place en France de nouveaux outils permettant d’améliorer le bien-être du cheval, de sensibiliser les acteurs de la filière, et d’expliquer ces avancées au grand public, au risque de voir un jour tomber une limitation, voire une interdiction pure et simple quant à l’utilisation du cheval, monté ou attelé, tant en loisirs qu’en compétition. La Suisse, déjà pourvue d’un ministère du bien-être animal (tout comme la Belgique), dispose déjà de lois en vigueur pour le contrôle de la détention d'équidé : le cheval doit par exemple être en contact direct, ou a minima visuel ou olfactif, avec au moins un autre équidé, il doit également pouvoir se mouvoir tous les jours dont deux fois par semaines en liberté. Des formations sont également obligatoires pour la détention de cinq chevaux ou plus.
 
Une première table ronde menée par Vanina Deneux, doctorante à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), Sébastien Jaulin, instructeur en éducation éthologique, Christine Briant, ingénieur de développement à l’Institut français du cheval et de l’équitation (IFCE), et Blanche de Granvilliers, avocate en droit, aura permis de mettre en évidence les lacunes qui existent encore entre les textes de loi et l’état de connaissances variable des acteurs de la filière quant à la notion de bien-être du cheval. Le statut juridique “d’être sensible”dont bénéficie désormais le cheval est une première avancée, mais tous ont souligné l’importance de nouvelles réformes sur les textes actuels afin de mieux protéger les chevaux. Car au-delà de l’évolution notable des mentalités, il existe encore une réelle disparité quant aux différentes évaluations du bien-être du cheval, avec certaines pratiques encore bien ancrées dans les habitudes cavalières. Une application mobile développée en partenariat avec l’INRA (EquiBienEtre) est actuellement en test. Celle-ci devrait permettre d’ici fin 2019 d’évaluer le bien-être du cheval en prenant en compte trente indicateurs liés à l'alimentation, l'hébergement, la santé, le comportement et enfin le ressenti du cheval. 
 
Une deuxième table ronde axée sur le bien-être à l’écurie a ensuite été menée par Pascal Frotiée, directeur des écuries de Lisors, Delphine Robin, directrice du Pôle Hippolia, Thierry Le Borgne, architecte à l’IFCE et Camille Vercken, fondatrice d’Equiways. Le public a ainsi pu découvrir les derniers travaux de recherche et d’innovation concernant les écuries actives, suivant le modèle Allemand développé par Thorsten Hinrichs et la société HIT. Un lieu de vie aménagé différemment pour les chevaux, permettant de se rapprocher de leurs besoins fondamentaux tout en s’inscrivant dans une démarche écoresponsable. Des prototypes et écuries conceptuelles sont en phase de test, comme à la jumenterie du Haras du Pin ou au haras d’Elah à Bort l’Etang.
Les possibilités d’aménagement ont fait mouche auprès du public. La notion de biosécurité, largement à prendre en compte sur ce type de structures, a également été évoquée, avec l’intérêt de répartir dans des pôles différents les équidés par rapport à leur niveau sanitaire. Le troisième groupe d’intervenants, composé de Thierry Neuzillet , directeur du haras de la Belletière (physio-balnéothérapie équine), Virginie Cortès, communicante et magnétiseuse équine et Isabelle Burgaud, vétérinaire de l’IFCE, a fait un point sur les dernières avancées en matière de soins apportés aux chevaux. Les centres de soins et l’utilisation de produits de santé - tant pour les soins quotidiens que la gestion d’une carrière sportive - se démocratisent, l’information circule bien au sein de la filière équine. Tous trois ont néanmoins mis l’accent sur l’importance d’un travail d’équipe entre professionnels dans l’accompagnement du couple cheval-cavalier, tant dans leur communication que leur préparation physique. 


De grands noms de la filière au soutien de la cause du bien-être animal

Plusieurs figures bien connues dans le milieu se sont ensuite succédées au micro. Fort de son expérience, Nicolas Blondeau, instructeur BEES 2, titulaire du brevet d’équitation éthologique et spécialiste du débourrage a ainsi pris la parole pour souligner l’importance de retrouver un niveau de connaissances suffisant pour pouvoir évaluer la santé mentale et physique des chevaux, et travailler ainsi en toute sécurité. La formation des jeunes chevaux doit pouvoir bénéficier d’alternatives, de réformes visant à améliorer cette étape cruciale dans leur développement. 

Nicolas Marty, membre de l’association antispéciste Agir contre la torture des animaux et Jocelyne Porcher, directrice de recherches à l’INRA ont ensuite offert un face à face très intéressant opposant la vision vegan et anti-spéciste aux recherches actuelles menées par l’INRA. Si le premier a salué le concept d’écuries actives comme étant un minimum à atteindre avant de pouvoir sortir définitivement les chevaux de toute la filière, Jocelyne Porci a également mis en garde contre les projets animalistes, estimés cruels pour les chevaux qui, sans plus d’utilisation quotidienne, verraient l’espèce décliner rapidement. Elle a d'ailleurs invité plusieurs fois Nicolas Marty - et à travers lui, toutes les personnes membre de mouvements antispécistes, à venir rencontrer les éleveurs et autres professionnels du cheval pour voir par lui-même la cohésion entre l'homme et ses chevaux - remarque vivement soutenue par l'audience. Arnaud Boiteau, cavalier international de concours complet et écuyer du Cadre Noir de Saumur, également invité d’honneur à Angers et allié pour l’occasion à Kamel Boudra (RMC Sport), a quant à lui clairement insisté sur l’importance d’une préparation physique et mentale de chaque cheval athlète : “Je ne comprends pas comment un cheval peut donner le maximum lors d’un gros événement s'il n'est pas bien physiquement et mentalement”. Il est également revenu sur la question très actuelle de la sécurité lors des compétitions et a ainsi exposé quelques idées et réformes, déjà progressivement mises en place. L’objectif est de tendre vers le risque zéro sans toutefois devoir supprimer ces épreuves, comme cela a pu être évoqué. Bien-être, connaissances collectives et évolutions possibles : En fin de journée, deux nouvelles tables rondes ont été proposées au public. La première orientée vers le bien-être au sein de la pratique équestre : Hélène Roche, éthologue, Alain de Royer Dupré, entraîneur de chevaux de courses, Charlotte Raouan, directrice des écuries d’Air Pur et Guillaume Maupas, directeur du Trot se sont entendus sur l’évolution nécessaire dans les conditions d’hébergement et d’entraînement des chevaux. Il en est ressorti que les interactions et codes sociaux doivent pouvoir être un moteur dans chaque écurie ; la vie au paddock, ou en troupeau, même chez les chevaux de compétition, est possible et doit être encouragée. Les méthodes d’entraînement, souvent porteuses d’images négatives pour le grand public, doivent être plus transparentes, avec une règlementation à retravailler par l’ensemble de la filière. 

La dernière table ronde, menée par Richard Corde, président de la Ligue française de protection du cheval, Éric Rousseaux, président de la Société française des équidés de travail, Aliette Forien, présidente de l’association Au-delà des pistes et Alice Ruet, ingénieur de recherches à l’INRA, a pointé du doigt la maltraitance par manque d’informations et de connaissances, déjà évoquée en début de journée. L’exemple de la réforme des chevaux de course a longuement été analysé, mettant en évidence l’ignorance des cavaliers amateurs souvent dépassés par le niveau de technique et de connaissances requis pour offrir à ces chevaux une deuxième vie. Le déficit cruel en formations, clairement mis en avant, a également permis de rebondir sur l’actuel débat concernant un éventuel permis de détention d’équidés à instaurer en France : une démarche moderne, sécurisante, qui offrirait la possibilité de mettre en place de solides formations accessibles à chaque acteur de la filière. Cette passionnante journée d’échanges s’est conclue avec Jean-Louis Gouraud, encyclopédiste du cheval et de l’équitation, qui aura offert une intervention pertinente et porteuse d’un message sans appel pour les années à venir : la montée de l’animalisme représente un danger “sain” pour la filière équine, et doit la pousser à se remettre en question, à proposer des solutions réfléchies et une vision moderne de cette collaboration humain-cheval, afin qu'elle perdure encore longtemps.