L’endurance est loin d’être guérie, mais la FEI a trouvé de vrais remèdes

Après une première journée assez calme, la seconde s’est avérée bien plus animée et passionnante au Forum des sports de Lausanne, où il était uniquement question de l’avenir de l’endurance. Vu son ampleur et sa complexité, ce défi valait bien huit heures de débat. Au terme de cet exercice démocratique, même si rien n’est gagné et si l’on est encore loin du consensus, entre des parties prenantes aux intérêts divers voire opposés, cette journée a eu le mérite de redonner espoir et courage aux défenseurs d’un sport propre, juste, équitable et respectueux du bien-être du cheval.



Membre du comité, le Saoudien Tarek Taher, représentant élu des cavaliers dans les organes de la FEI, a livré un véritable plaidoyer en faveur des valeurs d’homme de cheval.

Membre du comité, le Saoudien Tarek Taher, représentant élu des cavaliers dans les organes de la FEI, a livré un véritable plaidoyer en faveur des valeurs d’homme de cheval.

© Richard Juilliart/FEI

Comme l’expliquait l’édito du numéro d’avril du magazine GRANDPRIX, toujours en kiosques, la réunion d’aujourd’hui avait tout d’un sommet de la dernière chance pour l’endurance. Dernière opportunité d’entamer une sortie de la crise dans laquelle elle se trouve depuis trop longtemps. Dernière occasion de redonner espoir à une communauté équestre dont certains représentant – y compris parmi les plus éminents – semblaient prêts à expulser cette discipline du giron de la Fédération équestre internationale (FEI), comme le reining, dont les jours semblent désormais comptés. Pour l’endurance, pratique de plus en plus répandue et universelle, il n’en sera sûrement rien mais, à défaut de siffler la fin de la partie, la FEI voulait montrer son autorité, à l’image du discours inaugural prononcé hier matin par son président, le Belge Ingmar de Vos.
 
En début de journée, Sabrina Ibáñez, secrétaire générale de la FEI, a livré un exposant étourdissant sur la croissance exponentielle de l’endurance à travers le monde. Un seule chiffre suffit: entre les saisons 2008 et 2012, le nombre de départs en CEI a augmenté de 70%! L’Américaine a également énuméré toutes les mesures et initiatives prises jusqu’à présent par la FEI pour endiguer les problèmes de dopage, de maltraitance, de mortalité des chevaux en course et autres tricheries de toute sorte. Autant d’actions qui n’ont pas atteint leur but. D’où la volonté, après la tragi-comédie des Jeux équestres mondiaux de Tryon, de donner un signal fort à tous les acteurs de l’endurance, de faire table rase du passé et de reconstruire l’édifice sur des bases plus solides, autrement dit un règlement qui maintienne l’aspect compétitif de ce sport tout en replaçant le bien-être du cheval au milieu du village. Après la mise en sommeil de l’ancien comité technique d’endurance, ce défi a alors été placé entre les mains d’un comité temporaire, qui avait six mois pour émettre des recommandations.
 
C’est précisément celles-ci qui ont été discutées aujourd’hui dans le grand amphithéâtre de l’IMD, à Lausanne. “Nous avons écouté beaucoup de gens et peu compté notre temps ces six derniers mois”, a introduit la vétérinaire britannique Sarah Coombs, présidente de cette instance, avant de passer la parole à son collègue Tarek Taher, représentant des cavaliers au sein de la FEI, élu par ses pairs l’été dernier. Ancien cavalier de saut d’obstacles, éleveur et entraîneur de chevaux de courses de plat, le Saoudien n’a pas minimisé les enjeux de cette journée: “Ces dernières années, nous avons assisté à une dégradation drastique au point que la situation actuelle est inacceptable. On ne peut pas revenir en arrière, mais on doit faire un bond positif en avant. Les chevaux ne peuvent plus supporter ce qu’on leur demande, à savoir terminer une dernière boucle de course à 28km/h et présenter un rythme cardiaque inférieur à 50 battements par minute quelques instants plus tard… L’accroissement des vitesses moyennes en CEI et l’augmentation du nombre de contrôles positifs vont de pair. Le dopage s’est répandu tel une épidémie.”
 
“Aujourd’hui, nous devons renouer avec les valeurs d’homme de cheval, à savoir l’amour et le respect de l’animal. Pour cela, nous devons mieux éduquer les cavaliers. Ceux-ci doivent également être mieux formés sur le plan de l’équitation, où notre sport a une piètre réputation. Dans quelle autre discipline un cavalier totalement inexpérimenté peut atteindre le haut niveau en six mois et deux jours? Nous devons également travailler sur la question des officiels et du jugement. En compétition, nous voulons être traités justement et équitablement, ce qui n’est malheureusement pas le cas. En vingt-deux ans de pratique de ce sport, j’ai croisé de bons, mais aussi de mauvais vétérinaires. De façon intentionnelle ou pas, les règlements ne sont pas toujours correctement appliqués sur le terrain. Cela doit cesser. Nous méritons le fair-play”, a-t-il conclu, applaudi par une grande partie de l’assemblée. Le symbole est fort, quand on sait que la plupart des problèmes proviennent de cavaliers et/ou de concours organisés dans les pays du Golfe persique.
 


Limiter la vitesse pour les cavaliers les moins prudents

Quentin Simonet, premier délégué de la Fédération française d’équitation, a pris la parole à plusieurs reprises, martelant la nécessité de punir plus sévèrement les tricheurs et les officiels corrompus.

Quentin Simonet, premier délégué de la Fédération française d’équitation, a pris la parole à plusieurs reprises, martelant la nécessité de punir plus sévèrement les tricheurs et les officiels corrompus.

© Richard Juilliart/FEI

Après la présentation par le Professeur britannique Timothy Parkin d’études statistiques aux résultats très limpides, Valery Kanavy, double championne du monde en 1994 et 1998, est alors venue au pupitre présenter l’une des recommandations majeures du comité: un nouveau système de qualification par couple plus progressif et fondé sur le taux de complétion, autrement dit sur le pourcentage de courses achevées sans encombre par le cavalier et son cheval. Ce taux fixe alors des vitesses moyennes maximales à ne pas dépasser sur chaque phase de course: 14 km/h (0 à 25% de complétion), 16 km/h (26 à 50%) et 18 km/h (51 à 65%). En CEI 2 et 3*, courir en vitesse libre ne serait alors plus permis qu’aux cavaliers parvenus à l’arrivée de plus de 66% des courses qu’ils auraient disputées. Pour pouvoir disputer une CEI 2*, il faudrait boucler trois CEI 1* à moins de 18 km/h de moyenne, ce qui fait grincer des dents une partie de la salle, notamment les cavaliers, entraîneurs et marchands français et espagnols, dans le sens où leurs chevaux se qualifient déjà aujourd’hui dans des épreuves nationales telles que celles disputées en France sous l’égide de la Société hippique française.
 
Très actif tout au long de la journée, le camp français a exprimé différents points de vue. Quentin Simonet, conseiller technique national en charge des relations internationales de la Fédération française d’équitation (FFE), et également coordinateur d’un groupe de travail au sein de la Fédération équestre européenne (FEE), a attaqué bille en tête. “Merci pour votre travail. Pour autant, cela ne règle pas les problèmes de tricherie, de dopage et de corruption. On doit regarder les vrais problèmes en face”, a-t-il exhorté lors de sa première intervention, avant que ces sujets ne soient heureusement abordés plus tard. Le chef d’équipe belge Pierre Arnould, à peu près sur la même longueur d’onde que lui, invite la FEI à “mieux faire appliquer les règles existantes avant d’en entériner de nouvelles”, estimant “qu’en Europe, l’endurance se développe mais reste propre”. “Il n’y a pas de problème chez nous, alors pourquoi changer les règles”, ose même Stéphane Chazel. Un discours quelque peu simpliste de la part du cavalier, entraîneur et marchand tricolore, qui appartenait à l’ancien comité d’endurance de la FEI. Plus tard, ils seront invités à plus de mesure par le Canadien Mark Samuel, vice-président de la FEI.
 
À noter aussi que le niveau 4*, réservé aux championnats, ne serait plus ouvert aux chevaux de huit ans. “Montez intelligemment, montez prudemment et vous atteindrez les sommets”, résume l’Américaine Valery Kanavy, toujours en activité en CEI 2 et 3* à soixante-douze ans! Du côté de Bahreïn, nation la plus régulièrement pointée du doigt après les Émirats arabes unis, la pilule ne passe pas. On juge ces mesures trop contraignantes pour maintenir le plaisir des cavaliers à concourir… Pour l’Espagne, un responsable fédéral pointe le fait que plusieurs de ses meilleurs pilotes ne seraient plus autorisés à monter en vitesse libre. “Sont-ils de mauvais cavaliers”, interpelle-t-il? “Non, mais avec de telles règles ils monteraient peut-être plus intelligemment”, répond la combative Américaine. Multiple champion du monde et d’Europe, marchand et éleveur, Jaume Puntí Dachs, pierre angulaire de la puissante endurance espagnole, juge également que ce système imposerait aux chevaux trop de courses avant d’aborder le haut niveau. D’autres, enfin, craignent que de nombreux cavaliers de nations modestes ne parviennent plus à se qualifier pour les championnats faute d’un calendrier suffisamment riche en CEI. D’ici l’assemblée générale de décembre, il faudra donc trouver les bons ajustements.
 
En fin de matinée, la question des officiels a été abordée sous plusieurs angles, mais peut-être de façon un peu trop légère, d’autant que les exposés de Mark Samuel et Manuel Bandeira de Mello, directeur de l’endurance, s’en sont presque tenus à un rappel des mesures présentées un an plus tôt  et concernant les juges, commissaires, vétérinaires, délégués techniques et chefs de piste de toutes les disciplines. Seule véritable nouveau, un système de supervision, plus performant, permettant de rétrograder un officiel de niveau en cas de manquements. Pour lutter contre la corruption, la FEI appointera elle-même les femmes et hommes détenant les plus hauts niveaux de responsabilité dans les championnats, et peut-être dans les CEI 3* les mieux dotées. Pour sa part, Quentin Simonet a invité la FEI à réfléchir à le faire au niveau 2*, et à tous les niveaux dans les pays les plus concernés par les scandales.
Mikael Rentsch, directeur des affaires légales de la FEI, a offert un exposé sur l’éventail des sanctions existant dans les règlements fédéraux, particulièrement à l’encontre des cavaliers et entraîneurs. Alors que de nombreux protagonistes de l’endurance, y compris des membres du comité temporaire, réclament que l’on puisse suspendre tous les chevaux d’un entraîneur puni, voire tous les chevaux d’un même propriétaire, le Suisse estime que de telles mesures seraient trop sévères – et peut-être attaquables devant le Tribunal arbitral du sport ou d’autres juridictions… Il a tout de même rappelé que certaines sanctions avaient été durcies en début d’année.
 


Une nouvelle batterie de garde-fous

Cavalier champion du monde, marchand et éleveur, Jaume Puntí Dachs, pierre angulaire de la puissante endurance espagnole, a également pris part à ce débat.

Cavalier champion du monde, marchand et éleveur, Jaume Puntí Dachs, pierre angulaire de la puissante endurance espagnole, a également pris part à ce débat.

© Richard Juilliart/FEI

L’après-midi, presque aussi dense, a été consacrée à la présentation des autres recommandations du comité temporaire. Concernant la conception des parcours, il suggère notamment qu’une boucle ne devrait mesurer moins de 20km, d’augmenter le nombre de boucles (six pour une épreuve de 160km, quatre pour 120km et trois pour 80km). En outre, il propose de réduire à trois le nombre de personnes de l’équipe d’assistance de chaque cavalier, là où les normes sont aujourd’hui très variables d’une course à l’autre, et de mieux encadrer les déclarations de changements d’entraîneur, pour protéger les chevaux. Comme souvent, la poids minimal des cavaliers, que le comité suggère d’abaisser à 70kg en CEI 2, 3 et 4*, contre 75kg aujourd’hui, a hystérisé les débats. Pour certains, c’est un gain pour le bien-être animal, dans le sens où les cavaliers trop légers doivent lester leur monture de poids mort, comme dans les courses de galop. Pour d’autres, cela encourage l’émergence d’une équitation de jockeys, au détriment de cavaliers aux physiques plus athlétiques.
 
Le comité préconise encore de limiter à deux cents le nombre de partants par épreuve et à quatre cents, toutes épreuves confondues, le nombre de départs pouvant être donnés dans une journée de sur le même terrain. Il entend renforcer le processus des événements tests et leur capacité à évaluer une organisation et un terrain, en réponse aux graves manquements organisationnels constatés à Tryon l’an passé. Autre sujet de discorde, le temps de présentation au contrôle vétérinaire et le rythme cardiaque maximal autorisé lors de ces contrôles. Sur les terrains reconnus comme rapides, et donc potentiellement plus à risque pour les chevaux, il est suggéré d’abaisser le rythme à soixante battements par minute, contre soixante-quatre aujourd’hui, et le délai de présentation à quinze minutes, et vingt pour le dernier passage. Le sujet est hautement complexe dans le sens où le rythme cardiaque de forme des chevaux, comme celui des humains, varie d’un individu à l’autre. En outre, abaisser trop fortement le rythme influencera forcément le commerce et l’élevage, d’où, là aussi, l’opposition plus ou moins frontale des Espagnols et Français. Il est également proposé qu’au contrôle suivant la mi-course, un cheval ayant un rythme supérieur à 64 ne puisse pas être présenté une seconde fois.
 
Concernant le bien-être toujours, le comité imagine une règle d’or qui s’appliquerait à tous ses successeurs: “Nous proposons que, lorsqu’un changement réglementaire est considéré comme ayant un avantage potentiel évident pour le bien-être du cheval, le conseil d’administration le FEI devrait exiger que ces modifications soient apportées, s’il y a une chance que cela puisse faire une différence positive.” Cette batterie de recommandations en comporte naturellement quelques-unes sur les délais à respecter entre deux courses, d’autres appelant à réfléchir au niveau équestre et au matériel autorisé ou non en compétition, à augmenter le délai réglementaire de signalement des violations des règles ainsi que les sanctions pour abus du cheval ou pour l’avoir retiré du terrain de compétition sans l’avoir présenté à un vétérinaire. Il suggère enfin de rendre éliminatoire tout saignement ou trace de sang sur le corps de l’animal. Sans oublier la meilleure désignation d’une blessure grave ou mortelle, avec les sanctions afférentes pour le cavalier et l’entraîneur.
 
Il a fallu attendre cette dernière session pour entendre enfin la voix des Émirats arabes unis, l’ennemi public numéro un. “Avec de telles mesures, vous allez dégoûter ceux qui aiment ce sport au Moyen Orient, alors que 80% des cavaliers sont bons et irréprochables en termes de respect de respect du bien-être du cheval. Chez nous, l’endurance est une industrie avec ses couses, ses propriétaires, ses écuries et entraîneurs que vous voudriez tous sanctionner de façon démesurée. C’est injuste de prendre de telles mesures sur la base d’une seule étude statistiques. Commandez-en d’autres car la vitesse et la complétion ne sont pas les seuls facteurs en jeu. Si ces règles entrent en vigueur, tout le monde va repartir au niveau national”, déclare l’un d’eux, applaudi par une dizaine de personnes. Il est naturellement contesté par le panel et d’autres interlocuteurs.
 
Pour sa part, Jean-Michel Grimal, nouveau sélectionneur de l’équipe de France, suggère d’imposer aux chevaux d’arriver sur les terrains la veille des courses et de dormir sur place, “pour éviter de voir arriver le matin des chevaux ayant été plongés dans des bacs à glaçons…”“De la part de l’EEF, je vous remercie pour votre travail”, conclut Quentin Simonet. “Il reste des points sur lesquels nous avons des opinions différentes, mais tout cela va dans le bon sens. En revanche, vous avez ouvert beaucoup de chantiers. Pour ne manquer le rendez-vous qui vous attend, peut-être devriez-vous en désigner quelques-uns plus cruciaux et prioritaires et en remettre d’autres à un peu plus tard. Selon nous, le dopage, les tricheries et la corruption doivent être combattus avant tout.”
 
En fin d’après-midi, Pierre Arnould n’a pas manqué de noter que personne n’avait osé aborder la question du sponsoring des grands événements de la FEI, en sachant que Meydan, la société du cheikh émirati Mohammed al-Maktoum, émir de Dubaï, vice-président et Premier ministre des Émirats arabes unis, sera encore le partenaire titre de tous les championnats jusqu’à 2020, “amenant systématiquement son système de chronométrage et ses officiels”. “Quelle est la réelle place du sponsor dans notre sport”, s’interroge-t-il. À cette question, il n’obtiendra pas de franche réponse. En conférence de presse, Ingmar de Vos bottera un peu en touche, estimant que la FEI n’a pas à empêcher un organisateur de contracter avec tel ou tel sponsor. Certes, mais elle pourrait éviter de confier systématiquement ses championnats à des organisateurs affidés à ce même sponsor…

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