Bruxelles et Euston Park, entre concomitance et dissonances

La concomitance des championnats d’Europe d’endurance Seniors enrichis de concours annexes à Bruxelles avec la tenue d’épreuves richement dotées à Euston Park cette semaine, crée des dissonances. Il est bien hasardeux d’en interpréter les motivations profondes et les significations mais dans cette affaire se pose tout de même la question de l’évolution d’une discipline qui se professionalise dans un climat d’incertitudes.



Il fut un temps où les championnats d’Europe d’endurance étaient “ouverts”, ce qui permettait à l’organisateur de rentabiliser son événement ou à tout le moins, de ne pas être en déficit, l’investissement nécessaire dépassant largement les rentrées possibles. Cela n’étant plus, ce qui sportivement se justifie car apportant plus de clarté, les organisateurs de Bruxelles ont donc adjoint le championnat du monde des chevaux de sept ans et une Coupe des nations “Ladies” à son grand rendez-vous de manière à mieux amortir ses frais. Mais voilà, les CEI 1*, CEI 2*, CEIYJ 2* et CEI 3* programmés en même temps à Euston Park se sont révélés richement dotés. Le maître des lieux, Sheikh Mohammed al-Maktoum, qualifié de “plus grand bienfaiteur de l’endurance” y fait donc un festival portant son nom avec la somme record de deux millions d’euros de récompenses. Les cavaliers engagés sont défrayés forfaitairement pour le transport et l’hébergement tandis que la restauration est offerte. Tous les chevaux qui se qualifieront seront dotés de prix. Les meilleures conditions seront aussi gratifiées. Les propriétaires de chevaux sont ainsi assurés pour le moins de ne pas perdre d’argent et pour le mieux d’en gagner. Le résultat ne s’est pas fait attendre, les inscriptions ont affluées au point que les dates des clôtures ont même été repoussées de deux jours pour les derniers engagements.
Face à cette manne, les Brussels Equestrian Endurance Masters (BEEM) ont quelque peu souffert avec leurs 100.000 euros de dotation. Bien sûr, cela n’influe pas sur le nombre de participants aux championnats eux-mêmes qui accueillent exclusivement les équipes de vingt-trois nations européennes. Mais, s’agissant des autres compétitions le nombre de partants est plus bas qu’escompté, y compris dans le traditionnellement très couru championnat du monde des sept ans. Ils y sont une quarantaine dont treize couples français. Cette épreuve prestigieuse rejaillit habituellement sur les ventes de chevaux. Mais cette fois plusieurs Français notamment, préfèrent traverser La Manche plutôt qu’aller Outre-Quiévrain. Ils estiment que montrer leurs chevaux dans le Norfolk en classique CEI 2* sera aussi bénéfique sinon plus qu’à Bruxelles. Où des ventes se traiteront malgré tout. Il est injuste de les en blâmer, comme cela a cours sur les réseaux sociaux. Tout comme de jeter la pierre à ceux qui se sont engagés en CEI 1* et CEI 3*. La discipline se professionnalise en France uniquement grâce aux ventes, donc avec beaucoup d’aléas, car les dotations sont généralement symboliques. Dans un climat d’incertitudes, ces professionnels qui tirent l’endurance vers le haut niveau ne peuvent se permettre de laisser passer l’aubaine de gagner quelques Livres Sterling ! Il se dit que Sheikh Mohammed fait cela pour les soutenir. C’est aussi une façon pour ce dernier de se réjouir en voyant réunis de très bons chevaux. Après les turbulences qui ont marquées certaines épreuves aux Émirats arabes unis, notamment à Dubaï, ternissant leur image ainsi que celle de l’endurance plus généralement, il saisit aussi cette occasion pour redorer son blason. En octroyant des prix aux chevaux obtenant les meilleures conditions, c’est un message qu’il délivre...


Quel avenir après ces deux fêtes ?

De son côté Pierre Arnould, qui est l’artisan des BEEM, ne cache pas sa consternation devant la concomitance des deux événements. Mais il se montre serein et se dit au-dessus de cela. Il y a tout de même vingt-huit nations représentées en tout et il pense que la fête sera belle et réussie à Bruxelles. Les BEEM sont sponsorisés par le Sheikh Khalifa ben Zayed al-Nahyane président des Émirats arabes unis et émir d’Abu Dhabi. Pierre Arnould précise que s’il soutient l’événement, le Sheikh n’intervient en aucune manière dans son organisation. Manière pour le sélectionneur belge, souvent présenté comme le chevalier blanc honnissant les dérives de l’endurance dans le désert, de signifier son indépendance. Et de souligner la différence entre les deux Sheikhs. Il existe une rivalité entre les deux émirs autour de l’endurance. Le plus passionné et investi étant sans conteste Sheikh Mohammed ben Rachid al-Maktoum, cavalier et compétiteur à haut niveau. Certains pensent ainsi que “Sheikh Mo” dote aussi fortement Euston Park parce que c’est Sheikh Khalifa qui est le mécène de Bruxelles. Il aurait agi de même, mais dans une moindre mesure, en juillet à Pise alors que son rival soutenait des concours en Sardaigne. Idem en Espagne entre Jerez de La Frontera et Madrid.
En France, la question est de savoir comment les organisateurs de concours vont pouvoir continuer à avoir suffisamment de partants sur les CEI alors que la situation est déjà fragile. Si l’émir de Dubaï continue en 2018 à doter de grands événements à l’étranger les professionnels français auront la possibilité de conforter et développer leurs entreprises, certes. Mais ce qui contribue aussi à leur réussite, c’est tout un circuit leur permettant de qualifier leurs chevaux des plus petites aux plus grandes épreuves. Outre qu’ils perdurent, un des défis serait donc de pouvoir doter de manière attractive les concours français d’endurance comme cela existe dans d’autres disciplines. Il fut temps pas si lointain où existait... Compiègne !