'ÊTRE SANS PEUR NI REPROCHE CONTRE LES DÉRIVES', JEAN-LOUIS LECLERC
Le Dr Jean-Louis Leclerc, ancien sélectionneur de l’équipe de France d’endurance, apprécie toujours autant le terrain. Samedi, il a présidé le jury vétérinaire des CEI 3*, 2* et 1* de Corlay dans les Côtes-d’Armor. À quelques encablures du grand rendez-vous des Jeux équestres mondiaux FEI Alltech, à Sartilly dans la Manche, c'était l’occasion d’évoquer l'actualité et les avancées au sein de la FEI pour une endurance dont l’éthique a été mise à mal, un sujet qui lui tient particulièrement à cœur.
GrandPrix-replay.com : Quelles sont vos impressions à l’issue de cette journée ?
Jean-Louis Leclerc : C’est sympathique. C’était plutôt une course permettant de se qualifier pour continuer et monter en grade sur d’autres épreuves. Les chevaux des Qataris sont déjà choisis, triés, sélectionnés, les autres sont des chevaux que l’on essaie de sortir pour voir ce qu’ils valent. Ce n’est pas la même catégorie. Il est certain qu'il y a des Ferrari d’un côté et de plus petites voitures que l’on teste de l’autre et qui rejoindront peut-être le niveau des Qataris l’année prochaine ou l’année d’après.
GPR : Vous vous êtes davantage intéressé à l’étranger, ces dernières années…
J-L. L. : Oui, j’ai été appelé en Allemagne et au Brésil. En Allemagne, ce sont des gens très sympathiques, mais amateurs, pas de vrais professionnels comme en France. Ils sont de ce fait plus difficiles à manager. Ils ont des métiers à côté, et un cheval à l’écurie, pas deux. Si le cheval ne va pas, ils ne veulent pas en changer pour autant, donc la sélection est plus difficile. L’autre difficulté, que l’on ne rencontre pas en France, c’est l’argent : on ne leur paie quasiment rien. Ils doivent financer leurs déplacements, les championnats, etc. La Fédération leur paie quelques petits trucs, mais pas grand-chose… Certains ont de bons chevaux, mais ne font pas de haut niveau, faute de moyens… Pour les JEM, l'Allemagne a une équipe correcte, mais pas de jeunes pour prendre la relève. Sabrina Arnold tire tout le monde. Elle est suivie d’un ou deux autres derrière, mais…
J’ai travaillé avec le Brésil pendant quatre ans, j’y allais tous les mois. C’est le contraire de l’Allemagne: il y a beaucoup de moyens et beaucoup de très bons chevaux. Mais là encore, ce ne sont pas des professionnels: les chevaux appartiennent à des gens qui ont des métiers très prenants. Ils ne peuvent s’entraîner que de temps en temps le dimanche, et encore, pas tous les dimanches. Donc pour faire 160km, ce n’est pas terrible! Par contre, ils ont un élevage assez fantastique, avec beaucoup de souches françaises. Et les cavaliers tiennent la route quand même! Ce qu’il leur manque, c’est un peu la technique et surtout le temps…
GPR : Depuis un an, vous vous occupez du circuit des Jeux équestres mondiaux…
J-L. L. : Aux JEM, je suis course designer, ce que l’on appelle chef de piste. J’écris la piste. On a fait cela avec toute une équipe. Ce sont des gens de la région qui connaissent bien le terrain, Christian Depuille qui a beaucoup travaillé aussi, et Arnaud Jéhanne qui a beaucoup œuvré également. Par rapport au pré-ride, il y a une boucle de plus et des changements parce que l’on passe de soixante à cent soixante à ce soixante-dix chevaux. Il a fallu bien sûr dégager les pistes pour que cela se passe un peu mieux, sécuriser, etc. Le problème là-bas, c’est que tout a été remembré et que tout est en asphalte. Il a donc fallu tracer des chemins à travers champs. S’il pleut, cela peut être un peu profond, mais s'il fait beau, cela peut être une des plus belles courses.
GPR : Comment jugez-vous les forces en présence?
J-L. L. : Je ne sais pas, ne m’en étant pas trop occupé, mais il y a les Émirats, la France - j’espère qu’elle va tirer son épingle du jeu - l’Espagne qui a une très forte équipe, et la Belgique qui a bien travaillé…
GPR : Au sein de la FEI, vous avez participé aux travaux du groupe de planification stratégique pour l’endurance. Qu’est-il sorti de cela face aux excès et dérives dénoncés concernant l’éthique sportive ?
J-L. L. : On a étudié tout cela et fait des propositions. Elles ont été soumises au bureau qui les a données au comité qui a créé un supplément de règlement. On n’a pas changé le règlement, mais ajouté des articles pour essayer d’arrêter les abus que l’on constate dans des pays du Groupe 7, en particulier les ÉAU et Bahreïn… Pour essayer de limiter tout cela : les tricheries, le dopage… Si ces nouvelles règles sont appliquées sérieusement par les juges, cela devrait produire un effet. Le problème, c’est qu’il faut qu’elles soient appliquées…
GPR : Sont-elles difficiles à appliquer?
J-L. L. : Non, ce n’est pas dur, il suffit de les connaître et de les appliquer, sans peur ni reproche… Il y a une responsabilisation des entraîneurs, ce qui n’existait pas auparavant : dopage, fracture, etc. Plus de prélèvements pour le dopage. Plus d’arrêts pour les chevaux en fonction du nombre de kilomètres courus et des disqualifications métaboliques et pour boiteries… Plein de choses comme cela ont été rajoutées. Après, il faut que ce soit appliqué. Il faut que les juges aient le courage de les appliquer. Nous avons les cartons jaunes, maintenant il faut y aller.
GPR : C’est un sujet qui vous tient à cœur ?
J-L. L. : Complètement ! Il n’y aura plus d’endurance si l’on continue comme cela…
GPR : Pourquoi craignez-vous que des juges soient timorés ?
J-L. L. : Il y a peut-être des pressions de la part de certains pays : des pressions qui ne se matérialisent pas, des pressions ressenties. Il y a aussi des pressions financières. La pression financière, c’est d’avoir des juges très payés, par exemple. C’est une pression inconsciente, mais c’est une pression quand même. Le désir d’aller dans des pays exotiques comme cela. Pour y aller, il faut être un peu gentil, quoi… Il faut que les juges se libèrent de tout cela. Des enveloppes ont été données… Alors on explique les enveloppes d’une façon ou d’une autre… En disant : mais non, c’est un complément de salaire… Mais ce n’est pas toujours le cas. Tout cela est à analyser. Les juges dovent être suffisamment forts pour lutter contre cela.
GPR : C’est aussi une demande qui émane des éleveurs. L’ACA France s’est manifestée dans ce sens.
J-L. L. : Oui, et c’est très bien, car cela touche les Français qui sont honnêtes et n’ont pas ces problèmes. Cependant, ce n’est pas au niveau de la France qu’il faut le faire, mais au niveau international. Sinon cela ne sert à rien…
Propos recueillis par Pierre Jambou