Nantuel, déjà trois générations de passionnés (partie 1)

Jacques Gouin n’a pas manqué de clairvoyance ces trente-cinq dernières années. Fou de génétique, cet homme qu’un coup du sort a amené à faire naître son premier poulain a toujours recherché la légèreté, l’énergie et la souplesse dans ses croisements, quitte à passer pour un fou vis-à-vis de ses pairs. À quatre-vingt-trois ans, le créateur de l’élevage de Nantuel, sis à Corquoy dans le Cher, a décidé de passer la main à sa fille, Marie-Laure Deuquet, et ses deux petits-fils, Eliott et Arthur, tout aussi passionnés que lui. Découvrez la deuxième partie de cet article demain ou dans le numéro 114 du magazine GRANDPRIX.



Uniquement utilisée les week-ends et l’été, la maison de la ferme familiale héritée au début des années 1980 n’a jamais été habitée depuis.

Uniquement utilisée les week-ends et l’été, la maison de la ferme familiale héritée au début des années 1980 n’a jamais été habitée depuis.

© Aurélien Cody

Du haut d’une petite colline, trois poulinières descendent au grand trot. À la recherche d’orge et de gratouilles, elles répondent à l’unisson à l’appel de Jacques Gouin. Ce spectacle quotidien se répète depuis plus de trente-cinq ans le long du Cher, à Nantuel – « Nantué »en patois berrichon –, lieu-dit de la commune de Corquoy, située au centre d’un triangle entre Bourges, Saint-Amand-Montrond et Issoudun. « Voici Kaydora de Nantuel (SF, Calypso d’Herbiers) », informe Jacques en pointant du doigt une jument rubican la bouche pleine de grain. Âgée de vingt-deux ans, Kaydora est la dernière fille de Royaltie III (SF, Kaolin de Lyre x Alizé, AA), la jument avec laquelle l’aventure de l’élevage de Nantuel a véritablement commencé.


Au début des années 1980, à la mort de son père, Claire Gouin, née Lambert, hérite de la ferme familiale, alors occupée par quelques moutons. Rapidement, les bêlements laissent place aux hennissements de Royaltie III, née en 1983 chez Antoine Sorel à Vasselay, à trente-cinq kilomètres au nord de Corquoy. Pur-sang à près de 86 %, celle-ci est issue d’une souche qui a donné de bons, voire de très bons gagnants dans les trois disciplines olympiques. Ainsi, la mère de Royaltie, Alikamé (AA, Alizé, AA x Basil, Ps) n’est autre que la propre sœur de la grand-mère maternelle du fabuleux Tatchou (ICC 188, AA, Faristan x El Aïd), champion du monde des sept ans au Lion-d’Angers, deuxième du CCI 5*-L de Pau en 2008 et multiple vainqueur au niveau 4* sous la selle de Nicolas Touzaint, avec lequel il a pris part aux championnats d’Europe de Fontainebleau en 2009 avant de vivre ceux de 2011 à Luhmühlen avec l’Italien Marco Biasia.


Acquise à trois ans pour Marie-Laure, la deuxième fille de Claire et Jacques, dans le but de faire de la compétition, l’alezane ne verra malheureusement jamais l’ombre d’un terrain de concours. « Nous avions du mal à la maintenir en état. Nous lui donnions donc énormément à manger mais elle ne grossissait toujours pas. Malheureusement, elle a contracté des fourbures. Notre vétérinaire de l’époque, qui n’était pas vraiment spécialisé dans les chevaux, ne s’en est pas rendu compte tout de suite. Pensant qu’elle souffrait d’une tendinite, il nous a conseillé de l’immobiliser et de continuer à lui donner beaucoup à manger… Tout l’inverse de ce qu’il aurait fallu faire ! Nous avons donc essayé de lui faire faire un poulain », se souviennent, complices, Jacques Gouin et Marie-Laure Deuquet. S’il n’a pas vraiment d’expérience dans l’univers équin, Jacques n’en est pas à son premier élevage. « Avec mon frère, lorsque j’avais huit ou neuf ans, nous nous étions lancés dans un élevage de pigeons. Cependant, comme nous refusions de les manger, nos parents avaient mis un peu d’ordre dans tout cela. Ensuite, nous avons élevé des lapins et des faisans. Puis, chez mon beau-père, qui n’avait rien d’un agriculteur, nous avions chacun notre petit troupeau de moutons. Puis, je me suis donc mis à élever des chevaux et je pense que je vais m’arrêter là ! », énumère l’octogénaire en plaisantant.



Avec Karma, Nantuel positive !

Consacrée à l’élevage alors qu’elle avait été acquise pour le sport, Royaltie III demeurera la mère supérieure de Nantuel !

Consacrée à l’élevage alors qu’elle avait été acquise pour le sport, Royaltie III demeurera la mère supérieure de Nantuel !

© Collection privée

Au printemps 1989, Royaltie III engendre un premier mâle, Boston de Nantuel (ISO 151, SF, Fury de la Cense), très bon gagnant à 1,35 m et 1,40 m avec Philippe Poulet et Jacques Bourven. Avant de mourir d’un cancer des ovaires à dix-sept ans, l’énergique jument a produit dix autres poulains SF, dont six indicés au-dessus de 130 : Cachou de Nantuel (ISO 130, Fury de la Cense), Esquisse Nantuel (ISO 131, I Love You), Hugo de Nantuel (ISO 137, Olisco), Dandy de Nantuel (ISO 146, O’Malley), performant à 1,45 m à sept ans avec le Franco-Suisse Christophe Barbeau et malheureusement mort prématurément de coliques, Jiky de Nantuel (ISO 150, Papillon Rouge), performant jusqu’en Grands Prix CSI 2* avec Christophe Deuquet, le défunt époux de Marie-Laure, puis Édouard Mathé et encore classé à 1,10 m en 2019 à l’âge canonique de vingt-deux ans (!), sans oublier l’excellente Karma de Nantuel (ISO 162, Quidam de Revel), également valorisée jusqu’à 1,45 m par Christophe Deuquet, avant d’être exportée en Italie.

Bien plus qu’une bonne mère, Royaltie s’est avérée être une remarquable souche. Parmi ses filles, trois se sont révélées particulièrement bonnes reproductrices : Esquisse, Kaydora et Karma. La première a notamment produit Quinta de Nantuel (SF, Parco), l’une des juments descendues prestement de la petite colline. Vouée à l’élevage sans même passer par les circuits de formation de la Société hippique française, cette grise au léger embonpoint a notamment donné naissance à Capuccino de Nantuel (ISO 146, SF, Dandy du Plapé), qui débute avec succès en CSI 3* sous la selle de Jérôme Hurel, et Estoril de Nantuel (ISO 127, SF, Numero Uno), finaliste du Cycle classique des cinq ans en 2019 avec Eliott Deuquet, le fils aîné de Marie-Laure. Esquisse de Nantuel a également produit Shiva de Nantuel (ISO 136, SF, Baloubet du Rouet), la mère de Boréal Nantuel, alias Darshan (ISO 140, SF, Diamant de Semilly), vice-champion du monde des six ans en 2017 à Lanaken sous la selle de l’Allemand Harm Lahde, et tout récemment classé dans un Grand Prix CSI 3* et lancé en CSI 5*-W par l’Égyptien Mohamed Talaat.

Kaydora, dernière fille de Royaltie s’ébrouant dans les prés de Jacques Gouin, a également mené une belle carrière de reproductrice. Elle est ainsi la mère de Pacha de Nantuel (ISO 150, SF, Papillon Rouge), complice de l’Américaine Reed Kessler dans des épreuves à 1,50 m, Quenotte de Nantuel (ISO 150, SF, Quidam de Revel), performante à 1,45 m sous la selle de Christophe Deuquet avant d’être exportée en Espagne, et l’étalon Bassano de Nantuel (ISO 133, SF, Baloubet du Rouet), qui débute à 1,45 m avec Félicie Bertrand et dont les premiers produits s’apprêtent à découvrir les terrains de concours.

Quant à Karma, elle est à l’origine de plusieurs stars de l’élevage. « J’ai tout de suite beaucoup aimé son père, Quidam de Revel, même si de nombreuses personnes me disaient que l’utiliser était une folie. Il ne répondait pas aux critères de l’époque parce qu’il était très fin et sport. Moi, c’est ce que j’ai toujours recherché dans ma production », explique Jacques Gouin avec une pointe de fierté. Par transferts d’embryons, Karma a engendré trois excellents produits SF de Diamant de Semilly. Il y a d’abord eu l’étalon national Orphée de Nantuel (ISO 143), classé jusqu’à 1,40 m avec Fabrice Schmidt, Alexis Gautier, Eliott Deuquet et Mathieu Laisney, avant de terminer sa carrière en Suisse. Hormis Vivaldi du Jardin*Mili (ICC 131, SF, mère par Prince du Logis, AA), dixième du championnat des six ans de concours complet en 2015 avec l’adjudant Nicolas Rudkiewicz, sa production n’a pas vraiment brillé en compétition.


Découvrez la deuxième partie de cet article demain ou dans le numéro 114 du magazine GRANDPRIX.