Il était une fois le casque

Devenu indispensable au cavalier, le casque - ou bombe - n'a pas toujours aussi assidûment coiffé les têtes des équitants. Ainsi, c’est tête nue ou ornée d’un chapeau qu’hommes de cheval et amazones caracolaient en selle aux siècles derniers. Il a fallu attendre le tournant du XXe siècle pour que l’aspect sécuritaire du couvre-chef apparaisse, rendant peu à peu obligatoire son port dans les écuries, écoles d’équitation et autres compétitions en fonction des disciplines. Son style et ses modèles ont évolué pour conjuguer au mieux sécurité, confort et esthétique. Cet article est paru dans le magazine GRANDPRIX heroes n°110.



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Alcide parut, menant la jument baie qui sabotait sur les dalles usées. Sa maîtresse s’approcha d’elle, lui flatta l’encolure. […] À demi détournée sous le regard inquiet qui la scrutait, Julia vérifiait ostensiblement sa coiffure. L’arrangement du tulle noué autour de son haut-de-forme semblait requérir toute son attention.“ Cette phrase est extraite des “Gens de Mogador“, roman d’Élisabeth Barbier, et la scène se déroule en 1851. À l’époque, pour les jeunes demoiselles de bonne famille qui savaient monter à cheval, la tenue d’amazone et le chapeau assorti qui était choisi pour l’occasion étaient autant d’atours pour se montrer sous son plus beau jour… et séduire son prétendant. “Pour les jeunes filles qui ne rentrent pas au pensionnat, c’est le moment de se préoccuper de leur tenue d’amazone. Depuis la Restauration, les femmes et les jeunes filles du monde sont en France de plus en plus nombreuses à monter à cheval, à l’imitation des Anglaises qui depuis longtemps courent, sautent, suivent de près les chiens dans les chasses et ne craignent pas les chutes. […] Car, pour beaucoup de femmes, le cheval n’est que le prétexte à se montrer dans une aguichante tenue. […] Le costume d’amazone est un subtil compromis entre ce que la décence autorise, ce que l’étiquette impose, et ce que le confort requiert, pour que la cavalière ne soit pas trop gênée dans ses mouvements, tout en gardant ses droits à l’élégance. […] Le couvrechef varie aussi avec la mode. Il n’a aucun rôle de protection et ne sert qu’à couronner la tenue d’une touche élégante et fixer la voilette qui protège de la poussière. Le bolivar, porté sous la Monarchie de Juillet, est progressivement remplacé par le haut-de-forme. Des gants de peau de renne pour ne pas s’abîmer les mains, un stick en rhinocéros complètent l’équipement de la cavalière à la mode“, analyse Isabelle Bricard-Glaunes dans son ouvrage “Saintes ou pouliches : l’éducation des jeunes filles au XIXe siècle“.

La tenue équestre était donc un atout de séduction. Quant à ces messieurs, le haut-de-forme ou la tête nue constituaient alors la normalité. Les grands galops cheveux au vent n’étaient pas qu’une image romantique, symbole de liberté et d’espace. Mais cette esthétique n’empêchait hélas pas le danger. Aussi, les chutes pouvaient-elles être fatales. Qui ne se souvient pas de la mort accidentelle à poney de Bonnie Blue Butler, la fille de Scarlett O’Hara et Rhett Butler, dans le mythique “Autant en emporte le vent“ de Margaret Mitchell, sorti en 1950 ? Même les dessins animés tiraient la sonnette d’alarme avec la mort d’Anthony, le meilleur ami de Candy, causée par une chute de cheval dans la célèbre série éponyme. De fait, petit à petit, la sécurité a pris le pas sur l’esthétique. Dans un premier temps, la bombe - il n’était pas encore question de casque - n’avait pour seule fonction que la santé du cavalier. Elle s’est ensuite améliorée améliorée, lui procurant également un certain confort, puis à nouveau une certaine élégance. Aujourd’hui, il n’est plus question de choisir entre l’une ou l’autre de ses qualités. Les casques sont devenus confortables, sécurisants, protecteurs, outils de performance, et beaux. Des oeuvres technologiques au service de la sécurité des cavaliers et des cavalières, qui n’ont plus à faire fi de leur joliesse au profit de leur santé. Panorama des différentes étapes d’évolution du couvre-chef des cavaliers.



DU CASQUE...

L'Amazone, 1882. Édouard Manet.

L'Amazone, 1882. Édouard Manet.

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On est à la toute fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle. Outre-Manche, le monde des courses de galop met en place le port d’une “toque de jockey“ destinée à protéger le cavalier en cas de chute. La première bombe vient de naître. Elle fait alors son apparition dans la tenue traditionnelle des écuries royales et gagne même un peu de terrain chez les particuliers férus de chasse au renard, même si le haut-de-forme et le chapeau melon répondent davantage à l’étiquette. Son premier modèle est alors plus symbolique que réellement efficace en matière de protection crânienne. Et pour cause, la coque est alors recouverte par une couche de velours - héritage de l’esthétique propre à la discipline équestre - et n’est maintenue sur la tête qu’à l’aide d’un élastique passé sous le menton, ou bien se trouve simplement “enfoncée“ sur la tête du cavalier. La jugulaire, sangle passant sous le menton, et la mentonnière, sangle d’attache passant à la pointe du menton, n’auront qu’un effet symbolique avant la mise en place d’un système de fermeture dit “à trois points“, devenu une référence et une obligation d’homologation par la suite.



À LA BOMBE...

La bombe va petit à petit se moderniser, subissant une mue sans précédent. Exit le revêtement de velours traditionnel, la coque va peu à peu adopter d’autres matériaux. De même, l’intérieur de l’habitacle crânien va s’étoffer. Puis des systèmes d’aération vont voir le jour pour éviter de transpirer trop fortement de la tête. Pour faire simple, la bombe va devenir un casque. Pendant quelques décennies, la technologie va investir en profondeur sur l’aspect sécuritaire de l’objet, oubliant quelque peu son importance visuelle. Pour autant, il va s’imposer sur tous les terrains équestres - ou presque. Ainsi, les poney-clubs ont progressivement rendu obligatoire son port au cours du XXe siècle, faisant de cet élément l’un des fondamentaux de la tenue du cavalier. Aujourd’hui, il est devenu impensable de se présenter dans une telle structure sans son casque. Même les écuries de propriétaires doivent inviter dans leur règlement les cavaliers à prendre conscience de l’importance vitale de porter un casque homologué, se désengageant des conséquences en cas de refus dans l’enceinte de leur structure. Et si certaines disciplines tardent à mesurer l’importance capitale du casque en compétition - à l’image des disciplines western, très ancrées dans la culture américaine -, certaines ont commencé à franchir le pas, à l’image du dressage, pourtant jugé très conservateur. Il n’est ainsi plus rare de voir évoluer les meilleurs cavaliers de la planète avec un casque au lieu d’un haut-de-forme sur les rectangles du monde entier. La Fédération équestre internationale pousse d’ailleurs en ce sens, n’hésitant pas à aller plus loin dans certains cas. Ainsi, depuis 2016, le casque a été rendu obligatoire pour les cavaliers Poneys, Enfants et Juniors lorsqu’ils présentent leurs montures à la visite vétérinaire des compétitions.

L’ORFÈVRERIE ET LA HAUTE TECHNOLOGIE AU SERVICE DE LA SÉCURITÉ.

De nos jours, les équipementiers rivalisent de prouesses technologiques pour faire des casques l’atout numéro un des cavaliers et assurer au maximum leur sécurité. Aussi, différents types de tests sont réalisés sur les modèles mis sur le marché afin de vérifier leur fiabilité. On parle alors de test d’impact, qui permet de mesurer le taux d’absorption des chocs en cas de chute sur la tête, de test de pénétration, qui mesure la résistance du casque en cas de contact avec des objets contondants, et de test de déformation latérale, qui mesure la capacité du casque à résister à une déformation en cas d’écrasement de la tête par le cheval. Depuis le 12 août 2017, une nouvelle norme a vu le jour. Pour être homologués, les casques doivent répondre à la norme EN 1384 : 2017, remplaçant la norme EN 1384 : 2012. “La publication de ce nouveau cahier des charges vient mettre un terme progressif à la période transitoire établie depuis le mois de novembre 2014, date à laquelle la norme de 2012 a disparu. Les casques certifiés à dire d’expert (marquage CE) pourront toujours être vendus jusqu’en avril 2019 et être utilisés par les cavaliers jusqu’à leur date de péremption.“ Ces casques du dernier cri se distinguent, entre autres, par une plus grande rigidité latérale de la coque, un ajustement des points de fixation à la tête pour éviter que l’équipement ne bouge, et le retrait des mentonnières pour éviter, en cas de chute, une potentielle rupture de la mandibule. Pour autant, les casques fabriqués jusqu’au 5 novembre 2014 et conformes à la norme CE EN 1384 : 2012 peuvent encore être portés, y compris en compétition.

Mais là où l’évolution est à son apogée, c’est dans le mariage de la sécurité et de l’esthétisme. Plus question de mettre de côté sa coquetterie au profit de sa santé. Désormais, les casques sont aussi séduisants que sécurisants. Et pour plaire aux cavaliers, mille et une déclinaisons sont possibles, faisant apparaître de nouvelles matières sur les coques des casques, comme du cuir, du python, et même des cristaux. La boucle est donc bouclée, et les cavalières du XXIe siècle n’ont plus rien à envier aux tenues d’amazone de leurs aïeules. La séduction est bel et bien au rendez-vous, leur tête parée de ce couvre-chef nouvelle génération. La sécurité en plus.