“Montrer une belle image, une belle équitation, et que le dressage français progresse“, Anne-Sophie Serre (partie 1)

Véritables révélations de la fin de l’année 2019, Anne-Sophie Serre et Actuelle de Massa ont apporté leur précieuse contribution à la qualification in extremis de l’équipe de France pour les Jeux olympiques de Tokyo. La Provençale de quarante-trois ans confie sa grande motivation pour les Jeux olympiques de Tokyo, qui ont finalement été reportés à l'été 2021, et aborde bien d’autres sujets de discussion, au-delà même de l’univers équestre. Entretien.



Comment se passe le confinement de votre côté ?

Comme presque tous les Français, nous vivons en vase clos. Toutefois, tout notre personnel, donc les grooms, notre cavalier et la personne en charge des boxes, est présent aux écuries. En somme, notre structure tourne normalement. La seule chose c’est qu’il n’y a plus aucune visite et que nous vivons un peu en autarcie ! Nous n’avons pas changé grand-chose non plus à notre travail des chevaux et l’entraînement se passe comme d’habitude.

Comment jonglez-vous entre le travail aux écuries et les enfants, dont il faut assurer le travail scolaire ?

C’est sûr que nous avons des journées bien remplies ! Nous commençons à 7h30 le matin par monter tous nos vingt-cinq chevaux d’un trait avec Arnaud, notre cavalier et moi-même. À 14h, nous rentrons à la maison pour manger puis notre deuxième journée avec nos enfants (Andréa, dix ans, et Mathilde, quinze ans, ndlr) commence. Nous attaquons les devoirs et les leçons nous arrivent des professeurs par internet. Certains cours se déroulent visio-conférence mais cela demande un débit de bonne qualité. En plus, nous avons aussi entrepris les peintures de la maison. En fait, notre programme est presque plus chargé en confinement qu’en temps normal ! (Rires)

Comment avez-vous accueilli la décision de report des Jeux olympiques de Tokyo à l’été prochain ?

C’était évidemment une décision logique, que nous attendions et dont nous parlions depuis un bon moment. Il était évident que cela allait arriver vu l’ampleur de l’épidémie du coronavirus, donc nous n’avons pas été surpris. La santé publique prime sur tout le reste, et le sport n’y échappe pas. Franchement, on ne peut pas être malheureux car ces JO sont simplement reportés et pas annulés. En plus, il semblerait que nous allons avoir une année sacrément chargée l’an prochaine si les championnats d’Europe sont maintenus !

Ces six derniers mois, votre jument Actuelle de Massa (Lus, Pastor GUB x Fuzilador OCO) a connu une ascension fulgurante. Vous attendiez-vous à une telle trajectoire ?

Non, je ne m’y attendais pas, car ce n’est jamais quelque chose que l’on peut prévoir. J’avais conscience de sa qualité et je voyais clairement en elle ma jument d’avenir, mais je pensais que nous révélerions son talent plutôt en 2020. Les circonstances ont fait que nous l’avons poussée dans le grand bain un peu plus vite que ce que j’avais imaginé, et tout s’est effectivement bien passé jusqu’à présent.

Vous avez dû ressentir une sacrée pression au moment d’entrer en piste les 28 et 29 décembre au CDI-W de Malines, en Belgique, où s’est scellée la qualification olympique de l’équipe de France grâce aux performances individuelles de ses trois meilleurs couples ? 

Oui, bien sûr, car on se dit que de sa per- formance dépend d’une certaine façon la qualification. Pour autant, j’ai essayé d’appréhender cet événement comme un concours normal, ce que j’ai toujours fait depuis que nous avons commencé à concourir au niveau Grand Prix (en juin 2019, ndlr). Dès ses débuts, nous avions les Jeux olympiques en ligne de mire. C’est d’ailleurs pourquoi nous l’avions engagée si rapidement à ce niveau. J’ai monté chaque épreuve pour la former, sans jamais penser aux points. Avec un tel cheval, ceux-ci arrivent normalement d’eux-mêmes si l’on monte bien. À bien regarder nos reprises, on verra que nos piaffers avancent et que nos pirouettes ne sont pas très serrées. Ces Grands Prix étaient voués à former Actuelle pour l’avenir. Même si l’objectif à court terme était de qualifier la France, le but à moyen terme était de participer aux Jeux olympiques. Je ne voulais donc pas trop lui en demander.



© Éric Knoll

Comment avez-vous vécu l’annonce officielle de la qualification pour Tokyo ? 

La cavalière sud-africaine (Laurienne Dittmann, ndlr) n’ayant pas réussi à atteindre les minima individuels imposés par la Fédération équestre internationale (à Malines, elle n’a obtenu que 62,826 % avec Don Weltino K contre 66 % requis, ndlr), nous nous savions qualifiés avant même que je présente mon Grand Prix, ce qui ôte d’un poids, il faut bien l’admettre. Cependant, quand on est un peu compétiteur, on ne veut pas faire les choses à moitié. C’est pourquoi nous souhaitions aussi repasser devant les Autrichiens et entrer par la grande porte (ce qui fut le cas, ndlr). C’était le challenge sympa que nous nous étions fixé avec le staff fé-déral, Morgan (Barbançon Mestre, ndlr) et Alexandre (Ayache, ndlr), afin de montrer que nous n’étions pas arrivés là seulement grâce à la non-qualification de l’Afrique du Sud. L’annonce en elle-même a été un moment de joie intense et de partage entre nous tous sur place bien entendu, et nous avons senti tous les gens qui nous entourent profondément heureux de voir le dressage français représenté aux prochains Jeux olympiques. C’est fantastique pour tout le monde, pas uniquement pour nous. 

Après l’échec des championnats d’Europe Longines de Rotterdam, on avait senti le staff fédéral un rien abattu, presque résigné à se battre “seulement“ pour obtenir une place individuelle. Les choses ont semblé changer après le CDI-W de Lyon où Morgan Barbançon et vous avez obtenu de bonnes notes. Que s’est-il passé dans cet intervalle de temps ? 

Non, le staff ne s’était pas résigné à une participation individuelle, mais la perspective de présenter une équipe à Tokyo semblant extrêmement mal engagée, il était préférable de voir comment les choses allaient se passer dans les concours suivants avant d’évoquer la possibilité de constituer une équipe composite. Dès la fin des championnats d’Europe, comme Actuelle s’était bien comportée au Master Pro de Vierzon (le couple avait décroché la médaille de bronze du championnat Pro Élite, ndlr), nous avions évoqué avec Emmanuelle Schramm-Rossi (directrice technique nationale adjointe en charge du dressage, ndlr) notre volonté de participer au CDI 3* de Nice, au CDI-W de Lyon, et de se projeter plus loin si tout se passait bien. Le staff m’a fait confiance, ce qui a été profitable à tous, tant en termes de résultats que d’expérience pour moi. Comme le concours de Lyon nous a montré que la jument se comportait très bien, nous avons tous pu commencer à y croire davantage. 

Y avez-vous toujours cru ? 

Oui, nous pensions que c’était faisable. Vu les scores obtenus à Lyon par Morgan (72,109 % dans le Grand Prix puis 76,07 % dans la Libre avec Sir Donnerhall II, Old, Sandro Hit x Donnerhall, ndlr) et moi (70,565 % puis 76,18 %, ndlr), nous nous sommes confortés dans l’idée qu’une qualification olympique pouvait être à notre portée. Conjointement avec le staff fédéral, Sylvain Massa et Anne-Sophie de la Gâtinais, propriétaires de nos chevaux, et notre entraîneur Raphaël Saleh, nous avons élaboré un plan de concours nous permettant d’optimiser nos chances en ce sens. Pour réussir, nous nous sommes également montrés très rigoureux sur la qualité de nos entraînements. Ainsi, Raphaël est venu nous aider à nous préparer avant chaque nouvelle compétition.

Comment vivez-vous cette mise en lumière, vous qui, sportivement parlant, vous êtes souvent retrouvée un peu dans l’ombre de votre époux Arnaud ? 

Je le vis forcément bien, même si je m’étais habituée à cette position ! J’ai toujours eu des chevaux dressés pour le Grand Prix, mais ils étaient jusqu’alors d’une qualité plus modeste. Quant à moi, j’avais moins d’expérience qu’Arnaud. Ceci expliquait cela. Aujourd’hui, je monte mieux, j’ai plus de métier et j’ai une très bonne jument, donc j’en profite à fond. Et Arnaud est très content que cela puisse enfin m’arriver.



© Scoopdyga

Le souvenir de la triste et brutale disparition de Robinson de Lafont*de Massa (Lus, Maestro JGB x Opus 72 MTV), survenue en mars 2016 à la suite de coliques, vous aide-t-il, si l’on peut dire, à garder la tête froide à quelques mois de cette échéance suprême ? 

Nous n’avons malheureusement pas subi que la mort de Robinson. Il y en a eu d’autres. J’avais déjà perdu précocement Loutano (Holst, Limbus x Renomee). Rossini (Bav, Rivero II x Charivari) avait été vendu aux enchères (en 2016, quelques mois après la liquidation judiciaire des laboratoires Biosem, propriétaires du cheval, ndlr). Et ma fille (Mathilde Juglaret, ndlr) a perdu son cheval Scarletto (Old, Sandro Hit x Frisbee, mort accidentellement en septembre 2018, ndlr). Donc oui, nous savons que tout cela ne tient pas à grand-chose. Nous avons appris à profiter de l’instant présent. Tout est relatif, la réussite comme l’échec, le cheval nous le rappelle suffisamment au quotidien. 

Quel souvenir gardez-vous des championnats d’Europe de 2011 à Rotterdam, où vous aviez défendu les couleurs de la France avec Le Guerrier (Old, De Niro x Rosenkavalier) ?

Cela reste un souvenir excellent, d’abord parce que j’ai vécu cette expérience aux côtés d’Arnaud, mais aussi parce qu’il s’agissait de ma première année au niveau Grand Prix. J’avais donc une expérience très modeste à ce niveau d’épreuves. De fait, j’ai moi aussi été jetée très vite dans le grand bain ! Aujourd’hui, je suis très contente d’avoir une chance de pouvoir réintégrer l’équipe de France en vue d’une si belle échéance que les JO. 

En cas de sélection pour Tokyo, quel sera votre objectif personnel ? 

J’ai d’abord un objectif collectif. Il serait formidable d’arriver au moins jusqu’au Grand Prix Spécial (à l’issue duquel seront décernées les médailles par équipes, ndlr). La Libre (support de la finale individuelle, ndlr), c’est peut-être utopique. En ce qui me concerne, mon but est de monter le mieux possible et d’aller le plus loin possible. Il ne faut pas pour autant être modeste dans ses prétentions, mais je serais surtout heureuse de pouvoir rentrer de Tokyo en me disant que nous avons tous montré une belle image, une belle équitation et que le dressage français progresse.

Comment votre entraînement est-il organisé ? 

Mon organisation n’a pas beaucoup changé. Je commence ma journée le matin avec Actuelle. Nous travaillons généralement trente ou trente-cinq minutes car elle n’a pas besoin de plus. Comme elle est vraiment facile et volontaire, c’est surtout un travail fondé sur le fonctionnement de son corps et sa souplesse générale. Les mouvements techniques ne lui posant pas de problèmes, nous nous focalisons davantage sur sa locomotion. J’ai la chance d’avoir à mes côtés au quotidien Arnaud, qui jette toujours un oeil à nos séances, ainsi que Raphaël Saleh qui vient tous les mois. Nous avons échafaudé avec lui un plan d’entraînement lui permettant de venir chez nous de façon très régulière jusqu’à cet été. De même, il nous rejoindra lors de certains concours pour nous épauler à la détente.

La deuxième partie de cet entretien, paru dans le magazine GRANDPRIX du mois de mars, sera publiée demain.