La France de l’élevage entre confiance mesurée et inquiétude

Trois semaines après le début du confinement, la vie suit son cours presque normalement dans les élevages français de chevaux de sport, où les naissances se succèdent et où l’on aborde la saison de monte, dans le respect des nouvelles règles drastiques de distanciation sociale. Derrière l’apparente quiétude qui règne dans les campagnes, de la Bretagne au Grand-Est en passant par l’incontournable Normandie, la perspective de plus en plus palpable d’une sévère crise économique n’encourage guère les éleveurs et étalonniers à un grand optimisme. GRANDPRIX a recueilli les impressions de Guillaume Ansquer et Arnaud Évain, mais aussi de Pascal Trassart et Bernard Le Courtois, qui feront l’objet d’une seconde partie publiée demain.



“La durée du confinement va être cruciale”, Guillaume Ansquer

Guillaume Ansquer, fondateur de l’élevage de Kreisker, établi à Plozevet dans le Finistère, et membre du bureau du Stud-book Selle Français: “J’ai déjà eu dix poulains cette année et je vais faire saillir mes juments comme je l’avais prévu, même si nous naviguons dans l’incertitude en ce moment. Une partie de notre avenir proche va dépendre de la longueur de la période de confinement et de la date de reprise des concours et rassemblements. Au quotidien, notre vie n’est pas trop impactée par ce qui se passe, dans le sens où nous sommes confinés dehors: les poulinages et les travaux dans les pâtures se poursuivent à leur rythme normal. Compte tenu de la limitation des déplacements, il y a encore moins de circulation et d’agitation humaine que d’habitude, donc encore plus de quiétude pour les chevaux. Jusqu’à présent les poulinages se sont bien passés. Nous ne rencontrons pas le moindre souci non plus concernant la livraison des paillettes ou des aliments. La logistique semble fonctionner normalement. Seule la réduction à trois du nombre de tournées de La Poste nous pose des problèmes, mais nous envoyons un maximum de courriels.

Les éleveurs amateurs risquent de se mettre en stand-by, mais je pense que les professionnels vont continuer autant qu’ils le peuvent. Il y a déjà pas mal de monde dans les centres d’insémination. En revanche, on risque d’assister à une baisse du nombre de naissances chez les éleveurs amateurs ne faisant saillir qu’une, deux, voire trois juments. Face à l’incertitude, certains risquent de s’abstenir cette année. Encore une fois, la durée du confinement va être cruciale, dans le sens où le plus gros de la saison de monte commence en mai. Si cela peut se terminer en mai, je pense que ça ira. Il en sera de même pour les concours, même si toutes les frontières ne vont pas se rouvrir de sitôt. J’ai un peu peur que les courses, avec tout l’argent qu’elles génèrent via le PMU, reprennent avant le sport… Si nous devions connaître une année blanche, ce serait vraiment une catastrophe pour absolument tous les acteurs de la filière, en commençant par les centres équestres et écuries de propriétaires. Pour l’instant, l’État aide, mais les cotisations dont le paiement est reporté devront tout de même être payées un jour ou l’autre.

Naturellement, le commerce est ralenti, d’autant que nous visons pas mal les ventes aux enchères (pour lesquelles les tournées de sélection sont en suspens, ndlr). J’espère que ces ventes pourront être maintenues. La Grande Semaine de Fontainebleau pourra sûrement avoir lieu dans le sens où elle est d’abord nationale. Mais qu’en sera-t-il du Mondial des jeunes chevaux de Lanaken, dans un monde où les frontières ne seront peut-être pas toutes rouvertes, en fonction de l’évolution de la pandémie… Ne serait-ce qu’en Europe, nos amis éleveurs belges sont confinés, mais pas leurs voisins néerlandais… Paradoxalement, nous recevons pas mal d’appels depuis le début de cette période. Beaucoup de gens, qui s’ennuient sûrement un peu, passent plus de temps sur internet et appellent pour prendre des renseignements sur tel ou tel poulain. Pour l’instant, cela ne débouche sur rien de concret, mais c’est quand même un petit signe positif. Naturellement, il faut payer les pensions des chevaux au travail sans savoir quand ils pourront être commercialisés. J’ai fait saillir bon nombre de jeunes juments en vue de transferts d’embryons, mais les mâles et hongres restent à l’entraînement, en espérant qu’ils puissent concourir en fin de printemps et en été. En Normandie, pas mal d’éleveurs ont remis leurs chevaux de quatre ans au pré. Dès lors, il n’est pas sûr qu’on en voie beaucoup à Fontainebleau…

En attendant, nous continuons à exercer un métier de rêve, avec ces poulains qui naissent et effectuent leurs premiers pas, alors faut garder le moral.” 



“Pour l’instant, notre activité se maintient ”, Arnaud Évain

Arnaud Évain, président du Groupe France élevage, société d’étalonnage regroupant plus de trois cent cinquante éleveurs actionnaires et dont le siège se situe à Falaise, dans le Calvados: “Pour l’instant, il n’y a pas eu de décrochage, notre activité se maintient. Les doses de semence qui devaient être transportées l’ont été et les éleveurs qui avaient prévu de faire saillir leurs juments tôt dans la saison de monte n’ont pas changé d’avis. Pour autant, il faut garder à l’esprit que ce sont les mois de mai et juin qui constituent le cœur de la saison. En revanche, à l’étranger, c’est déjà beaucoup plus compliqué. Les containers de semence congelée ont le droit de circuler, mais les mouvements transfrontaliers de semence fraîche ne se font plus. Plus loin, il y a des pays dans le monde où la saison de monte passe au second plan. C’est le cas des États-Unis, du Brésil ou de l’Argentine, par exemple, qui sont des pays importants pour nous. Je pense que nous allons ressentir un impact direct de la crise dès 2020 pour nos ventes à l’étranger et plutôt en 2021 pour la France. C’est ce que nous avions constaté en 1999 et 2008: tous les gens pour qui l’élevage de chevaux est un hobby vont réduire leurs dépenses liées à leurs chevaux s’ils voient leur pouvoir d’achat amputé par les conséquences de la crise, c’est-à-dire qu’ils ne feront pas saillir leurs juments.”