“À quoi les dresseurs peuvent-ils bien mettre cette période à profit?”, Alain Francqueville

Dans une longue tribune publiée ce matin et reproduite ici avec l’aimable autorisation de Dressprod.com, Alain Francqueville, ancien entraîneur, sélectionneur et chef de l’équipe de France de dressage, mais aussi juge international, a souhaité s’adresser aux dresseurs, et tout particulièrement à ceux qui peuvent encore accéder à leurs chevaux, pour les aider, les soutenir et les aiguiller dans cette période si délicate et inédite. Voici l’intégralité de son texte.



Un contexte totalement imprévisible nous pousse à analyser la période que nous traversons et à laquelle nous n’étions ni préparés, ni formés. Mon propos n’est pas ici d’accroître l’incertitude qui pèse sur tous les cavaliers, mais de suggérer des pistes, des outils pour s’adapter au mieux, et résister à cette vague de communication si anxiogène véhiculée par des réseaux sociaux devenus incontrôlables. Il nous faut chercher des éléments objectifs pour mieux cerner les inconvénients et les retombées de cette situation et évaluer l’impact de la pandémie de Covid-19 en tant qu’acteurs du dressage. Il faudra bien mettre à profit cet intervalle pour revoir nos objectifs, et nos pratiques habituelles.

Quels choix faire puisque cette crise s’installe ? Et quelles opportunités saisir pour valoriser ce temps qui peut être si diversement vécu, subi par les cavaliers ? Privés de pratique ou professionnels surchargés, nous sommes tous dans le contexte d’une « mise en sommeil » des circuits et des formations dans le cadre des annonces de la FEI, de la FFE et de l’IFCE. Toutes ces informations régulières qui retiennent notre attention, tant au niveau national qu’international, visent à mieux se préparer aux conséquences sur vos chevaux, notre secteur, le marché équestre : des éleveurs aux enseignants, des propriétaires aux compétiteurs.



Quelques pistes à explorer pour tirer profit de cette période

A) Choisir des principes de travail

Organiser votre semaine de travail. Évitez les tentations perfectionnistes (préférez l’analyse de vos points forts et faibles) et faites des choix sans trop d’impasses. Équilibrez vos choix pour éviter de vous concentrer sur un point particulier (la grille de l’Échelle de progression peut-être un bon outil). Revenez à l’essentiel, c’est à dire aux bases, votre logique doit être celle d’un travail de fond même s’il doit être adapté à vos objectifs particuliers et bien sûr au nombre de chevaux à travailler. Pensez à diversifier vos séances dans une logique générale en évitant les réactions instinctives dues au jour le jour. C’est peut-être l’occasion d’aborder de nouvelles difficultés comme le changement de pied …, de travailler à la longe, aux longues rênes, au mur, … S’il s’agit d’un travail d’entretien (condition) assurez quand même une certaine diversité et ne prenez pas de risques sur la sécurité, ni de mise en liberté à froid !

Construire votre travail des chevaux/poneys, et particulièrement des jeunes chevaux, d’une manière logique. D’une façon générale : être clair sur les facteurs que vous allez prendre en compte (ceux de la santé, du moral et de l’Échelle de progression et des objectifs que vous vous êtes fixés). Ce sont eux qui doivent déterminer le travail de chaque cheval en préservant sa condition. Mais sortez de votre esprit des tentations diverses qui pullulent sur le net. Soyez particulièrement attentifs aux risques découlant des variations de l’effort journalier et n’hésitez pas à demander conseil à votre vétérinaire. Quoi qu’il en soit, le recours à un professionnel entraîneur ou enseignant, qui ne peuvent toutefois pas être remplacés par un écran, peut vous aider à fixer vos choix comme votre suivi et la progression de votre travail, incluant si besoin l’abord de difficultés nouvelles.


B) Anticipez et préparez le retour à la vie "normale"

Pensez à adapter progressivement votre cheval à un travail normal qui inclue les objectifs que vous aurez fixés ; il vous faudra gérer cette phase particulière avec une grande attention. Il en est de même pour le retour à la compétition (qu’on espère pour juin), mais la reprise à une situation dite « normale » reste à cette date l’incertitude majeure des cavaliers. Les nouveaux objectifs que vous vous fixerez, et que vous préparez, devront forcément s’adapter à la sortie de confinement. Envisager la suite de votre saison sportive vous parait peut-être lointain mais lorsque le calendrier pourra être fixé, tout arrivera très vite. Pour ceux qui actuellement ne peuvent travailler régulièrement leurs chevaux cette anticipation sera déterminante.

En tout état de cause, un peu de réflexion doit vous aider à faire les bons choix pour vous et vos montures. Pour bien anticiper il est indispensable de déterminer quelques outils adaptés à votre situation personnelle. Des outils pour pré-organiser votre travail, notamment : se fixer des indicateurs (suivi santé, alimentation adaptée à l’effort, ferrure, … petits bobos, bilan du travail durant le confinement, votre condition . …) ; pour la remise au travail (quelles séances, durée, …) ; pour le retour à la compétition déterminer des outils simples de planification qui soient clairs sur les objectifs atteignables, quels concours (nombre de kilomètres) ? quelles épreuves de rentrée à préparer ? (rester prudent et pas trop gourmand !).

Ces petits outils peuvent se compléter en fonction de votre situation propre et vous les utiliserez le moment venu. Le cas des jeunes enfants, des poneys, … relève d’une même préparation : anticiper. Et pour mieux préparer, surveillez les évolutions du calendrier comme pour les JO, les Championnats, les Finale : des annonces seront faites par les instances officielles.

Mettre cette période à profit repose sur un peu de réflexion (il faut se donner le temps) et sur votre capacité à vous adapter au contexte et à l’évolution de la situation. Mais en l’absence d’anticipation, les décisions seront bien moins efficaces : anticiper pour ne pas avoir à réagir au jour le jour !


C) Travaillez sur vous

Osez conduire votre propre réflexion, avec un regard sur le passé proche et les expériences à en tirer. Explorez les richesses d’internet pour trouver des vidéos, des sites spécialisés . afin de vous informer d’avantage que vous ne le faites peut-être en temps normal sur les évolutions de la discipline du dressage. Et lisez, explorez les livres, les règlements FEI et FFE, le glossaire et l’Échelle de progression… mais aussi les articles sur l’équitation.

Pour les compétiteurs internationaux, travaillez votre anglais c’est le moment ! Mettez à profit ce temps pour mieux vous informer des évolutions techniques du secteur, mais évitez les fake news qui circulent et dont les auteurs sont des auto-proclamés de la connaissance équestre ! Ils pullulent sur les réseaux sociaux. Donnez-vous les moyens et le temps de vous former par la vidéo (exemple les analyse d’Isabelle Judet) étudiez les reprises des meilleurs couples. Renforcez votre culture équestre grâce aux vidéos de stages, internet en regorge, pour se faire l’œil et utiliser aussi ce temps pour sortir de votre bulle équestre ... Mettez aussi à profit cette période pour analyser votre travail et vos concours précédents, avec les protocoles, et prenez le temps d’analyser à froid ce que vous avez présenté et comprendre comment votre travail pouvait être perçu par les juges, notamment au regard des critères de jugement. Pourquoi ne pas avoir recourt aussi au e-learning et e-training avec un entraîneur ou enseignant, en envoyant des petits séquences vidéo pour avis. Ou utiliser au mieux les dispositifs d’entraînement à distance comme par exemple Equivisio.

L’autre aspect essentiel est d’assurer le maintien de votre forme physique qu’il ne faut ni oublier, ni négliger. Pensez à une remise en forme en particulier pour les cavaliers restant à pied afin d’assurer le maintien d’une condition physique suffisante : cœur, gainage, … pour ça le vélo en salle est une très bonne piste.



Conclusion

Sans remettre en cause vos orientations de travail, réfléchissez à votre organisation pour revenir à l’essentiel, et enrichir vos connaissances autant que faire se peut, car les journées ne font que 24 heures. Ce pourrait être finalement un des bénéfices de cette situation. Mettez donc à profit cette durée pour d’une part lire, réfléchir, anticiper et d’autre part faire un travail de fond donc des bases avec vos chevaux. Pour vous enrichir personnellement et techniquement, ouvrez-vous à l’observation de ce que font les autres cavaliers. Dites-vous que si vous renforcez vos propres convictions vous n’aurez peut-être pas tiré le meilleur parti de cette période, mais si vous apprenez d’eux ce sera toujours un plus. Pensez à l’avenir, et détournez-vous des polémiques trop nombreuses et inutiles, pour anticiper vos choix. Cette situation questionne l’avenir de notre sport mais aussi l’impact économique sur l’emploi et les publics de nos structures.

Mais au final, si tout notre environnement institutionnel évolue ce sera bien vous qui déciderez, en fonction de VOTRE analyse. J’aurais donc tendance à dire : on reste calme, on fait preuve de créativité et d’adaptation. On utilise ce temps imprévu pour faire des choix et se préparer, tout en continuant à se former et s’informer sur les évolutions actuelles du dressage notamment par les vidéos et des lectures. Aux compétiteurs et professionnels je conseillerais de commencer à préparer leur communication en imaginant les scenarii de sortie. Soyez prêts sur tous les plans en gardant la cohérence avec la ligne que vous aurez choisie.

En avant !