Le Haras d’Elle, soixante ans de succès (partie 2)
Créé dans les années 1960 par Alexis Pignolet, le haras d’Elle est, depuis la disparition de ce dernier en 2013 à l’âge de soixante-dix-neuf ans, désormais géré par ses fils Bertrand, Hubert et Alain. Depuis plus de six décennies, d’innombrables champions et étalons sont nés au bord de l’Elle, la rivière normande qui a donné son nom au haras. Retrouvez la première partie ici.
Alexis, précurseur dans l’âme
Alexis Pignolet n’a pas seulement été précurseur dans l’élevage de chevaux de sport. En effet, au début des années 1990, il a développé le premier centre de transferts d’embryons en France. Très attaché au Selle Français, il aura néanmoins été l’un des premiers à utiliser un étalon étranger, Ramiro (Holst, Raimond x Cottage Son, Ps), en 1993, à l’époque où importer des reproducteurs étrangers n’était pas encore très à la mode… « La qualité de production de Ramiro était quand même largement confirmée à l’époque. Aujourd’hui, les éleveurs vont naturellement chercher d’autres reproducteurs en Europe parce qu’ils ont réussi des performances, qu’ils sont à la mode ou très chics », argumente Hubert.
Alexis monte en compétition jusque dans les années 1980, avant de progressi- vement passer la main à ses fils Bertrand et Alain, qui commençaient à faire leurs preuves en saut d’obstacles. Si Alexis rêvait de voir ses trois fils reprendre le haras, Alain –le plus doué des trois frères, selon Bertrand et Hubert – optera pour une autre voie et dirige actuellement un cabinet d’expertise comptable. Cependant, il est toujours associé à ses frères au sein du haras,dont il gère la comptabilité.
« Dans ses rêves, Papa pensait qu’Alain deviendrait le compétiteur de la famille, Bertrand l’éleveur, et moi le vétérinaire ou le marchand de chevaux », confie Hubert. « Ses trois enfants auraient occupé les trois postes clés de la structure. Avant, Alain n’était intéressé que par la compétition, mais il se mettait une pression de folie ! Papa était très bon pour lui en rajouter, et ce n’était pas tous les jours facile. Lorsque nous le voyions allumer sa cigarette en sortie de piste sans dire un mot, nous savions que nous n’avions pas été très bons… Alain a vraiment cartonné très jeune. À dix-neuf ans, il a couru le championnat de France première catégorie avec Natif d’Elle (SF, Night and Day, Ps x Francilius, Ps), qui avait seulement sept ans. Idéalement, mon frère voulait exercer un métier classique et monter à haut niveau en parallèle, afin de ne pas subir trop de pression, donc il a repris les études pendant la période Scherif d’Elle. Il est très perfectionniste : dès lors qu’il s’est installé et ne pouvait plus monter tous les jours, la compétition l’a moins intéressé. En fait, il ne voulait pas monter pour sauter des épreuves à 1,35 m de temps en temps… De mon côté, j’ai passé mon bac C (l’équivalent du bac scientifique, ndlr) mais je ne savais pas du tout vers quoi m’orienter, donc j’ai arrêté les études. Mais mes parents m’ont poussé à les reprendre, j’ai fait un peu de droit et j’ai raté le concours d’avocat. Je ne me voyais pas être salarié dans un gros cabinet ou une direction juridique. Comme Papa commençait à être capable de lâcher un peu de lest sur la gestion, je suis revenu au haras d’Elle en 2001. »
Quant à Bertrand, prendre la succession de son père est une évidence depuis l’adolescence. « Dès la quatrième ou troisième, je dessinais des plans de boxes dans mes cahiers de texte », en rigole-t-il. « Mon plan de carriè-re est écrit depuis cet âge-là. J’avais prévu de monter jusqu’à la cinquantaine, puis de transmettre le flambeau à mes enfants, si l’un d’eux était passionné. Julia, ma fille de seize ans, a l’air mordue, mais reprendre une structure comme le haras d’Elle, c’est encore autre chose… » Le Normand de cinquante-cinq ans est marié à Ana, une vétérinaire arrivée d’Argentine en 2001, en charge de toutes les prestations gynécologiques du haras. Depuis le début des années 1990, Bertrand est installé à Cartigny-L’Épinay, à six kilomètres de Moon-sur-Elle, où il a développé son propre élevage à l’affixe de Cartigny. « Au début, c’était presque un jeu », avoue l’éleveur. « Nous nous amusions à comparer cela au vin ; Papa avait le premier château, et moi la réserve ! Et la réserve, c’est moins cher ! (rires) Depuis la retraite de Papa en 2008, j’ai arrêté l’affixe “de Cartigny” et tous les chevaux naissent avec l’affixe “d’Elle”. Urano (ISO 168, SF, Diamant de Semilly x Double Espoir, étalon appartenant à Geneviève Mégret longtemps vu sous la selle de Pénélope Leprevost et concourant désormais avec Félicie Bertrand, ndlr) a été le dernier à s’appeler “de Cartigny”. »
Un élevage qui grandit
Désormais, la propriété de Cartigny héberge les juments et les poulains, tandis que les chevaux au travail vivent à Villeneuve, où habite Hubert, aux côtés de deux cents bovins pour les herbages. Les produits de trois ans sont également logés au haras d’Elle, si bien que celui-ci commençait à être un peu étroit. Hubert et Bertrand viennent donc de l’agrandir en acquérant une nouvelle structure. « Alors qu’il nous manquait des bâtiments pour héberger les poulains âgés d’un et deux ans, une ferme située à 800 m, avec deux grosses stabulations et entourée de cent trente hectares, a été mise en vente et nous l’avons achetée. Le haras va donc passer de deux cents à trois cent quarante hectares », annonce fièrement Hubert. Actuellement, il y a entre deux cents et deux cent dix chevaux sur l’exploitation pour trente à trente-cinq naissances par an et cinquante à cinquante-cinq chevaux au travail, montés par Bertrand et Hubert, assistés dans cette tâche de trois cavaliers salariés.
Outre l’élevage et la compétition, le haras dispose également d’un centre d’insémination et de transferts d’embryons, ainsi qu’une partie étalonnage, avec actuellement cinq étalons disponibles (voir encadré). Néanmoins, au niveau de l’étalonnage, les deux frères reconnaissent qu’ils ne sont sûrement pas assez performants. « Nous n’avons jamais eu la chance d’avoir des étalons stars, ou alors ils ont été vendus, comme Double Espoir ou Flipper d’Elle (SF, Double Espoir x Jalisco B). Nous n’avons jamais eu un étalon comme Diamant de Semilly (SF, Le Tot de Semilly x Elf III), par exemple ! Peut-être que ça va venir… Après, je dois reconnaître que nous ne sommes pas les meilleurs vendeurs de saillies, tout comme notre père… Nos étalons pourraient mieux s’exporter. Par exemple, Bayard d’Elle fonctionnait moyennement, puis nous l’avons vendu au haras des Princes de Marius Huchin, où il a vendu trois fois plus de saillies. Nous avons de grands progrès à faire par rapport à nos concurrents. À mon sens, il y a cinq étalonniers en France qui travaillent vraiment bien. Nous sommes ridicules à côté d’eux ! »
Si Bertrand a connu de belles années en compétition grâce notamment à des chevaux comme Rêve d’Elle (ISO 156, SF, Jalisco B x Francilius, Ps), Bayard d’Elle, Cabri d’Elle, Devinette d’Elle (ISO 169, SF, Natif de Corday x Huit de Coeur), Gare à Elle, Hortensia d’Elle (ISO 164, SF, Bayard d’Elle x Jalisco B), Richebourg (ISO 158, Bayard d’Elle x Garitchou AA), Magic d’Elle (ISO 165, SF, Adelfos x Jalisco B), Niagara d’Elle (ISO 158, SF, Quick Star x Jalisco B), Nikyta d’Elle (ISO 171, SF, Richebourg x Papillon Rouge), Nippon d’Elle, Notre Star de la Nutria (SF, Quick Star x Jalisco B), ou encore Urano de Cartigny, il a davantage laissé la place à Hubert ces dernières années. Ce dernier a connu de beaux jours avec Nilane d’Elle Z (ISO 144, Zang, Nippon d’Elle x Quick Star), passée un temps sous la selle du leader tricolore Kevin Staut et revenue au haras depuis, et Athos d’Elle (ISO 153, SF, Apache d’Adriers x Papillon Rouge), qui lui a offert une superbe victoire l’été dernier dans le Grand Prix du CSI 3* de Saint-Lô avant d’être vendu à l’Américaine Katherine A. Dinan. « Athos d’Elle m’a donné ma plus belle victoire », se souvient Hubert. « J’étais heureux de gagner à Saint-Lô, à la maison, d’autant que cela ne m’arrive pas souvent car je me mets toujours trop de pression. Là, tout le monde est resté pour la remise des prix et les gens sont venus me voir. Ils étaient vraiment contents pour moi et ça m’a fait très plaisir. Ma victoire dans l’épreuve des étalons à Bordeaux m’a aussi beaucoup marqué car j’avais fini devant l’Allemand Christian Ahlmann. Je l’ai croisé le lendemain et il m’a même dit bonjour ! J’aurais aimé garder Athos six mois de plus pour faire davantage de beaux concours, d’autant que je n’avais jamais atteint un tel niveau, mais nous l’avons vendu la semaine suivante… J’ai vraiment pensé qu’Athos pourrait bien convenir à Katherine A. Dinan car c’était un peu le même style de cheval que Nougat du Vallet. J’avais proposé un prix à son entraîneur Beat Mändli, mais je n’avais plus de nouvelles. Finalement, après notre victoire à Saint-Lô, alors qu’ils participaient à un concours à Deauville le week-end suivant, ils m’ont rappelé pour venir essayer Athos. En une journée, la vente était actée ! Le cheval ne pouvait pas mieux tomber. S’il va bien, il sautera des CSI 5*, et je sais qu’il sera traité avec soin. » Quant à lui, le Normand compte désormais sur la délicate Nilane pour retrouver les épreuves d’envergure. « J’espère vraiment arriver au haut niveau avec elle car elle a toutes les qualités requises. Mais elle n’est pas simple ! »
Si le haras d’Elle tourne bien, Hubert constate néanmoins qu’ils pourraient faire beaucoup mieux dans de nombreux domaines. « Actuellement, notre problème est une question de taille. Notre structure n’est pas petite, mais pas assez grosse. En réalité, il nous faudrait une secrétaire à plein temps, une ou deux personnes de plus pour les préparations des deux et trois ans, et un autre vétérinaire pour assister Ana, mais nous ne sommes pas encore assez “grands” pour être certains que cela soit viable financièrement. Alors, devons-nous prendre le risque ou pas ? Parfois, Bertrand reste au haras pour s’occuper de tâches qu’un salarié pourrait très bien accomplir, alors qu’il serait plus utile pour lui de se rendre à une approbation ou un grand rendez-vous d’élevage. Médiatiquement, nous ne sommes pas non plus assez présents… »
Après la vente d’Athos, le haras d’Elle fonde désormais beaucoup d’espoirs sur Eldorado d’Elle (SF, Qlassic Bois Margot x Richebourg), champion des trois ans. « Nous avons constamment eu au moins un champion dans chaque génération. Là, je crois que nous disposons d’un paquet de bons chevaux et nous comptons beaucoup sur Eldorado d’Elle, qui a tout pour devenir un vrai crack. Mais la route est encore longue », conclut Bertrand. Espérons qu’au bout, se trouve l’Eldorado pour le haras d’Elle…
Les souches
Les principaux gagnants de l’élevage d’Elle (ISO > 150)
Souche Gazelle (Ds, L’Alcazar, Ps & Bergerette x Ivanoe, Ps), 1950
1972 : Gazelle d’Elle (Uriel), ISO 174
1977 : Lady d’Elle (Night and Day PS), ISO 151
1978 : Ma Gazelle d’Elle (Uriel), ISO 150
1979 : Narcisse d’Elle (Feu Sacré), ISO 159
1979 : Natif d’Elle (Night and Day PS), ISO 159
1980 : Ocelot d’Elle (Jalisco B), ISO 159
1982 : Quel Type d’Elle (Jalisco B), ISO 161
1983 : Rêve d’Elle (Jalisco B), ISO 156
1983 : Régate d’Elle (Grand Veneur), ISO 153
1984 : Sorcier d’Elle (Uriel), ISO 150
1985 : Tic Tac d’Elle (Uriel), ISO 158
1985 : Talent d’Elle (Double Espoir), ISO 152
1986 : Une Étoile d’Elle (Jalisco B), ISO 161
1988 : Alfa d’Elle (Grand Veneur), ISO 162
1989 : Bayard d’Elle (Double Espoir), ISO 167
1990 : Cabri d’Elle (Scherif d’Elle), ISO 166
1991 : Devinette d’Elle (Natif de Corday), ISO 169
1992 : Éclat d’Elle (Galoubet A), ISO 153
1994 : Galant d’Elle (Narcos II), ISO 151
1994 : Gribouille d’Elle (Olisco), ISO 159
1995 : Héroïne d’Elle (Ramiro), ISO 162
1995 : Hortensia d’Elle (Bayard d’Elle), ISO 164
1996 : Il Est d’Elle (Caprice d’Elle II), ISO 152
1997 : Joyau d’Elle (Royal Feu), ISO 161
1999 : Looping d’Elle (Carthago), ISO 172
2000 : Magic d’Elle (Adelfos), ISO 165
2000 : Megastar de Cartigny (Quick Star), ISO 153
2000 : Mirage d’Elle (Scherif d’Elle), ICC 159
2000 : Marjolaine d’Elle (Quick Star), ISO 153
2000 : Maestro d’Elle (Royal Feu), ISO 152
2001 : Nippon d’Elle (Scherif d’Elle), ISO 172
2001 : Niagara d’Elle (Quick Star), ISO 158
2001 : Nikyta d’Elle (Richebourg), ISO 171
2003 : Pop Lady d’Elle (Quick Star), ISO 165
2010 : Athos d’Elle (Apache d’Adriers), ISO 153
Souche Pavlova des Malais (SF, Jalisco B et Gueule d’Amour x Uriel), 1981
1993 : Flipper d’Elle (Double Espoir), ISO 186
1995 : Hadji d’Elle (Bayard d’Elle), ISO 165
2007 : Tourterelle d’Elle (Kannan), ISO 157
2008 : Urano de Cartigny (Diamant de Semilly), ISO 168
Souche Ira (Tf, Galveston, Tf et Canaille, OI), 1946
1964 : Urbin (Prince du Cy), ISO 141
1980 : Olympiade d’Elle (Uriel), ISO 159
1984 : Scherif d’Elle (Jalisco B), ISO 168
1988 : Alcazar d’Elle (Quel Type d’Elle), ISO 151
1998 : Képi d’Elle (Royal Feu), ISO 161
Souche Devinette D (SF, Master Orange et Union x Plein d’Espoirs), 1947
1959 : Pacha B (Fra Diavolo PS)
1972 : Gipsy d’Elle (Nankin), ISO 152
1973 : Hardi Lord Elle (Nankin), ISO 154
Souche MAGGY DES BOULAIS (SF, Nankin et Orientale x Ibrahim), 1978
1990 : Caprice d’Elle II (Scherif d’Elle), ISO 168
Souche Folie Bergère (SF, Ibrahim et Kabyle G x Xillor, Ps), 1971
1983 : Rocket d’Elle (Grand Veneur), ISO 152
Souche Narcotique (SF, Fair Play III et Bourrée x Nickel, AA), 1979
1994 : Gare à Elle (Bayard d’Elle), ISO 163
Souche Pomme du Bosc (SF, Laudanum, Ps et Lady du Rouet x Fair Play III), 1981
2005 : Richebourg de Cartigny (Richebourg), ISO 159
Les reproducteurs du Haras d'Elle
ATHOS D’ELLE : ISO 153, Apache d’Adriers et Girouette d’Elle x Papillon Rouge et Régate d’Elle x Grand Veneur.
ELDORADO D’ELLE : ISO 130, Qlassic Bois Margot et Niade d’Elle x Richebourg et Hautesse d’Elle x Type d’Elle.
GENTLEMAN D’ELLE : Balko d’Elle et Devinette d’Elle x Natif de Corday et Nouvelle d’Elle x Huit de Coeur.
NIPPON D’ELLE : ISO 172, Scherif d’Elle et Havane d’Elle x Narcos II et Lady d’Elle x Night and Day PS.
UPSILON D’ELLE : ISO 147, Quick Star et Devinette d’Elle x Natif de Corday et Nouvelle d’Elle x Huit de Coeur.