“Nous ne sommes pas les plus à plaindre dans cette situation”, Victor Levecque

Confiné comme tous ses collègues, à défaut de pouvoir concourir, Victor Levecque goûte son plaisir de pouvoir monter à cheval tous les jours, dans l’atmosphère calme et si confortable que lui offre le haras de Bory, à La Boissière-École dans les Yvelines. Multiple champion d’Europe Jeunes de concours complet mais aussi médaillé de bronze du championnat de France Pro Élite en 2018, le Francilien prend son mal en patience, non sans hâte de retrouver le Grand National et les CCI 4*, et en profite pour approfondir son travail avec ses chevaux et pour cravacher dans ses études, qu’il poursuit à travers un cursus aménagé à Sciences Po Paris.



GRANDPRIX : Comment allez-vous et comment vivez-vous cette période de confinement?

VICTOR LEVECQUE : Tout va bien et tout est assez simple au quotidien. Je vis dans un appartement situé à cent mètres de mes écuries, au haras de Bory. Sincèrement, nous, cavaliers professionnels, ne sommes pas les plus plaindre dans cette situation, d’abord parce que nous avons le plaisir de pouvoir monter à cheval tous les jours, contrairement à tant d’amateurs. J’en profite pour bien prendre mon temps avec chaque cheval, ce qui est parfois compliqué quand on enchaîne les concours, et pour avancer autant que possible dans mes études. De plus, il fait un temps magnifique depuis quelques jours. Nous sommes certes privés de concours, mais nous faisons partie des Français les plus chanceux. Je pense évidemment aux gens qui doivent vivre tout cela en ville, et surtout au personnel médical – j’en ai dans ma famille – qui se dévoue sans relâche pour soigner les malades. 

Quel devait être votre programme de concours et à quoi pourrait-il ressembler désormais? 

Tout est évidemment chamboulé. J’avais effectué ma grande rentrée début mars à Saumur avec quatre chevaux (dont RNH Mc Ustinov et Phunambule des Auges, ses chevaux de tête, qui ont pris part à la Pro Élite support de la première étape du Grand National, ndlr). En avril, nous devions aller à Pompadour pour participer au Master Pro (qui devrait être reporté à la fin de l’été, ndlr). Ensuite, en fonction de la forme des chevaux, nous devions décider avec Thierry Touzaint (entraîneur et sélectionneur national, ndlr) si nous irions à Bramham (où se déroule chaque année le Mondial non officiel des cavaliers de moins de vingt-cinq ans, ndlr), au CCIO 4*-S d’Aix-la-Chapelle ou au Grand National de Vittel. Là, on attend évidemment de voir quand et comment les concours vont reprendre. Mais en ce moment, il y a des enjeux plus importants que le sport: une pandémie, beaucoup de malades à soigner et des règles à respecter.

Compte tenu de cet arrêt, du report des Jeux olympiques de Tokyo à l’été 2021, de l’annulation de certains concours dont toutes les étapes de l’Event Rider Masters et de la richesse du réservoir français de bons couples, la bataille s’annonce rude pour les sélections en CCI 4* et 5*…

Bien sûr, mais tout cela traduit la bonne santé du complet français, avec quelques cavaliers qui progressent fort et des champions expérimentés qui montent à nouveau des chevaux compétitifs. Tout cela nous tire tous vers le haut, ce qui est forcément positif pour la Fédération et son encadrement technique. Moi, je suis encore jeune, je continue à apprendre et j’essaie de progresser étape par étape avec chacun de mes chevaux. À moi de me hisser au niveau des meilleurs. Pour les organisateurs, j’imagine très bien à quel point cette situation doit être complexe. Notre sport n’attire pas énormément de gros sponsors et vit beaucoup du soutien de partenaires modestes et d’aides des collectivités territoriales et de la Fédération. 

Pour l’instant, nous, cavaliers professionnels, sommes tous à la même enseigne, confinés chez nous et dans nos écuries. Thierry Touzaint et Michel Asseray (directeur technique national adjoint en charge du concours complet, ndlr) nous appellent pour prendre de nos nouvelles. Nous devons rester positifs et continuer à monter nos chevaux. Pour les sélections, nous verrons bien le moment venu. Encore une fois, il y a plus grave que le sport.

 



“Garder les chevaux en forme autant que possible ”

Les cadres techniques vous donnent-ils des exercices et/ou des objectifs à atteindre à la maison?

Au tout début, on nous a donné des éléments. Désormais, le mot d’ordre général est de garder les chevaux en forme autant que possible, de ne pas tout relâcher mais de ne pas trop leur en demander non plus. Chacun s’adapte un peu cela en fonction de son piquet. Moi, je monte très peu de jeunes donc je m’attache surtout à maintenir en condition mes chevaux plus expérimentés. Comme en hiver, je reprends le travail de base sur le plat et j’essaie de faire en sorte qu’ils gardent le moral, ce qui est facilité en ce moment par le beau temps. En plus de ma carrière, je profite aussi du Spring Garden. Quand on aura une idée plus précise de la date de reprise des concours, j’entamerai un travail de remontée en puissance.

 Vous vivez et travaillez dans une structure qui grouille habituellement d’activité, entre les quelques cavaliers professionnels et les nombreux amateurs, les concours, etc. Le haras de Bory doit être très calme en ce moment…

Oui, bien sûr. Les propriétaires amateurs ne peuvent plus venir monter les chevaux qu’ils ont en pension dans les différentes écuries qui cohabitent ici. Les miens comme les autres respectent à la lettre les consignes, même si ce n’est pas réjouissant. Du coup, j’essaie de prendre un peu plus de temps pour m’occuper de leurs chevaux et je leur donne un maximum de nouvelles grâce aux moyens technologiques dont nous disposons. Je lance parfois des live en vidéo quand je monte leurs chevaux. Pour le moment, tout se passe super bien.

En ce qui concerne vos études à Sciences Po Paris, vous n’avez pas dû être trop chamboulé dans le sens où vous bénéficiiez déjà d’un emploi du temps aménagé et de conditions très flexibles…

Effectivement, cela ne change presque rien puisque j’avais déjà la possibilité de suivre un maximum de cours à distance, d’effectuer mes examens oraux en live vidéo et de rendre des travaux en ligne. La seule différence est que j’ai plus de temps. Donc j’arrive à avancer plus vite que prévu. Tout se passe bien.

Dans quel état d’esprit sont vos camarades de classe, issus d’autres sports et n’ayant pas forcément la capacité de s’entraîner aussi bien que vous?

Leur moral dépend effectivement de leur capacité à s’entraîner. Les plus pénalisés sont ceux qui pratiquent des sports collectifs, ou de combat comme le judo, ou encore les nageurs. Ils peuvent pratiquer du renforcement musculaire mais pas leur sport, contrairement à moi. Avant le report à 2021 des Jeux olympiques de Tokyo, certains de mes camarades étaient d’ailleurs particulièrement inquiets et stressés. Les autres s’organisent au mieux en fonction des règles de confinement et de leurs possibilités.

À vingt et un ans, avez-vous le sentiment, comme d’autres jeunes de votre génération, de vivre un moment historique?

Oui et non. Pour notre génération, c’est peut-être le premier événement mondial d’une ampleur aussi énorme. Pour autant, il est difficile d’en prendre la mesure quand on est dedans. Avec un peu de recul, dans quelque temps, nous nous rendrons peut-être encore plus compte de la situation. En tout cas, prendre conscience qu’une bonne partie de la planète vit comme soi dans une forme de confinement fait forcément réfléchir. Peut-être y aura-t-il des choses à revoir dans nos modes de vie? Chacun, en fonction de son rôle, de sa vie de ses désirs, fera évoluer les choses à son niveau. En attendant, il faut rester solidaire et tout faire pour dépasser cette crise au mieux et au plus vite.