“Pour une fois, je peux prendre mon temps”, Kevin Staut
Au beau milieu d’une période de confinement appelée à durer jusqu’au 11 mai en France, et qui ne débouchera pas sur une reprise directe des grands concours internationaux qu’il fréquente sans relâche depuis quinze ans, Kevin Staut assure s’être accommodé de la sédentarité que lui impose la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19. S’estimant privilégié de pouvoir pratiquer son métier et s’adonner à sa passion tous les jours dans sa structure familiale de Pennedepie, sur la côte Fleurie, le multi-médaillé et ancien numéro un mondial en profite pour prendre le temps de bien faire travailler ses chevaux et de faire connaissance avec les derniers arrivés, dont l’excellente Cheppetta. Le Normand de trente-neuf ans évoque également le report des Jeux olympiques de Tokyo à 2021 et les travaux du Club des cavaliers internationaux de jumping, qu’il préside depuis décembre 2017.
Comment vivez-vous cette période si particulière de confinement, décrétée pour endiguer la pandémie de Covid-19?
Je vais bien. Sincèrement, le moral est bon. Pour une fois, je peux prendre mon temps pour bien travailler et faire connaissance avec les chevaux qui sont arrivés récemment dans mes écuries, comme Visconti du Telman (SF, Toulon x Dollar du Mûrier), qui a été vite plongée dans le grand bain, Vegas de la Folie (SF, Castronom x Éphèbe For Ever) et Cheppetta (Holst, Chepetto x Cash). Le rythme infernal des concours, même si tout le monde sait que je suis dingue de ça depuis toujours, est mis entre parenthèses, ce qui nous donne aussi l’opportunité de réviser les bases avec chaque cheval. Il n’y a pas de challenge sportif à proprement parler, parce qu’on ne sait pas quand les concours pourront reprendre, mais je me donne de petits objectifs avec chacun. Nous nous attachons également à leur condition physique et leur moral. Comme beaucoup de professionnels le disent, je fais partie des privilégiés pouvant monter à cheval tous les jours, ce qui n’est pas le cas de tant de propriétaires qui ne peuvent plus accéder à leur centre équestre ou écurie… Pour autant, je soutiens les mesures fortes qu’impose cette crise.
À quoi ressemble l’emploi du temps de ces semaines sans concours, habituellement si rares pour vous?
Je travaille tous les jours à peu près autant. L’avantage avec les chevaux est qu’on ne ressent jamais vraiment de lassitude liée à une éventuelle monotonie. Même si l’on monte toujours les mêmes chevaux, il y a toujours quelque chose de différent à découvrir ou un petit souci technique à régler.
Leur faites-vous sauter des obstacles pour qu’ils n’oublient pas leur métier?
Oui, chaque semaine, je leur fais sauter une fois de petits exercices de gymnastique et une fois des enchaînements d’obstacles, généralement pas très haut, parce que ce n’est pas nécessaire. Cela vaut y compris pour les chevaux d’expérience. L’encadrement technique de la Fédération française d’équitation nous propose des schémas de travail pour qu’ils restent en condition et que les muscles qu’ils emploient pour sauter ne s’atrophient pas. Et puis ils ont besoin de cela, ne serait-ce que parce qu’on ne peut pas les faire passer d’un rythme de deux concours par mois à rien du tout.
Autrefois, beaucoup de chevaux se reposaient trois ou quatre mois en hiver et sautaient de façon intensive pendant huit ou neuf mois. Aujourd’hui, leurs pauses sont plus courtes mais ils concourent plutôt un peu moins souvent pour conserver un nombre annuel d’épreuves compatible avec leur bien-être et ce qu’ils peuvent nous donner dans les meilleures conditions. Évidemment, cela dépend des capacités physiques et mentales de chaque cheval. Là, cette période sans concours devrait durer trois ou quatre mois, alors si un cheval va bien, je pense qu’il est judicieux d’entretenir cette activité de saut.
“J’ai l’impression de disposer d’un super lot de chevaux”
Vous semblent-ils vivre tout cela avec bonheur?
Oui, ils m’ont l’air heureux. Il faut dire que nous avons beaucoup de soleil en ce moment, ce qui n’est pas toujours le cas à cette saison en Normandie. Ils passent un maximum de temps au paddock, ce qui leur fait nécessairement du bien. Ils en profiteraient aussi en temps normal, mais pas sept jours sur sept les semaines où ils partiraient en concours. En tout cas, eux non plus ne ressentent visiblement pas de lassitude.
Comment se passe la découverte de Cheppetta, l’ancienne jument de la Belge Céline Schoonbroodt de Azevedo, qui vous a été confiée mi-mars par Virginie Coupérie-Eiffel, Franck Uhlmann Hamon et Vivaldi-Jumping, l’écurie de groupe créée par Didier Krainc?
Tout se passe bien. Je suis très heureux qu’elle soit arrivée à la maison, qui plus est juste avant le confinement. D’ailleurs, les mesures gouvernementales ont retardé ou mis en attente d’autres collaborations qui auraient pu se nouer autour d’autres chevaux. Cheppetta, je la connaissais et la suivais depuis longtemps en concours, d’autant que je savais qu’elle pouvait changer d’écurie. D’une manière générale, entre Cheppetta, Visconti, Vegas, Tolède de Mescam (SF, Mylord Carthago x Kouglof II), Viking d’la Rousserie (SF, Quincy x Apache d’Adriers) et bien sûr For Joy van’t Zorgvliet*HDC (BWP, For Pleasure x Heartbreaker), j’ai l’impression de disposer d’un super lot de chevaux, même s’il faudra éprouver ce sentiment en concours le moment venu.
Quid de Deal de Riverland (SF, L’Arc de triomphe x Le Tot de Semilly), sept ans, et Fantastico Riverland (SF, Quatro de Riverland x Jus de Pomme), cinq ans, qui ont récemment intégré le projet Vivaldi Jumping, dans le cadre d’un partenariat avec l’élevage charentais de Riverland?
Pour l’instant, ils poursuivent leur formation en Charente avec Leslie Pelat, leur cavalière. Deal devrait arriver ici en cours ou en fin de saison, le but étant qu’il soit prêt à concourir avec moi à huit ans. Pour ne rien cacher, j’ai aussi un problème de place en ce moment puisque j’ai treize chevaux et plus un seul box disponible. J’ai prévu d’en faire construire de nouveaux, mais ce projet est un peu ralenti par la situation actuelle. Avec Leslie et Mickaël Varliaud (propriétaire de l’élevage de Riverland, ndlr), nous avons décidé d’entamer une collaboration sur ces deux chevaux mais aussi d’essayer, à moyen ou long terme, de sélectionner chaque année les meilleurs produits de l’élevage pour les former et les valoriser dans les meilleures conditions, sur place ou à Pennedepie en fonction de nos sentiments et de ce qui conviendrait le mieux à chaque cheval. En tout cas, nous échangeons beaucoup, et cela semble très prometteur pour l’avenir.
Outre les chevaux cités précédemment, Estelle Navet, qui travaille avec moi depuis quelque temps, prend le temps de le faire avancer de très bons jeunes des Baldeck et de propriétaires qui travaillent avec eux. J’ai également deux bons mâles de sept ans: Celantus (OS, Cellestal x Catoki), qui arrive de Finlande, et Dandy de Fuyssieux (SF, Air Jordan x Royal Feu), propriété de Geoffroy Bouret, qui l’a fait naître et monté. Franchement, tous ces projets me motivent beaucoup.
“Le report des Jeux constitue une chance pour l’équipe de France”
Comment avez-vous accueilli le report d’un an des Jeux olympiques de Tokyo au regard de vos chances d’y participer?
D’abord, même si l’on ne doit pas oublier tous les gens qui souffrent et meurent du Covid-19, qui a provoqué cette décision historique, d’un strict point de vue sportif, le report des Jeux constitue une chance pour l’équipe de France. Celle-ci est en reconstruction. Si les Jeux avaient bien eu lieu cette année, chaque couple sélectionné aurait donné le meilleur de lui-même, mais les chances de médaille auraient sans doute été limitées. Disposer d’un an de plus devrait permettre aux cavaliers d’éprouver davantage leurs chevaux et donc à la France de présenter un collectif plus aguerri.
Compte tenu du report des Jeux olympiques et de l’annulation de très nombreux grands concours, quels rendez-vous considérez-vous désormais comme des objectifs?
Je citerai évidemment les CSIO 5* d’Aix-la-Chapelle et Calgary, que j’adore et qui risquent de se disputer tous deux au mois de septembre, ainsi que la finale mondiale du circuit FEI des Coupes des nations, programmée début octobre à Barcelone. Ces trois échéances seront très rapprochées, mais les sélectionneurs nationaux devraient disposer de suffisamment de couples pour composer de belles équipes à chaque fois. Ensuite, nous tomberons très rapidement dans la saison indoor.
L’absence de concours vous permet-elle de consacrer plus de temps à votre mandat de président du Club des cavaliers internationaux de jumping (IJRC)? Entre la gestion du classement mondial, le nouveau système d’invitation en CSI, la volonté d’adapter les règlements antidopage aux risques de contamination, le problème des pay-cards et le soutien aux Coupes des nations, les chantiers ne manquent pas…
Oui, en effet. Durant les deux premières semaines, nous avons concentré nos efforts sur la gestion de la crise, avec la cascade d’annulations et de demandes de report de concours, puis sur l’adaptation à cette situation exceptionnelle de la formule du classement mondial (dont l’IJRC est propriétaire, ndlr). Cela peut sembler dérisoire par rapport aux enjeux sanitaires de cette crise, mais cela conditionne un juste fonctionnement du système d’invitation en CSI une fois que la compétition pourra reprendre ses droits. Nous espérons pouvoir vivre au moins deux mois de saison extérieure, avec un calendrier qui risque d’être extrêmement dense…
Pour les autres problèmes, qui demeureront à la sortie du confinement, nous travaillons autant mais peut-être plus sereinement que d’habitude, où nous devons nous dégager du temps en début de semaine et le jour d’ouverture des concours. En tout cas, nous faisons tout pour proposer des idées qui favorisent le meilleur de notre sport et le respect du bien-être de nos chevaux.
Compte tenu de la crise économique qui guette le monde, et du désengagement inévitable de sponsors, ne craignez-vous pas que les organisateurs aient encore plus recours aux pay-cards pour boucler leurs budgets?
Nous discutons de cela au sein de l’IJRC en ce moment. Il s’agira de relancer la compétition dans les conditions les plus justes possibles. Le système d’invitation de la Fédération équestre internationale (FEI) protège mieux des excès les CSI 4* et 5* qu’autrefois mais il y a aussi beaucoup de pay-cards, bien plus qu’on ne l’imagine, en CSI 3* et 2*. Ces concours-là vont sûrement être les premiers à reprendre, donc il faudra surveiller tout cela avec beaucoup de vigilance. Les règles doivent demeurer les mêmes et être correctement appliquées parce que les CSI représentent la vitrine de notre sport. D’une certaine manière, j’espère que cette crise nous permettra d’assainir ce qui doit l’être. Comme les marchands et surtout les centres équestres, les écuries de propriétaires et les éleveurs, les organisateurs en souffrent, on le sait, mais il ne faut pas transiger sur la qualité du sport. De même, les cavaliers devront se comporter avec responsabilité dans leurs choix et vis-à-vis du bien-être de leurs chevaux. Nous devrons tous faire preuve de solidarité pour faire redémarrer correctement cette industrie.