Apache d'Adriers, un étalon tout sauf démodé
Disparu il y a un peu plus de dix ans, Apache d’Adriers a non seulement réussi une brillante carrière internationale, mais aussi laissé une production de grande qualité avec des chevaux au très bon tempérament. S’affirmant également en remarquable père de mères, le Selle Français est toujours disponible à la monte grâce à sa semence congelée.
Même s’il n’est pas né en Vendée, mais un peu plus au sud-est, à Mouterre-sur-Blourde, dans la Vienne, entre Poitiers et Limoges, Apache d’Adriers peut être considéré comme un vrai Vendéen au regard de son pedigree, puisqu’il est issu du croisement entre Double Espoir (SF, Ibrahim), un étalon né chez Alexis Pignolet mais ayant accompli toute sa carrière au Haras national de La Roche-sur-Yon, et d’une souche maternelle locale. Apache a vu le jour en 1988 à l’élevage d’Adriers, de la famille Brugier. “Nous gérions l’élevage à trois avec mon père, Auguste, et mon frère Dominique“, raconte Henry Brugier. “Mon père élevait des bovins et des moutons et avait des chevaux de trait pour le travail. Au milieu des années 1960, je montais en concours et en course. Mon frère a suivi, mais il était plus mordu de complet et de horse-ball. Concernant cette discipline, il a d’ailleurs été l’un des précurseurs en France avec les frères Depons. Après nous être lancés dans l’élevage avec une première jument qui n’a rien donné, nous en avons acheté d’autres dont Lodessa (ISO 136, SF, Double Espoir et Odessa Z par Fra Diavolo, Ps), qui a concouru en classes A avec Pierre Jarry. Elle nous a donné Atoll d’Adriers (SF, Grand Veneur). Mon frère a présenté Atoll et Apache au concours des étalons et tous deux ont gagné leur section : Atoll dans les tailles moyennes et Apache dans les grandes tailles. Dominique est décédé en 1991 d’un accident de voiture. À l’époque, je travaillais dans l’industrie pharmaceutique. J’ai continué quelque temps puis j’ai repris l’exploitation en 1997.“
Après Lodessa, les Brugier portent leur dévolu sur Joyeuse de Choisy (SF, Felix, Ps x Invincible), une poulinière alors âgée de dix ans et stationnée chez Gérald Demory, à l’élevage de Gamet, dans l’Oise. “Nous avions appris que Joyeuse était à vendre. Ses origines nous plaisaient d’autant plus que Violette O, sa mère, était une propre soeur de Nouba D (SF, ISO 130), une légende en Vendée, contre laquelle je m’étais battu en concours ! Elle appartenait à Léon Bureau, un agriculteur qui la faisait travailler aux champs toute la semaine. Il la faisait saillir, l’amenait sur les terrains de concours et trouvait un cavalier pour la monter dans les épreuves à 1,30 m et 1,35 m, et elle gagnait tout en étant pleine et suitée. En termes de solidité d’une souche, cela vaut toutes les visites vétérinaires du monde ! C’est pourquoi nous nous sommes intéressés à Joyeuse“, raconte Henry Brugier, qui va prochainement quitter la Nouvelle-Aquitaine pour s’installer aux portes de Saint-Lô, dans la Manche. De fait, Joyeuse de Choisy est issue d’une souche très prolifique, où l’on retrouve pléthore de SF gagnants à chaque génération, dont les internationaux Oz de Brève (ISO 184, Dollar du Mûrier x Grand Veneur), Gabelou des Ores (ISO 179, Pamphile x Double Espoir), champion de France avec Stephan Lafouge, Kysra d’Auzay (ISO 170, Phoenix x Beau Fixe, Ps), Otello du Soleil (ISO 169, Alligator Fontaine x Papillon Rouge), Opéra des Loges (ISO 169, Fétiche du Pas x Double Espoir), Fleurette (ex-Vvaramog de Brève, ISO 168, Verdi TN x Concorde), lauréate l’an passé d’un Grand Prix CSI 4* à Grimaud et du Grand Prix CSI 4*-W de Washington avec l’Américaine Laura Kraut, Rajah de Laleu (ICC 165, Laudanum, Ps x Beau Fixe, Ps), Nouma d’Auzay (SO 160, Carthago x Quidam de Revel), ou encore Twig du Veillon (ISO 160, Diamant de Semilly x Tornado d’Hotot).
Jacques Bonnet, une rencontre décisive
Avant d’arriver chez les Brugier, Joyeuse de Choisy avait déjà donné plusieurs poulains, dont Pivoine de Choisy (ISO 151, SF, Double Espoir), une jument très prometteuse qui évoluait sous la selle de Jacques Bonnet. “Un jour, Dominique Brugier, qui était un ami, m’a annoncé qu’il avait acheté la mère de Pivoine et m’a demandé avec quel étalon je lui conseillais de la croiser. Je lui ai alors dit que je lui achèterais le poulain s’il choisissait Double Espoir. Aimant bien Pivoine, j’espérais que Joyeuse donnerait un propre frère ou une propre soeur. Quand Apache est né, Dominique m’a demandé si j’étais toujours intéressé, ce qui était le cas. Comme le poulain lui plaisait bien, il voulait en conserver la moitié. Dominique l’a élevé puis nous l’avons présenté au concours des étalons de Saint-Lô, où il a été acheté par les Haras nationaux. À l’époque, le propriétaire gardait un moment son cheval et lui faisait passer le testage avec le cavalier de son choix. Pour Apache, ce fut donc moi“, raconte le cavalier de Seine-et-Marne.
Vite séduit par l’alezan, il intercède auprès des Haras nationaux pour pouvoir le conserver sous sa selle. “Quand il avait quatre ans, je ne pouvais évidemment pas prédire qu’il deviendrait un cheval de Grands Prix, mais quand je lui ai fait sauter ses premiers obstacles, j’ai senti qu’il était doué et qu’il avait une bonne tête. Il avait un bon équilibre naturel, ce qu’il n’avait pas hérité de Double Espoir, dont les produits pouvaient être un peu sur les épaules. À cette époque, pendant leur période de testage à quatre ans, les étalons nationaux n’étaient pas encore affectés à un haras précis. Quand j’ai vu qu’Apache sautait bien, j’en ai fait part à Emmanuelle Bour, alors directrice du Haras des Bréviaires, en lui disant qu’Apache était bon et qu’il serait peut-être intéressant qu’il reste dans la circonscription, ce qui me permettrait de le garder. Il a réussi une première saison géniale sur le Cycle classique, conclue par un titre de champion de France. Tous les Haras l’ont demandé, mais comme Emmanuelle Bour avait déjà posé une option, il est resté aux Bréviaires. À cinq ans, il a contracté une hernie inguinale et n’a pas concouru. Je l’ai récupéré à six ans et il a réussi un très bon championnat, terminant sixième.“
Apache poursuit sa progression avec Jacques Bonnet, glanant une médaille de bronze dans le Critérium Première Catégorie à huit ans, avant d’intégrer l’équipe de France l’année suivante, en 1997, se classant notamment deuxième des Grands Prix de Madrid et Barcelone et quatrième à Lisbonne. Le couple devient l’un des piliers de l’équipe de France pendant plusieurs années. Lauréat des Coupes des nations de La Baule et Rome, cinquième par équipes des championnats d’Europe d’Hickstead en 1999 et classé dans de très belles épreuves, il lui a juste manqué une belle victoire dans un Grand Prix international. “Je garde plein de bons souvenirs avec lui, comme son premier championnat de France au Touquet, qui était énorme et où il avait très bien sauté, nos deuxièmes places dans les Grands Prix de Madrid et Barcelone ou encore notre quatrième place dans celui de Modène. Nous avons participé deux fois au CSIO d’Aix-la- Chapelle et nous sommes souvent classés dans de gros Grands Prix. En revanche, nous n’en avons jamais gagné un. Apache est incontestablement le meilleur cheval de ma carrière. Arrêté en 2002, il n’a pas eu une très longue carrière, mais il faisait la monte en parallèle. Quand il rentrait de Rome ou d’Aix-la-Chapelle, par exemple, il devait monter sur le mannequin le lundi, ce qui le fatiguait et n’a pas favorisé sa longévité“, précise Jacques Bonnet.
Des gagnants internationaux dès la première génération
Ayant débuté la monte à cinq ans, Apache d’Adriers a démontré son potentiel de reproducteur dès sa première génération de produits, tous SF. Sur les dix-huit nés en 1994, quinze ont évolué en compétition et neuf ont été indicés au-dessus de 120, dont les très bons gagnants Granit Platière (ISO 141, mère par Nankin) et Gazelle Sange (ISO 150, mère par Starter) ainsi que les très bons internationaux Gapache d’Adriers (ISO 160, mère par Muguet du Manoir) avec Gilles Bertran de Balanda et Gloria de la Roche (ISO 168) avec Ludovic Leygue. Plus surprenant, on trouve également un international en dressage, Galant du Serein (SF, mère par Jalmé des Mesnuls), qui a participé aux Jeux olympiques d’Athènes en 2004, aux Jeux équestres mondiaux d’Aix-la-Chapelle en 2006, ainsi qu’à la finale de la Coupe du monde de Las Vegas en 2005 sous la selle de l’Américain César Parra. La génération suivante confirme cette tendance, grâce notamment à Héritière d’Adriers (ISO 169,), valorisée par Philippe Rozier, et surtout Hydra des Ibis (ISO 180), rebaptisée Mme Pompadour M. Montée en CSI par le Suisse Fabio Crotta, cette géniale jument prend part aux JO d’Athènes puis aux championnats d’Europe de San Patrignano en 2005, où le couple obtient une médaille d’argent par équipes et la huitième place individuelle. Après une participation aux Européens de Mannheim en 2007 avec l’Espagnol Gonzalo Testa, Mme Pompadour passe sous la selle de Michel Robert, qui la classe dans de nombreux Grands Prix. Elle achève sa carrière avec l’Espagnol Sergio Álvarez Moya, participant aux championnats d’Europe de Windsor en 2009.
Vient ensuite Idem de B’Neville (ISO 179, mère par Quastor), qui permet à Jérôme Debas-Montagner de s’illustrer au plus haut niveau. Après une victoire dans le Critérium Pro 1 en 2006, le couple finit troisième du championnat de France Pro Élite l’année suivante, remporte la Coupe des nations de Linz et le Grand Prix CSI 4* de La Bagnaia et se classe deuxième du Grand Prix CSIO 5* d’Hickstead. Cet étalon national à la production sans relief n’en accompagne pas moins l’émergence d’Émeric George et Marlène Gaspard en équipes de France Jeunes. Naissent encore d’autres excellents produits d’Apache comme Kanthaka de Pétra (ISO 172), très performant avec Julien Épaillard, Kapitol d’Argonne (ISO 173), membre de l’équipe italienne aux JEM d’Aix et Lexington sous la selle d’Emilio Bicocchi, Lifou (ISO 170), classé en Grands Prix CSI 4* avec l’Allemand Franz-Josef Dahlmann, Mélodie Ardente (ISO 179), double médaillée d’or des Jeux méditerranéens de Pescara en 2009, lauréate de la Coupe des nations de Gijón et classée en Grands Prix CSI 5* avec Simon Delestre, Sirène de la Motte (ISO 169), double médaillée d’or des Jeux panaméricains de Lima l’an passé avec le Brésilien Marlon Módolo Zanotelli, ou encore Neuf Decoeur Tardonne (ISO 167), membre de l’équipe de France Jeunes Cavaliers avec Igor Kawiak.
Cette liste s’allongera peut-être encore dans les années à venir, avec des chevaux encore jeunes mais prometteurs, qui ont tous effectué leur meilleure saison en 2019 : Vackanda de Lojou (ISO 157, mère par Diamant de Semilly) avec Benoît Cernin, Arpège du Ru (ISO 161, mère par Quat’Sous) avec l’Égyptien Abdel Saïd, As de Mai (ISO 160, mère par Kannan) avec Jérôme Hurel avant d’être exporté au Japon, ou Athos d’Elle (ISO 153, mère par Papillon) avec Hubert Pignolet avant d’être vendu à l’Américaine Katherine Dinan.
Un excellent père de mères
Pour Jacques Bonnet, les principales qualités d’Apache d’Adriers, mort en août 2009, étaient “sa bravoure, son équilibre naturel, sa très bonne technique, son élasticité, sa légèreté et sa bouche en or. En revanche, il n’avait pas un très bon galop, parce qu’il n’utilisait pas suffisamment ses jarrets. Pour autant, il s’en servait très bien pour sauter. Apache a été un bon reproducteur parce que ses qualités étaient naturelles et donc transmissibles, contrairement à celles d’autres chevaux plus “fabriqués”. Il était compétitif et entrait toujours en piste pour bien faire. Ayant monté quelques-uns de ses filles et fils, je trouve sa production super. Ce sont des chevaux gentils et qui essayent toujours de bien faire. Je pense qu’Apache est le meilleur fils étalon de Double Espoir. Il a aussi produit des chevaux un peu communs, mais compétitifs à leur niveau. Apache avait suffisamment de sang pour s’illustrer en concours, mais il n’en débordait pas, donc les juments assez près du sang lui ont toujours bien convenu.“
Henry Brugier rejoint Jacques Bonnet quant aux qualités que transmet Apache, soulignant de surcroît sa très bonne fertilité. Cependant, il regrette qu’aucun de ses fils ne se soit encore réellement affirmé en tant qu’étalon. “Il a été un très bon père, mais aussi un excellent père de mères, que l’on retrouve notamment chez Rock’n Roll Semilly (ISO 174, SF, Diamant de Semilly), Ratina d’la Rousserie (ISO 168, SF, Quincy) et son propre frère Viking (ISO 165, SF), Rokfeller de Pléville (ISO 182, SF, L’Arc de Triomphe), Nokia de Brekka (ISO 176, SF, Quick Star), Olympic de Chamant (ISO 160, SF, Gentleman IV). Sans oublier Sultane des Ibis (ISO 173, SF, Quidam de Revel x Élan de la Cour), arrière-petite-fille d’Apache. En revanche, on n’a pas encore vraiment vu de fils étalon d’Apache à sa hauteur. Athos d’Elle, qui n’a malheureusement pas trop produit, est sa copie conforme.“
À ce titre, il faudra cependant suivre la production de Kapitol d’Argonne, qui n’a véritablement commencé la monte que depuis son retour en France, mais qui compte quelques produits intéressants dans sa première génération, désormais âgée de sept ans. Quoi qu’il arrive, on n’a donc pas fini d’entendre parler d’Apache d’Adriers, d’autant que son stock de semence congelée n’est pas encore écoulé.
Cet article est paru dans le magazine GRANDPRIX du mois de février.