Les chevaux de Marie-Charlotte Fuss se mettent au vert
C’est une tournure radicalement différente qu’a récemment donnée à son système sportif Marie-Charlotte Fuss, espoir du complet français, sacrée championne d’Europe par équipe et en individuel à Montelibretti en 2016 avec Sillas de la Née (Würt, Sir Oldenburg x Araconit). Depuis mi-mars, ses chevaux goûtent la vie au grand air 24h/24 à Contigné (49), à une vingtaine de kilomètres du haras du Lion d’Angers où ils résidaient depuis fin 2018. Un changement de cap visant à conjuguer éthique et performance.
Marie-Charlotte Fuss est prudente : elle sait qu’elle aborde un sujet délicat et se défend de tout « extrémisme », courant aujourd'hui quand il est question de bien-être animal. « Mes parents (ndrl, Thierry et Irmine Fuss, tous deux vétérinaires) et moi pensions depuis longtemps à ce passage permanent au pré ou paddock, convaincus que nous sommes que les chevaux doivent vivre dehors pour respecter au mieux leurs besoins physiologiques. » Pas directement engagée dans le débat mais consciente de l’état et des enjeux de la filière équine, elle s’interroge. « Chacun fait du mieux qu’il peut, mais alors que les mentalités évoluent à grande vitesse, sommes-nous capables de répondre aux reproches qui nous sont adressés ? Je ne dis absolument pas qu’il faut sortir tous les chevaux des boxes. Nous avons choisi un mode de fonctionnement particulier, qui permet aussi de soulager les personnels d’écurie puisqu’ils sont dispensés de cette lourde tâche qu’est le curage. Nous le partageons, et si des gens s’y reconnaissent, tant mieux. Mais nous ne souhaitons pas créer de polémique ni nous édifier en exemple. Et je suis ouverte au fait que ce système puisse ne pas fonctionner. »
La performance à haut-niveau comme finalité constante
Sur ces bases posées sans ambages, le pas s’est joué sur une opportunité : celle de pouvoir placer la quinzaine de chevaux dont elle est propriétaire ou dont elle a la responsabilité, en pension au pré. « Nous avons découvert cette structure de Contigné par hasard. Cela tombait parfaitement bien car elle se situe à quinze kilomètres de là où j’habite, de sorte que je n’ai même pas eu à déménager. Tout s’est fait naturellement. » Là, sur 70 hectares, la cavalière dispose d’un manège, d’une carrière, d’un rond de longe, de stabulations qui pourraient être utilisées en cas de blessure, d’accueil d’un étalon ou de départ matinal en concours, de douze paddocks avec abri individuel, et de deux grandes prairies. L’une d’elles est d’ores et déjà occupée par huit chevaux, dont Sillas de la Née et Under de la Roque (SF, Capital x Quercus du Maury), sa monture de tête. Le travail du cross se poursuivra au Lion d’Angers, où elle utilisera également la piste de galop. Car si les moyens changent, la finalité reste la même : la performance sportive à haut-niveau. « Si tout va bien à la maison mais qu’il n’y a plus de résultats en concours, cela va poser problème… ».
Des enjeux propres à la gestion des chevaux vivant dehors
Pour maximiser ses chances de réussite, la jeune championne a cerné des enjeux spécifiques à la gestion d’un piquet de chevaux vivant en extérieur, dont l’alimentation et la podologie. Au menu : fourrage à volonté pour les chevaux au paddock, herbe pour les autres, et deux rations quotidiennes de concentré pour chacun. Les soins des pieds s’inscrivent dans la droite ligne de ce qu’elle pratiquait jusqu’alors, puisque 80 % de ses complices étaient déjà pieds-nus. « Avant le déménagement, ne restaient ferrés qu’Under et deux chevaux de propriétaires. Nous les avons déferrés afin d’éviter toute interaction avec le maréchal pendant le confinement. Pour la suite, nous ajusterons. J’ai constaté au fil des saisons que les chevaux peuvent aller nu-pieds même sur des terrains gras en cross. Mais je ne laisserai pas déferré par principe un cheval qui aurait besoin de fers ».
La Toulousaine d’origine compte aussi introduire une approche comportementale dans sa démarche. « Ces derniers temps, qui plus est vu l’engagement que me demandaient mes études, j’ai eu le sentiment d’entrer dans une forme de routine et de gérer les chevaux en boxes à la chaîne. Depuis trois semaines, je passe des heures à les observer dehors. » Du temps perdu ? Certainement pas ! « Voir comment ils interagissent les uns avec les autres me permet d’en apprendre beaucoup sur le comportement et les réactions de chacun. Cela va me faire gagner du temps pour le travail. » Un travail qui se déroulera sous la selle, mais aussi à pied, et déjà sur des problématiques d’éducation de base. La cavalière serait-elle adepte de l’éthologie ? Ce n’est pas aussi net. « Pour moi, l’éthologie est une science plutôt que quelque chose que l’on pratique. Pour autant, j’adore le travail à pied, parfois plus que monter. Et je suis beaucoup Andy Booth (ndrl, référent en équitation éthologique, longtemps figure de proue du Haras de la Cense), dont je suis inscrite à l’une des formations. Cela permet d’apprendre et invite à se remettre en question. Le cheval montre-t-il de la mauvaise volonté, ou est-ce moi qui lui demande mal ? »
S’il est trop tôt pour tirer un bilan de son changement de système, Marie-Charlotte relève déjà une évolution notable du comportement de certains de ses chevaux. Pour les partager, ainsi que des retours de terrain et résultats d’expérimentations, positifs ou négatifs, et des données scientifiques vétérinaires, ses parents et elles ont créé Ekiway, une page Facebook dédiée. « Nous avons voulu faire connaître la réalité de notre projet au grand public, mais aussi fédérer des initiatives qui vont dans ce sens. Et rassembler des sponsors et partenaires qui souhaiteraient se joindre à nous. Nous avons déjà eu quelques contacts d’entreprises qui se reconnaissent dans ce projet. ». En outre, l’amazone peut compter sur des partenaires fidèles ainsi que sur ses propriétaires, dont aucun n’a fait défaut quand elle leur a proposé ce changement de cap. Au contraire, plusieurs d’entre eux, éleveurs, l’aident à opérer la transition en apportant expérience et savoir-faire.
Dès lors, la cavalière se montre résolument optimiste quant à la suite, lorsque le contexte permettra d’y voir plus clair. Pour le moment, ses chevaux ne font que du travail à pied et sont montés une ou deux fois par semaine pour les entretenir. « Ils sont comme en vacances. Mais finalement, ce confinement ne tombe pas mal pour eux, puisqu’il leur faut encaisser le déménagement et les évolutions récentes ». L’objectif de faire un premier CCI4*-L à l’automne avec Under de la Roque devra manifestement être réajusté. Et une incertitude pèse sur le programme à venir du valeureux Sillas, dix-sept ans, dont cette saison devait être la dernière avant la retraite. Quant au travail de formation des chevaux de six et sept ans qualiteux mais n’ayant jamais couru en complet, il va être décalé d’un an. L’un d’eux pourra-t-il offrir à sa cavalière une participation aux Jeux Olympiques de Paris 2024 ? « Je vise bien sûr cette échéance, mais il faut rester lucide. Aujourd'hui, je suis bien incapable de dire si j’aurai le niveau pour y participer, ni si j’aurai le cheval pour. Je veux avant tout me faire plaisir et aller le plus loin que je pourrai ».