" Il ne faudrait pas que la situation perdure au-delà de l’été, sinon notre filière aura énormément de mal à s’en remettre ", Sylvain Massa
On ne présente plus l’élevage Massa, un des plus réputés dans le monde du dressage de haut niveau. Quatre cent chevaux répartis sur trois sites totalisant deux cent cinquante hectares, cent quarante poulinières, quatre-vingt-dix poulains attendus cette année, dix cavaliers de débourrage, de valorisation et de compétition, une équipe de vingt personnes réparties entre la gestion des prés, les écuries, la jumenterie et le centre d’insémination, l’ensemble étant dirigé par Anne-Sophie de la Gatinais, la compagne de Sylvain Massa, fondateur de la structure. Sans oublier Anne-Sophie et Arnaud Serre, leur fille Mathilde et leur cavalier, qui ont par ailleurs chez eux un piquet de vingt-cinq chevaux Massa de niveau Grand Prix. Comment une structure d’une telle ampleur s’adapte-t-elle à la crise que le monde traverse ? Comment voit-elle l’avenir ? Sylvain Massa a répondu aux questions de GRANDPRIX.
Quel impact majeur a la crise sanitaire que le monde traverse actuellement sur votre activité ?
Nous avons dû essuyer deux grosses déceptions. La première, c’est la suppression des Jeux olympiques. Nous nous étions extrêmement préparés, et savions, juste avant l’annonce du report, que nous avions de grandes chances de voir deux de nos chevaux dans l’équipe de France et entre quatre et six autres dans les équipes d’autres pays. Vous imaginez, cela aurait pu faire 10 % des chevaux de dressage présents aux Jeux issus de chez nous, la consécration ! La seconde se situe clairement au niveau commercial. Nous sommes certes un gros élevage, mais nous préparons aussi des chevaux dans le but de les vendre. Avant l’annonce du confinement et la fermeture des frontières, onze visites étaient prévues avec des acheteurs vraiment sérieux venus des quatre coins du monde. Tout a été annulé. Il y a également une écurie partenaire en Floride où nous avons en permanence plusieurs chevaux à la vente. Avant que Wellington se vide, les trois qui étaient présents là-bas étaient quasiment vendus… Avec ces déconvenues commerciales, c’est notre chiffre d’affaires de l’année qui s’envole !
Mais alors, comment gérez-vous la situation d’un point de vue financier ?
C’est d’autant plus compliqué que nous avons fait le choix de conserver l’intégralité de notre personnel en activité, soit trente-cinq personnes. Et même si j’ai conscience de faire partie des privilégiés (Sylvain Massa est un industriel possédant de nombreuses entreprises florissantes dans le secteur de l’automobile, ndlr), il ne faudrait pas que cela dure trop longtemps… Les banques sont frileuses à l’égard du secteur équestre, donc nous, éleveurs, ne pouvons pas compter sur elles pour nous soutenir en cas de coup dur. Déjà qu’il a été difficile pour nous d’affronter la hausse de la TVA, qui a tué la moitié de la filière…
Comment dans ces conditions plutôt désastreuses envisagez-vous alors l’avenir ?
Concernant l’élevage, si la situation dure au-delà du mois de juin, s’il n’y pas pas une reprise des concours, si la semaine de l’élevage à Saumur est annulée, il faudra que tous les jeunes chevaux actuellement au travail retournent au pré, ce qui représente une quarantaine d’individus, et en conséquence je n’aurai pas d’autre choix que de mettre une bonne partie de l’équipe au chômage partiel. J’ai déjà pris la décision de diviser par deux le nombre de saillies cette année, au lieu d’en faire quatre-vingts, on n’en fera que quarante, peut-être même moins, ce qui va évidemment faire un gros vide dans quatre ans ! Pour le commerce, on est assez confiant quant au retour des clients internationaux car, les Jeux ayant été décalés d’une année, ils auront jusqu’au 31 décembre pour s’équiper… Il faut donc juste que la reprise ne tarde pas trop ! Après, se pose quand même la question des moyens pour certains, selon l’impact financier que cette crise aura sur eux, et des déplacements : à ce jour, une réouverture des frontières n’est pas prévue, et quand bien même ce serait le cas, oseront-ils les franchir ? Il y a tant d’incertitudes…
Vous avez 71 ans… Vous faites donc partie de la tranche de la population dite « à risque », comment gérez-vous vos entreprises et votre structure équestre en période de confinement ?
Pour ce qui est de mes entreprises industrielles, 50 % sont à l’arrêt. Je gère celles qui perdurent par visioconférence, je suis constamment en contact par mail et téléphone avec les cadres, ce qui représente quatre heures par jour. Concernant les chevaux, on ne baisse pas les bras, on profite du temps inédit qui nous est imparti pour les travailler encore mieux qu’à l’accoutumée ! On a quand même quatre-vingts chevaux au travail, dont neuf qui sont actuellement préparés par les Serre pour les Jeux olympiques de Paris (2024). Ceux-ci m’envoient habituellement tous les jours deux ou trois vidéos par Whatsapp, et là je vois les progrès particulièrement phénoménaux des chevaux là-bas, grâce notamment à leur fille surdouée qui, n’allant plus à l’école peut monter toute la journée ! Et à la maison, je me régale : étant donné que normalement, je travaille toute la semaine, je ne vois évoluer les chevaux que le samedi matin, c’est ma compagne Anne-Sophie qui s’occupe de tout, la gestion courante de l’élevage et le suivi de la valorisation. Là, je peux les observer chaque jour. Nous avons un terre-plein qui surplombe les carrières, je peux donc regarder les cavaliers travailler et leur donner mes directives tout en respectant les distances de sécurité. J’en profite pour exprimer ici ma reconnaissance envers mon équipe, qui est absolument extraordinaire, et dont chaque membre continue à œuvrer avec un professionnalisme et une motivation inébranlable.