"On ne peut pas être partenaire d'un événement depuis des années et laisser les organisateurs tout seuls face aux difficultés", Caroline Sablereau

Directrice générale de la laiterie de Montaigu, entreprise du secteur laitier très réputée, gérante de l'écurie Cy Farm et propriétaire de chevaux de haut niveau, Caroline Sablereau est également une figure du sponsoring dans le saut d'obstacles de haut niveau. Alors que les inquiétudes vont bon train en ce qui concerne la volonté et la capacité des sponsors à contribuer à la relance des compétitions équestres, qui de mieux pour parler du sujet qu'un partenaire d'événements lui-même ? La trentenaire, confinée dans sa belle Vendée, livre son analyse sur la situation.



© Collection privée

Comment se passe le confinement pour vous ? 

Tout va bien ! Comme beaucoup de vos interlocuteurs l'ont déjà dit, je pense qu’il y a plus à plaindre que nous, d'autant que nous habitons en Vendée, l'un des territoires les moins touchés par l'épidémie de Covid-19. Nous avons aussi la chance de pouvoir continuer à travailler car la laiterie de Montaigu est une entreprise agroalimentaire. Nous nous sommes organisés pour que tous nos employés puissent être en sécurité, alliant distanciation sociale sur le terrain et télétravail. 

Comment se portent vos chevaux ? 

Ils vont tous très bien aussi ! Ils peuvent profiter de leurs six hectares de pré et y vont tous les jours, comme d'habitude. Leur entraînement est davantage un travail d’entretien et donc moins intense, car nous avons tout de même peu de visibilité sur la date de la reprise des compétitions. Ce n’était vraiment pas la peine de poursuivre le même travail que d'habitude. En temps normal, nous nous basons déjà sur un système plutôt lent avec les chevaux, à qui nous laissons toujours beaucoup de temps. Comparé à d'autres, nos chevaux disputent beaucoup moins de concours, donc cela ne change pas tant que ça leur rythme. Après, il est clair qu'ils sont très en forme et qu'ils ont tous envie de retourner en concours pour se défouler ! 

Vous avez également participé à l’élan de solidarité afin d'accompagner les structures équestres françaises qui se retrouvent en difficulté financière à cause de cette crise. Pouvez-vous revenir sur votre initiative ? 

Nous devons tous être solidaires. La laiterie de Montaigu est très investie dans les sports équestres depuis environ dix ans. La semaine dernière, Philippe (Rozier, cavalier de saut d'obstacles de haut niveau, ami et collaborateur de la laiterie, ndlr), dont on connaît le grand cœur, a décidé de lancer un appel pour que les gens fassent des dons aux centres équestres qui souffrent, notamment en organisant des stages solidaires. C'est une super idée, mais nous n'avons pas les compétences de Philippe pour conseiller des cavaliers, donc nous nous sommes demandés ce que nous pourrions faire à notre niveau et le plus vite possible. J'ai donc appelé Sophie Dubourg (Directrice technique nationale à la FFE, ndlr), et elle m'a averti que la fédération créait un fonds de dons. Nous avons tout de suite décidé de participer et nous avons donné plusieurs tonnes de foin pour les centres équestres en difficulté. À la maison, nous avons des chevaux, des poneys, et nous avons tous commencé à monter en club. Nous nous souvenons tous des bons moments que nous avons passé le samedi après-midi au centre équestre. On ne peut pas faire comme si de rien n'était du haut de notre pyramide, il faut aider ceux qui galèrent. Donc cette contribution nous a semblé logique !

En parallèle de votre implication dans les sports équestres, vous êtes également directrice générale de la laiterie de Montaigu. Comment se portent vos activités ? 

Il est clair que l'économie n'est pas florissante du tout, même si je ne suis pas une spécialiste de ces questions. Comme je le disais, le secteur agroalimentaire a un peu plus de chance que d'autres car manger est un besoin essentiel, donc nos activités n'ont pas le choix que de continuer. À la laiterie de Montaigu, nous avons deux créneaux. Le premier concerne la vente de lait infantile haut de gamme. C'est un marché qui se porte bien, d'abord parce qu'il s'agit d'un produit nécessaire, et nos différents contrats s'étendent sur du long terme. Le deuxième créneau, qui a lui connu une baisse d’activités, ce sont les produits tels que le beurre, la crème ou encore le lait, car les restaurants ont fermés et que les boulangeries tournent moins, alors qu'ils constituent une grande partie de notre clientèle. En somme, il y a évidemment des conséquences à cette crise sanitaire, mais nous n'appartenons pas aux secteurs les plus touchés. D'autant que dans le secteur laitier, nous avons l’habitude de connaître des petits coups de mou. Peu importe la situation, nous sommes habitués à devoir nous adapter. Pour preuve, personne n'est au chômage partiel ! C’est une grande chance de pouvoir conserver un rythme. Après, nous espérons évidemment et comme tout le monde que cette crise ne dure pas trop longtemps !



“Cette crise peut permettre à notre système de se réinventer“

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Quel regard portez-vous sur les conséquences économiques de cette crise sanitaire dans la société de manière générale ? 

Cela doit être très vendéen, mais nous sommes habitués à ne pas nous enflammer et à faire les choses posément. Nous voulons rester optimistes et réalistes. Avec notre entreprise, nous y allons pas à pas et faisons les choses avec calme tout en se projetant. Les sociétés qui ont une activité très dense vont beaucoup souffrir de cette crise à mon avis. Franchement, personne ne s’attendait à une crise pareille. Il va y a voir des dégâts considérables et il va falloir faire preuve d'entraide et de solidarité pour que personne ne reste au bord du chemin.

Quid sport de haut niveau ? Quelles conséquences la crise pourrait-elle avoir ? 

Honnêtement, j'espère que cette crise va faire prendre conscience de pas mal de choses. Je ne veux pas du tout nous lancer des fleurs, mais si notre quotidien n'est pas autant chamboulé que d'autres, c'est parce que notre modèle tient la route. Depuis le début où nous nous sommes lancés dans le milieu des sports équestres, les choses les plus importantes étaient de vivre une aventure humaine, sportive, et avec les chevaux. Que ce soit avec mon époux Yoann (Di Stefano, cavalier évoluant sur des CSI 1 et 2*, ndlr) ou avec Philippe Rozer, notre but n’a jamais été d'être tous les week-ends en concours ou de vendre plein de chevaux. Aujourd'hui, notre modèle nous permet de continuer d’accompagner nos cavaliers comme avant, de payer nos pensions, nos employés... Évidemment, on ne peut être pas être utopistes et beaucoup d'écuries ne peuvent pas être construites sur ce modèle, mais je pense qu'il y a des choses à faire. Plus simplement, cette crise va peut-être faire prendre conscience à des gens que faire enchaîner des concours à nos chevaux toutes les semaines, en indoor, en extérieur, et les faire voyager tous les trois jours par camion ou par avion, n'est peut-être pas si essentiel. Je ne suis pas non plus sûre que la surmultiplication des concours soit une bonne chose. Qu'il y en ait assez pour tout le monde, évidemment. Qu'il y en ait trop, j'en doute. Depuis de nombreuses années, nous sponsorisons pas mal de beaux concours, et nous le faisons car ils ont tous une âme et quelque chose de particulier. Aller sur les mêmes concours, avec la même ambiance, la même piste, les mêmes obstacles, etc, ça ne m'intéresse pas. Donc j'espère pour notre sport que allons trouver des alternatives et le moderniser dans le bon sens du terme. Peut-être aussi que les prix des chevaux de haut niveau, qui avaient complètement flambé ces dernières années, vont un peu se calmer. Quelle est la pérennité de ce système s'il est poussé à l'excès ? Ce n'est pas intéressant si toutes ces choses enrichissent les mêmes 10 % du secteur. En tout cas, si nous avons réussi à créer notre écurie (nommée Cy Farm, ndlr) stable et pérenne avec seul l’amour des chevaux, d’autres peuvent peut-être y arriver !

Nombreux sont les acteurs du milieu des sports équestres qui appréhendent l’après-confinement. Après avoir interrogé de nombreux cavaliers ou marchands de chevaux, ils sont un bon nombre à craindre que les sponsors n’aient pas les ressources financières suffisantes pour pouvoir réinjecter de l’argent dans les concours de haut niveau afin qu'ils puissent redémarrer. En tant qu’entreprise qui sponsorise de nombreux concours prestigieux, comment appréhendez-vous l’après-Covid ? 

Nous sommes une entreprise qui prévoit les choses à l’avance. Nous ne décidons du jour au lendemain d’aller sponsoriser les concours de Paris ou Bordeaux par exemple, donc notre saison est prévue de longue date. Pour les concours qui n'ont pas encore été annulés et qui doivent se tenir à partir de cet automne, comme Longines Equita Lyon, nous seront sans le moindre doute présents à leurs côtés. On ne peut pas être partenaire d'un événement depuis des années et les laisser tout seuls face aux difficultés. Pour autant, il est clair que cela pourrait être difficile selon l'évolution de la situation sanitaire. Nous faisons beaucoup de relations pour des clients et nous leur faisons régulièrement découvrir des événements, donc cela risque d'être compliqué si les concours doivent se tenir à huis clos par mesure de sécurité. Je pense que nous espérons tous que la situation nous permettra de tous nous retrouver à Lyon fin octobre ! Le fait est qu'il y a relativement peu d’entreprises extérieures au monde du cheval qui sponsorisent notre sport. Sûrement que les entreprises équestres vont connaître plus de difficultés ; la preuve est qu'un bon nombre d'entre elles ont pour l'instant gelé leur communication. Nous pouvons également nous interroger sur les sponsors principaux tels que Longines et Rolex par exemple, mais je n'ai aucune information ! (Rires) Restons optimistes sur tous ces sujets, mais il est certain que nous n'allons pas immédiatement redémarrer comme si de rien n'était.

Cette crise, dont les causes sont évidemment multiples, a mis en lumière les dysfonctionnements de notre système de société, en particulier la mondialisation de nos activités, et de nombreuses personnalités - y compris du secteur équestre - appellent à réfléchir à un nouveau modèle de société. On peut notamment évoquer l’impact écologique des concours de haut niveau. Qu'en est-il des sponsors ? Si changement de paradigme il y a, auront-ils toujours la même volonté à financer des événements à forte empreinte carbone ? 

Le fait est qu'un sponsor sponsorise, ou pas, un événement en fonction de son intérêt propre et s'il y trouve son compte. Je pense que cette question est liée à ce qu'attendent les gens de manière générale. Pour être plus concrète, un bon nombre de cavaliers, professionnels ou pas, nous sollicitent régulièrement pour du sponsoring. Certains ont l'impression qu'il suffit de nous proposer de porter nos couleurs sur leur tapis et leur camion et le tour est joué... Selon moi, et nous appliquons cette politique à tout ce que nous entreprenons, le sponsoring se base sur une proposition et un concept, pas du matériel. Par exemple, mon meilleur ami François Tanguy évolue sur des parcours à 1,15m depuis quelque temps, et il trouve sponsor sur sponsor car il propose un vrai projet ! Si lui il y arrive, d’autres peuvent aussi. Je ne généralise pas et évidemment que tout le monde n'est pas pareil, mais je trouve parfois que le monde du cheval tourne un peu en rond. En bref, le sponsoring dépend selon moi d'abord du concept que vous voulez vendre. Ensuite, des concours comme ceux de Lyon, Paris ou Bordeaux ont une empreinte carbone plus faible que d'autres car ils se tiennent dans des lieux dédiés à des salons (dans les parcs d'expositions situés en banlieue des grandes villes, ndlr). Idem pour les concours de La Baule, Dinard, etc, qui se déroulent sur des pistes en herbe et sur des terrains prévus pour notre sport. Effectivement, les concours éphémères qui se tiennent en plein centre-ville ont un impact environnemental bien plus conséquent. Nous ne nous en cachons pas, mais le Global Champions Tour est par exemple un circuit qui ne nous intéresse pas. D'autant que les étapes se déroulent aux quatre coins du monde et que les trajets sont de fait extrêmement polluants. Il faudrait se poser des questions à ce sujet. Je le répète, mais tout dépendra de la volonté et de l'envie des acteurs de notre milieu. Je ne critique pas et chacun mène bien sa vie comme il l'entend, mais il y a des gens qui ne veulent se retrouver qu’entre eux, voyager toutes les semaines, dormir dans les hôtels 5*, etc. Ce qui est certain, c'est que nous avons hâte que le sport reprenne sa place, et nous espérons que tout le monde ne repartira pas dans le même système tête baissée. Cette crise peut permettre à notre système de se réinventer et c'est le bon moment pour se poser des questions.