Quelle place pour l'écologie dans le sport de haut niveau ?

La crise que le monde traverse depuis quelques mois a mis en lumière certains dysfonctionnements de notre modèle de société, notamment la mondialisation excessive des échanges humains et matériels. De nombreuses personnalités publiques, qu'il s'agisse de politiques, d'artistes, d'acteurs, ou encore sportifs de haut niveau, appellent à tirer des leçons de cette période difficile, dans la société comme dans leur univers spéficifique. Sujet ô combien crucial pour la survie de l’humanité à en croire les centaines d’études scientifiques indépendantes parues sur le sujet, l’écologie semble s’immiscer, à travers des initiatives encore trop peu nombreuses, dans le sport de haut niveau, en particulier dans le saut d’obstacles, la plus mondialisée des disciplines équestres. GRANDPRIX a tenté d’évaluer l’empreinte carbone des plus importantes sources de pollution du secteur, et présente les premières démarches effectuées en vue de les minimiser.



En 1988, l’Organisation des Nations unies, via son Organisation météorologique mondiale et son Programme des Nations unies pour l’environnement, a fondé le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) afin de lutter contre le dérèglement climatique. Plus précisément, il s’agit “d’évaluer les informations d’ordre scientifique, technique et socio-économique nécessaires pour mieux saisir les risques liés au réchauffement climatique d’origine humaine, cerner plus précisément les conséquences possibles de ce changement et envisager d’éventuelles stratégies d’adaptation et d’atténuation“. Depuis, ses rapports alarmants sur l’état de la biodiversité, du climat et, de facto, sur le futur de l’espèce humaine, ne font que se multiplier. Pourtant, trente-deux ans plus tard, et en dépit de demandes de plus en plus nombreuses émanant de la société civile, les initiatives politiques en ce sens demeurent discrètes dans la grande majorité des pays développés, et semblent en-deçà de la réalité de l’enjeu, comme l’a avoué Nicolas Hulot lorsqu’il a démissionné de son poste de ministre de la Transition écologique et solidaire en août 2018. 

Si l’écologie s’infiltre de plus en plus dans l’équitation amateur, grâce notamment à un remarquable travail pédagogique de la Fédération française d’équitation, qui récompense chaque année depuis 2010 les meilleures initiatives écoresponsables de ses clubs, elle peine à se frayer un chemin à haut niveau, et en particulier dans le saut d’obstacles, la plus mondialisée des disciplines. Une hérésie pour un sport qui se pratique en plein air, au contact direct de la biodiversité et de la nature, et au gré des saisons. Sensible au sujet de la lutte contre le dérèglement climatique, Virginie Coupérie-Eiffel, organisatrice du Longines Paris Eiffel Jumping depuis 2014, a probablement été la première à s’emparer publiquement du sujet dans le secteur. “L’écologie met plus de temps à s’intégrer dans notre milieu que dans la société civile, c’est vrai, mais je ne suis pas la seule à en parler“, assure la quinquagénaire qui a grandi au milieu des vignes de la Gironde. “Il m’arrive d’en discuter avec des cavaliers comme Kevin Staut, par exemple. L’écologie est l’enjeu de notre génération et celle de nos enfants. L’objectif, selon moi, serait d’adopter une économie raisonnée, en poussant notamment les entreprises à respecter les codes de la nature, de la faune, de la flore, et du bien-être animal. En cela, notre sport a un rôle à jouer parce qu’il porte intrinsèquement ces notions en lui. De plus, l’événementiel doit prendre le sujet en main car nous sommes de gros pollueurs, et nous avons les moyens d’accompagner cette transition ! Moins on a d’argent, plus il est difficile d’oeuvrer. Mes enfants, même s’ils sont bien plus radicaux que moi, m’ont aidée à forger ces convictions.“



D'un bout à l'autre de la planète...

Depuis l’émergence des circuits privés au début des années 2000, le calendrier des concours de haut niveau s’est sacrément étoffé. Pour preuve, on a compté soixante-seize CSI 5* en 2018, contre trente-sept seulement en 2008, soit un peu plus du double ! La discipline s’étant par ailleurs mondialisée, les destinations se sont aussi diversifiées puisque vingt-quatre de ces événements se sont déroulés hors d’Europe en 2018, contre seulement sept en 2008. Ce développement colossal conduit les athlètes, humains et équins, à voyager davantage, et plus loin. Ainsi, un cavalier de haut niveau établi en Belgique et disputant quarante-trois CSI 5* par an - sur la base du calendrier 2018 de la Fédération équestre internationale - aurait parcouru 59 294 kilomètres à travers l’Europe, plus 40 006 supplémentaires pour se rendre à Hong Kong, Mexico, Miami, Shanghai et Doha. En tout, rien qu’en un an, son compteur afficherait donc 99 400 kilomètres, parcourus en avion et sur la route. Selon des calculs effectués via la plateforme indépendante CO2.myclimate.org, l’empreinte carbone annuelle des simples trajets de ce cavalier s’élèverait à 29,334 tonnes de CO2. À titre de comparaison, celle d’un citoyen européen s’élève en moyenne à 8,4 tonnes, selon les chiffres du GIEC. Il semblerait donc que cette empreinte ne pourrait être réduite qu’au prix d’un sport plus localisé, et donc d’un niveau moins élevé...

Indissociables de leur cavalier, les chevaux suscitent également une empreinte carbone élevée en termes de transports, voyageant à 90 % du temps en camion poids lourd. En partant du cas de figure précédent, et en prenant un petit poids lourd de 7,5 tonnes classique roulant au diesel (tout en sachant que les camions classiques de cavaliers de haut niveau pèsent environ 24 tonnes), le transport des équidés représenterait plus de 31 tonnes de CO2 pour un an. Dix ans après le regain d’intérêt pour les voitures électriques individuelles, puis leur mise sur le marché, les camions pour chevaux ne semblent pas encore prêts à opérer la transition. Actuellement, aucun constructeur ne propose de véhicules neutres. Pour autant, ils seraient régulièrement sollicités à ce sujet par leurs clients. D’ailleurs, certains ont même effectué des travaux sur leurs camions en installant des panneaux solaires thermiques comme source d’énergie !

... Et de la ville !

La problématique du transport, deuxième plus gros producteur de gaz à effet de serre, se retrouve aussi sur les terrains de concours, où les cavaliers et leur entourage bénéficient souvent d’un service de navettes privées pour se rendre à l’hôtel ou à l’aéroport. En 2018, Virginie Coupérie-Eiffel, également membre du comité fédéral de la Fédération française d’équitation, a innové en faisant appel à des Renault Zoé pour assurer un service 100 % électrique et partagé, au lieu des habituels berlines et quatre-quatre ! “Des marques prestigieuses ont émis le souhait d’assurer les navettes, mais dans une grande ville à l’air très pollué comme Paris, j’ai trouvé important d’utiliser des véhicules neutres“, explique-t-elle. “Au début, les cavaliers ont posé des questions, et il a fallu nous justifier. Cela nécessitait un effort de leur part parce qu’ils n’avaient pas une voiture qui les attendait constamment au concours ou à l’aéroport. Mais quand nous avons expliqué notre philosophie, ils ont fini par y adhérer. Cela a également été compliqué pour mon staff au début. J’ai aussi de la chance d’avoir des partenaires qui me soutiennent et me suivent dans cette aventure, à commencer par Longines“, confie-t-elle. 

Pour son événement, la Girondine a préféré des calèches attelées à des camions ou tracteurs pour ramasser les poubelles. Une initiative qu’a également adoptée Christophe Ameeuw, organisateur des Longines Masters. Plus mesuré mais également intéressé par l’écologie, le Belge devrait peut-être aussi privilégier des véhicules moins polluants dans les années à venir. “Nos concours, notamment celui de Paris, sont sponsorisés par Land Rover, qui a considérablement développé sa gamme hybride et souhaite la mettre en lumière, donc des discussions sont en cours. En tout cas, nous essayons d’apporter notre pierre à l’édifice. Je prends conscience de l’importance de ce sujet en tant qu’organisateur, mais aussi père de famille. Pour autant, il faut rester prudent. L’équitation ne génère pas un bilan carbone aussi élevé que d’autres sports. Notre rôle est de délivrer un message écologiste, mais la réalité est plus complexe. En tout cas, la morale nous incombe de faire des efforts logistiques, psychologiques et économiques en ce sens.“



Comment orienter la vie d'un concours ?

En dehors des transports, nombreux sont les autres facteurs de pollution, directe ou indirecte, dans la vie d’un concours hippique, à commencer par la restauration. L’agriculture biologique et locale étant en plein essor, à la campagne comme à la ville avec le développement de l’agriculture urbaine, elle tend à trouver sa place dans les événements de saut d’obstacles. Là aussi, Virginie Coupérie-Eiffel a été une pionnière en la matière. “Que ce soit pour le staff, le village visiteurs, le restaurant ou le Pavillon Eiffel (restaurant VIP, ndlr), nous ne proposons que des produits de saison et essayons de faire appel au maximum à des circuits courts“, dit-elle au sujet de son événement parisien, qui accueille chaque année quelques dizaines de milliers de visiteurs. “L’an dernier, nous avons engagé un chef étoilé 3* pour le restaurant VIP. Il avait été séduit par notre engagement et avait concocté tout un menu autour des graines. C’était super !“

Pour autant, ce positionnement est économiquement plus coûteux et donc moins rentable, la nourriture biologique étant plus chère puisqu’elle exige moins de mécanisation, des engrais naturels plus onéreux et une marge bénéficiaire plus importante pour les agriculteurs. “C’est aussi plus compliqué d’un point de vue logistique et économique parce que l’offre est moins large ; donc à la fin, on gagne moins d’argent“, avoue-telle. “Toutefois, nous parvenons à équilibrer nos recettes et c’est un positionnement fort. De plus, je forme un partenariat avec la ville de Paris, qui porte des projets d’écoresponsabilité, donc je dois me montrer cohérente. Et j’espère que nos initiatives donneront envie à d’autres d’en faire de même.“ 

L’engagement pour le développement durable se manifeste aussi par des gestes simples et facilement réalisables. Au Jumping international de Bourg-en-Bresse, par exemple, le comité d’organisation a décidé de bannir les petites bouteilles d’eau en plastique, préférant des gobelets en carton. Au Longines Paris Eiffel Jumping, définitivement attentif à son empreinte carbone, les courriels ont remplacé les invitations en carton, et des stands d’articles écoresponsables (coton bio, cuir au tannage végétal, etc.) ont même fait leur apparition au sein du village des exposants ! “Nous avons besoin d’hommes [et de femmes] capables d’imaginer ce qui n’a jamais existé“, disait John Fitzgerald Kennedy, trente-cinquième président des États-Unis d’Amérique. Gageons alors que les entrepreneurs et professionnels du secteur continueront de s’emparer du sujet écologique et poursuivront leurs innovations en la matière.

Article paru dans le magazine GRANDPRIX en juin 2019.