Magdalena Pommier, le mariage heureux de l'éthologie et du dressage

Dans les sublimes écuries de Pamfou Dressage, à Pamfou, au coeur de la Seine-et-Marne, Magdalena Pommier, éthologue et dresseuse de renom, officie comme intervenante extérieure. Par un beau jour d’été, la jeune et belle blonde fait travailler Fontainebleau JCD, un Westphalien de six ans. Cette séance est une occasion privilégiée de rencontrer cette personnalité authentique dont le destin est intimement lié aux chevaux.



© Amélie Ulmer

Silhouette de jeune fille et visage enjoué, longe enlacée autour de la taille, Magdalena Pommier, ou “Magda“ pour les intimes, se connecte à Fontainebleau JCD. En ce début de séance de travail à pied, au bout de la longe, le bel hongre à la robe ébène trotte avec fougue, faisant éclater toute sa puissance. Très vite, sans mot dire, la Suissesse d’origine l’apaise et le guide dans sa gestuelle. “La première chose à faire dans ce type d’exercices est d’indiquer un mouvement au cheval“. Du haut de son mètre soixante-dix-huit, l’équidé semble relaxé et attentif. “Il ne faut pas confondre l’immobilité avec le figement“, précise la jeune femme. “À l’arrêt, le cheval ne doit pas être tendu, prêt à partir. Au contraire, il doit pouvoir se relâcher tout en restant actif“. Sous le regard attentif de Camille Judet Chéret, basée aux écuries familiales de Pamfou, cavalière internationale de niveau 3* et propriétaire de Fontainebleau, le grand Westphalien enchaîne des exercices d’assouplissement avec fluidité. Magda le pousse progressivement à mobiliser l’intégralité de son corps tout en conservant du mouvement. Soudain, du grabuge dans les prés se fait entendre. Distrait, le cheval se tend et son envie d’aller jouer avec ses congénères devient irrésistible. Alors que la plupart des cavaliers se trouveraient démunis face à la situation, à ne pas savoir quoi faire pour que leur monture retourne à sa concentration, Magda encourage, avec sa longe, le hongre à conserver du mouvement et lui demande un arrêt. “Là, il est figé“, montre-t-elle. “Il faut justement éviter cela en lui demandant de conserver du mouvement vers l’avant, même désordonné, jusqu’à ce qu’il se calme. Garder un cheval dans une telle immobilité est le meilleur moyen pour qu’il explose ensuite.“

L'amour des chevaux

“Aussi loin que je m’en souvienne, j’ai toujours été passionnée par les animaux“, confie Magda. “À tel point que je n’étais plus invitée chez mes camarades de classe. S’ils avaient des chats ou des chiens, je ne pouvais pas m’empêcher de passer tout mon temps avec eux !“ Pourtant, il ne s’agit pas d’une passion familiale. “Mon père était pianiste et chef d’orchestre, et ma mère économiste“, poursuit-elle. “Ils ne comprenaient pas forcément cet amour pour les animaux. J’ai dû lutter pour faire de l’équitation.“ C’est dans un centre équestre de Suisse que la fillette découvre les chevaux. L’observant s’épanouir au poney club, ses parents acceptent de lui offrir Mouchet, un Appaloosa de treize ans très rétif, pour son douzième anniversaire. Avec ce dernier, surnommé affectueusement “Rhinocéros“, la jeune adolescente va délaisser les longueurs d’épaule en dedans pour le travail à pied, qu’elle trouve plus amusant. Quelques mois tard, elle découvre l’équitation éthologique à l’occasion d’un stage organisé dans son centre équestre : sa voie est trouvée ! C’est ainsi qu’à dix-huit ans, le baccalauréat en poche, elle déménage en France et entame une formation dédiée à l’enseignement de l’équitation éthologique au très réputé haras de la Cense, dans les Yvelines, dont elle sort diplômée en 2003. Ces pratiques alternatives sont à l’époque encore très confidentielles, et, bien qu’elle soit encore très jeune, son talent et sa passion lui permettent d’être acceptée en formation.

Lors de son apprentissage, elle fait l’une des rencontres les plus décisives de sa vie : Andy Booth, un des maîtres en éthologie équine. L’Australien deviendra d’ailleurs son compagnon pendant cinq ans. “J’ai beaucoup appris en le regardant travailler“, confie Magda, qui tout le temps de leur union prendra en charge l’organisation des stages et démonstrations. “J’étais un peu isolée à la Cense, mais Andy m’a toujours soutenue et protégée. J’ai ainsi eu le privilège de me voir confier Stormy, une Zébrule (animal hybride issu du croisement d’un zèbre et d’une jument, ndlr). Il l’avait déjà débourrée, et je devais continuer à la former. Elle était dotée d’une force incroyable et cette expérience m’a beaucoup apportée.“ Après Stormy, Magda fait la connaissance de sa fidèle complice Toutcho, toujours à ses côtés aujourd’hui. “Le haras était dirigé par Jean-Pierre Vernier, qui souhaitait acheter un cheval pour l’écurie. Il nous a conseillé d’aller voir une Lusitanienne qui était à vendre dans le coin. Quand nous sommes arrivés, nous avons découvert une jument maigre, moche et très craintive… Il nous a fallu quarante-cinq minutes pour lui poser une selle sur le dos ! Nous sommes revenus de l’essai en disant qu’il valait mieux ne pas l’acheter. Mais Jean-Pierre l’avait déjà acquise pour une bouchée de pain (Rires) !“ L’ibérique est alors confiée à l’éthologue en herbe, qui passe de longs mois à l’apprivoiser. Avec le temps, de la patience et de nombreuses expériences, Magda parvient à en faire une magnifique jument de démonstration, admirée de tous.



L'aventure au Montana aux côtés de Ronnie Willis

© Collection privée

Quelques années plus tard, afin d’enrichir son parcours, la jeune femme décide de partir pour un an dans le Montana, au nord-ouest des États-Unis, où elle apprend un peu plus à penser le cheval aux côtés de Ronnie Willis. Ce brillant instructeur et éthologue américain, passionné par la nature équine, fut également l’un des maîtres du célèbre “chuchoteur“ Pat Parelli, qui oeuvrera longtemps au haras de la Cense. “Ronnie Willis m’a subjuguée ; il était d’une immense bonté“, décrit la jeune femme. “Les chevaux étaient tout ce qui l’intéressait. Il restait constamment tapi dans l’ombre à les observer“, raconte-t-elle. Plus encore, le Montanien montre presque une désinvolture vis-à-vis des autres humains, au profit de son amour inconditionnel pour les chevaux. “Il n’était pas concerné par nos susceptibilités égotiques“, se souvient-elle, émue. “Il voulait avant tout que ses élèves essaient de bien faire les choses“. L’éthologue américain, s’apercevant que la jeune Magda développe bel et bien une sensibilité singulière vis-à-vis des équidés, l’encourage à se perfectionner davantage. “Un jour, pendant une séance de dressage, je suis allée lui demander conseil“, raconte l’intéressée. “Je n’arrivais pas à bien mobiliser les épaules de mon cheval. Il m’a regardée et m’a demandé si j’avais “entendu les oiseaux”… J’ai pensé qu’il se moquait de moi, mais il s’agissait bien du fond de sa pensée : il disait qu’un bon homme de cheval doit pouvoir anticiper le moindre mouvement de son cheval en fonction de son environnement.“

Évoluant avec fluidité et efficacité aux côtés de l’immense Fontainebleau, la passionnée semble avoir retenu la leçon. Pour elle, il n’est pas question d’une quelconque emprise de l’humain sur l’équin, mais d’un pas de deux où chacun se répond car tout le monde se comprend. Ainsi, lorsque le Westphalien se tend, sa partenaire se relâche afin de ne pas rajouter une émotion forte supplémentaire. “Le cheval est une éponge, et permet à l’homme de se confronter à toutes ses émotions“, justifie-t-elle. “Dans notre société, les chevaux sont des proies et nous sommes des prédateurs. De fait, il est impératif de savoir gérer notre présence auprès d’eux afin de leur enlever ce sentiment de menace. Cela est d’autant plus important dans le Montana, où les chevaux sont débourrés en trois jours, et en extérieur ! J’ai d’ailleurs suivi un stage d’un mois avec Ray Hunt (cow-boy réputé pour avoir révolutionné les pratiques traditionnelles de l’équitation western, ndlr), consacré à cette période essentielle qu’est le débourrage.“ C’est au travers de ces diverses expériences que Magda s’est forgé sa propre expérience, jusqu’à devenir éthologue équine à part entière. Usant d’un calme remarquable, Magda parvient à canaliser la fougue de Fontainebleau, dont l’allure se cadence peu à peu. Son regard, ses oreilles et son corps tout entier se saisissent des messages corporels envoyés par la longeuse. Il semble écouter sa partenaire, qui lui demande de s’arrêter à l’entrée de la carrière. Il semble surpris mais se laisse faire, face à la décontraction de sa complice du jour, qui le gratte et le couvre de caresses. Il est maintenant temps de travailler à cheval. Sans selle ni filet, Magda se hisse simplement sur le hongre et le rassure. Camille Judet-Chéret est attentive, sa monture s’étant montrée dernièrement très inquiète devant cet exercice. Doucement, grâce aux encouragements de Magda, Fontainebleau se détend. Quand, quelques minutes plus tard, elle se met debout sur son dos, il ne peut toutefois s’empêcher de rompre l’immobilité, décontenancé par cette posture inhabituelle. Mais la jeune femme descend et s’empresse de le féliciter. “Il a réussi à prendre sur lui en contenant sa peur ; il évolue très bien !“, s’exclame-t-elle.



La découverte du dressage de haut niveau

© Amélie Ulmer

Retour à Pamfou Dressage. Après concertation avec Camille Judet-Chéret, Magda décide de confronter Fontainebleau à un nouvel élément : un immense drapeau. Le beau Westphalien dresse les oreilles, exprimant son étonnement et sa curiosité. L’éthologue fait alors glisser la bannière sur le sol, et son partenaire semble vouloir jouer avec. “Dès que je vais lui demander du mouvement, il va se tendre“, prévient-elle. “Les chevaux ont toujours plus de mal à accepter des éléments nouveaux à l’extérieur ; cela doit être dû à leur instinct.“ En effet, l’équidé, passé au trot, réagit vivement lorsqu’il aperçoit le drapeau au-dessus de sa tête. Mais progressivement, guidé par les gestes précis et fluides de Magda, il se relâche. D’ici quelques jours, la professionnelle reviendra et réutilisera ce drapeau, qui deviendra au fur et à mesure un vulgaire élément de décor pour le cheval. 

Si Magda saisit aussi rapidement les sentiments de ses partenaires, c’est en partie parce qu’elle a pu se forger diverses expériences, côtoyant des chevaux de club comme des athlètes de haut niveau. Alors qu’elle oeuvre encore au haras de la Cense aux côtés d’Andy Booth, elle est contactée par Krista Gali, dresseuse espagnole qui évolue à l’international. “À l’époque, Krista travaillait chez Marina Caplain Saint-André (entraîneur de dressage basée au haras de Champcueil, à une demi-heure au nord-ouest de Fontainebleau, ndlr). Elle n’arrivait plus à s’en sortir avec l’une de ses juments, qui passait son temps à la mettre par terre. Elle nous a fait venir en cachette, et en vingt minutes, Andy était debout sur son dos et pouvait travailler en licol aux trois allures ! Krista est tombée des nues et nous avons entamé une collaboration.“ Les deux femmes sympathisent, chacune emmenant l’autre dans son univers. “Je changeais complètement d’univers, moi qui n’avais connu quasiment que les chevaux du Montana et l’équitation éthologique“, avoue Magda. “Je n’avais pas les codes du dressage classique. Krista m’a permis de me former à cette discipline et à l’aimer, même si je n’ai jamais été très tournée vers la compétition (ce qui ne l’a pas empêchée d’en faire, et à très bon niveau, ndlr). Jessica Michel (dresseuse tricolore qui a notamment participé aux Jeux olympiques de Londres en 2012, ndlr) a par exemple débuté quasiment en même temps que moi, et elle a réussi dans le milieu sportif grâce à la rigueur, ce que je n’avais pas. Par ailleurs, je n’ai jamais reçu l’aide de sponsors ou de soutiens. Mais la vérité, c’est que je ne l’ai pas cherché !“

Quoi qu’elle dise, Magda ne semble vraiment pas manquer de rigueur. À l’écouter, elle est plus consciencieuse que véritablement incapable de se forcer à assimiler les codes du dressage classique, auxquels elle ne croit pas, les trouvant trop éloignés des principes éthologiques. Pour rappel, l’éthologie signifie littéralement : “science des comportements des espèces animales dans leur milieu naturel“. Selon Magda, un cheval, quelles que soient sa valeur ou son utilité, doit en effet pouvoir profiter d’un paddock, de foin à volonté et de toutes les ressources dont il disposerait à l’état naturel. Ainsi, pour conjuguer son amour du dressage à ses convictions en matière de respect équin, elle décide de s’installer à son compte à Deauville dans les années 2010 afin d’évoluer comme dresseuse et éthologue. Elle dispose alors de huit chevaux, dont la plupart sont à débourrer, former, valoriser ou remettre en route après avoir manifesté des problèmes de comportements. Pendant cette période, elle obtient d’ailleurs de superbes résultats en compétition, arrachant par exemple le titre de vice-championne de France des trois ans en 2007 et 2011. 

Deux ans après ce dernier titre, Magda retourne en Suisse, sur les terres de son enfance, et acquiert sa propre structure. Elle y fait travailler ses propres chevaux, donne des cours tout au long de l’année et propose régulièrement des stages. Cette femme, désormais d’expérience, se met au service d’écuries comme celles de Pamfou Dressage, qui font appel à sa science afin d’améliorer les performances de leurs athlètes. L’éthologue est ainsi devenue libre et indépendante. “Je suis plus à l’aise en étant mon propre patron. Mon rêve serait d’être constamment avec mes chevaux et de voir ce qu’ils ont à m’offrir. Mais je suis consciente que cela est impossible d’un point de vue financier, et puis, j’aime transmettre. Cela me permet de continuer à exercer mon oeil. Cependant, certains cours m’attristent un peu… Je peux passer des heures à expliquer la nature du cheval à des cavaliers, qui peuvent parfois penser que leur monture fait exprès d’avoir peur, par exemple. Heureusement, la plupart des cavaliers sont réceptifs à mes idées et leçons ; cela me donne de la force !“ Magdalena Pommier est parvenue à concilier son amour infini des chevaux, ses convictions profondes et sa vie professionnelle. La petite fille passionnée est devenue une femme passionnante.

Cet article est paru dans le magazine GRANDPRIX heroes n°111 en décembre 2019.