Sur les guêtres postérieures, la FEI a tranché mais le débat n’est pas encore clos

Malgré le report à 2021 des Jeux olympiques de Tokyo, en raison de la pandémie de Covid-19, la Fédération équestre internationale (FEI) a confirmé l’entrée en vigueur de la nouvelle réglementation sur les guêtres postérieures au 1er janvier 2021 pour l’ensemble des CSI, dont ceux qui concernent l’élite mondiale du saut d’obstacles. Ce faisant, elle a contredit le principal argument qu’elle avait employé par justifier la progressivité de l’application de cette mesure, adoptée pour protéger le bien-être des chevaux: la stabilité des règles du jeu entre la période de qualification olympique et l’année des Jeux eux-mêmes. Aussi, le débat entre partisans et détracteurs de cette réforme, certes allégée en cours de route, est loin d’être terminé.



En dépit du report d’un an des Jeux olympiques de Tokyo, la Fédération équestre internationale (FEI) a réaffirmé sa volonté de maintenir l’entrée en vigueur de la nouvelle réglementation sur les guêtres postérieures au 1er janvier 2021 pour l’ensemble des concours internationaux de saut d’obstacles, soit des CSI 1 à 5*. La question pouvait légitimement se poser dans la mesure où le caractère progressif de son application (d’abord aux CSI Enfants, Poneys, Vétérans et Amateurs en 2019, puis aux CSI Juniors, Jeunes Cavaliers et U25 en 2020, et à l’ensemble en 2021) avait été adopté par la FEI afin de ne pas déstabiliser les règles du jeu entre la période de qualification olympique et celle des Jeux en tant que tels. Selon ses dirigeants et une majorité de membres du comité technique de jumping, changer avant les JO aurait pu y désavantager les cavaliers usant habituellement de cet artifice technique, dont certains modèles et leur utilisation, par serrage, ont pour effet de modifier le geste de balancier des chevaux. “Si nous avons décidé d’interdire les guêtres postérieures après les Jeux de Tokyo, c’est parce que nous ne pouvons pas appliquer un tel règlement en période de qualification olympique et que nous voulons que les conditions des athlètes soient équitables”, avait ainsi rappelé John Roche, ancien directeur du saut d’obstacles de la FEI, lors de la finale de la Coupe du monde Longines de 2018, à Paris, après la polémique qui avait éclaboussé le Colombien Carlos Enrique Lopez Lizarazo. 

Il faut donc croire que l’adage “à situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles” a prévalu en cette année inédite et meurtrie par la pandémie de Covid-19. Mi-avril, quelques semaines après l’annonce officielle du report des Jeux olympiques de Tokyo à 2021, et à l’occasion d’une réunion en visioconférence, le conseil d’administration de la FEI a décidé que cette nouvelle réglementation rentrerait bien en vigueur pour tous les CSI le 1er janvier 2021. “Cette décision a été unanime au sein du comité de saut d’obstacles”, assure l’Allemand Stephan Ellenbruch, président de cet organe et juge 4*. “Il y a peut-être eu des discussions au sein de la communauté équestre pour savoir si la date de cette entrée en vigueur serait maintenue ou reportée en raison du report des JO, mais la FEI n’a reçu aucune demande officielle de modification de cette date.”



Des détracteurs vent debout et des partisans rassurés… à défaut d’être satisfaits

Les Jeux de Tokyo 2020 se disputeront donc dans le nouveau cadre, visant à mieux protéger le bien-être des chevaux de saut d’obstacles. Stephan Conter, qui a toujours manifesté publiquement son désaccord en la matière, quand d’autres n’en pensent pas moins mais préfèrent s’exprimer en privé, émet un jugement plutôt sévère à l’égard de la FEI. “Les guêtres postérieures n’ont jamais eu d’impact négatif ou été un objet de torture pour les chevaux. Ils permettent d’effectuer une légère pression sur les postérieurs afin que les chevaux les utilisent mieux. Ils peinent beaucoup moins à s’employer avec des guêtres. C’est comme quand je porte un bandeau au bras pour jouer au golf: ce n’est pas naturel mais cela m’aide à mieux jouer. Cela n’a rien à voir avec le bien-être animal. Il est malheureux que le président de la FEI (le Belge Ingmar de Vos, ndlr) écoute des gens qui ne connaissent rien au cheval ni à notre sport. Comme il compte de moins en moins de soutiens dans le monde des sports équestres, il se met à écouter des gens qui sont tous sauf des hommes de cheval, des vétérinaires douteux et des extrémistes de la protection animale. S’il continue d’écouter les gens comme ça, nous finirons par ne plus du tout monter à cheval dans dix ans!”, déplore le Belge, président et fondateur du groupe Stephex, carrossier, marchand de chevaux et organisateur de concours. “Certaines personnes abusent, mais il suffit de les sanctionner avec un blâme ou une suspension, d’autant qu’il est facile de savoir de qui il s’agit car il y a des répétitions. La majorité d’entre nous sommes des gens très raisonnables et aimons les chevaux.”

À l’inverse, cette décision est naturellement saluée par de très nombreuses personnalités, notamment celles qui s’étaient élevées contre l’application progressive. “Je suis ravi d’entendre que la FEI maintient son choix”, déclare Frédéric Cottier, ancien international tricolore, médaillé olympique et chef de piste 4*, qui fut l’un des premiers lanceurs d’alerte sur le sujet. “Mes prises de position m’ont valu de nombreuses inimitiés au sein de la FEI, et m’ont coûté cher. J’ai toujours dit que les guêtres postérieures étaient à la fois une forme de dopage mécanique et quelque chose de très mauvais pour la santé des chevaux. J’ai mené de nombreux audits avec des vétérinaires de pointe pour le prouver. Leur utilisation a créé tout un tas de nouvelles lésions, notamment au niveau du dos, des suspenseurs arrière, des carpiennes avant, etc. À l’heure où tout le monde parle de bien-être animal, cette décision coule de source, même s’il a fallu six ans pour en arriver là.” 

Ancienne cavalière, éleveuse, propriétaire de chevaux de haut niveau et administratrice de la Société hippique française, Geneviève Mégret salue elle aussi le maintien de la date du 1er janvier 2021. “La FEI a pris la bonne décision en ne retardant pas la mise en œuvre de cette mesure. À titre personnel, ainsi qu’en tant que membre du Jumping Owners Club (Club des propriétaires de chevaux de jumping, présidé par son époux, Dominique Mégret, ndlr), c’est un sujet important pour moi. Cette mesure va incontestablement dans le bon sens, même si je considère que l’on doit pouvoir aller encore plus loin à l’avenir”, note-t-elle, faisant probablement allusion au recul déplorable de la FEI entre les versions 2017 et 2018 de cette réforme. De fait, la seconde fait davantage figure de petit pas que de révolution, dans le sens où certaines guêtres à double coque demeurent autorisées, par exemple.



Quelles incidences sur le sport?

Au fond, compte tenu de tout cela, la FEI a peut-être estimé que changer les règles entre une période de qualification qui a couru des Jeux équestres mondiaux de Tryon, en septembre 2018, jusqu’au 31 décembre 2019 – sans compter les minimas d’éligibilité par couple, qui pourront être obtenus tout au long de l’année 2020 pourvu que les concours reprennent et a priori jusqu’au 30 juin 2021 – et celle des JO ne serait pas un cataclysme. “À l’époque où les nouvelles règles sur les guêtres postérieures ont été introduites de manière progressive dans les différentes catégories, le comité de saut d’obstacles a reconnu qu’elles auraient une incidence sur le sport”, explique Stephan Ellenbruch. “Indépendamment du report des Jeux olympiques de 2020, le comité n’a vu aucune raison de reporter l’échéance au 1er janvier 2022, car cela affecterait les athlètes qui se préparent pour les championnats du monde de 2022. Le Comité est convaincu que l’entrée en vigueur de la nouvelle réglementation, tel qu’indiqué dans le règlement, doit être maintenu au 1er janvier 2021.”

Quelles incidences cela aura-t-il sur le plan sportif? En accentuant le geste de balancier des postérieurs de leurs chevaux, ces artifices permettent aux cavaliers, au moins à court terme, de franchir plus aisément de larges oxers et de tracer des virages très serrés et rapide lors des barrages, par exemple. Le maintien de la mise en œuvre en 2021 influera-t-il sur les choix de chevaux pour les JO? Relancera-t-il le mercato? Contraindra-t-il les chefs de piste à un grand aggiornamento dans la construction et les cotes des parcours? “Selon moi, les nouvelles règles ne vont pas engendrer d’effets dramatiques, notamment parce que la plupart des cavaliers que je connais ont déjà commencé à travailler différemment et à habituer leurs chevaux à ne porter que des guêtres homologuées, assure l’Espagnol Santiago Varela, chef de piste des Jeux de Tokyo et membre du comité de saut. “Toutefois, je pense qu’il va falloir y aller en douceur pendant les premiers mois. Les chefs de piste devront être vigilants car les chevaux ont été habitués à sauter des parcours à 1,60m avec des guêtres postérieures pendant des années. Les barrages vont sûrement être moins rapides qu’avant, et il faudra aussi réduire la pression sur le temps accordé en première manche ou au tour initial. Le calcul de la longueur d’un parcours sera extrêmement important. Peut-être utiliserons-nous aussi d’autres fiches d’obstacles. Ce sont des détails qu’il faudra ajuster, et les chefs de piste auront un véritable rôle à jouer. En tout cas, la FEI a décidé de maintenir sa décision et j’en suis très content. C’était la meilleure chose à faire, et le temps est venu de changer quelques habitudes.

En cas de recul, la FEI n’aurait-elle pas essuyé une nouvelle salve de critiques? Par les temps qui courent, chaque polémique évitée vaut son pesant d’or…