Qerly Chin et sa lignée 34, la meilleure histoire belge (partie 1)

En un quart de siècle, la fameuse lignée 34 du stud-book belge BWP a offert au saut d’obstacles mondial un nombre hallucinant de mâles, hongres et juments ayant brillé à 1,60m. Fruit du travail de sélection du génial éleveur flamand Joris de Brabander, la production issue de cette souche continue à gagner sur les plus belles pistes du monde mais aussi à affoler les ventes aux enchères. Retour sur cette incroyable success story.



Qerly Chin avec Christophe Barbeau en 2003 à Bordeaux.

Qerly Chin avec Christophe Barbeau en 2003 à Bordeaux.

© Scoopdyga

Aux Jeux olympique de Londres, en 2012, Joris de Brabander a vécu l’insigne honneur de voir concourir en saut d’obstacles, non pas un, mais quatre de ses chevaux : deux qu’il avait fait naître, Carembar de Muze (BWP, Nabab de Rêve), malheureusement renommé London, double médaillé d’argent sous la selle du Néerlandais Gerco Schröder, et Derly Chin de Muze (BWP, For Pleasure), partenaire du Canadien Éric Lamaze, qui défendait alors son titre, mais aussi Mylord Carthago (SF, Carthago), le fidèle complice de Pénélope Leprevost, qu’il avait conçu au nom de Paule Bourdy Dubois, et bien évidemment son étalon Vigo d’Arsouilles (sBs, Nabab de Rêve x Fleuri du Manoir), sacré champion du monde deux ans plus tôt à Lexington avec le Belge Philippe Le Jeune et qu’il avait repéré et acheté très jeune à son naisseur Didier Viaene. Rien de tel pour mettre en lumière, si besoin en était, le travail de sélection de ce discret et clairvoyant vétérinaire flamand, pionnier des techniques modernes de reproduction et adepte de croisements raisonnés et fondés en premier lieu sur les performances sportives des mâles comme des femelles. 

Via Werly Chin de Muze (BWP, Nabab de Rêve), Derly Chin descend de la célèbre Qerly Chin (BWP, Chin Chin). Née en 1993 chez Joris de Brabander, à Saint-Nicolas, à vingt-cinq kilomètres à l’ouest d’Anvers, celle-ci est à l’origine d’une souche unique en son genre tant elle a donné de cracks et de bons gagnants à 1,60m. Avec Ta Belle van Sombeke (BWP, Chin Chin x Goliath), mère notamment de Carembar, et Fragance de Chalus (SF, Jalisco B x Fury de la Cense), génitrice de Mylord et tant d’autres champions, Qerly Chin a largement bâti la réputation mondiale de l’élevage de Muze. Il faut dire qu’elle lui a laissé pas moins de neuf filles sur onze produits !

Les racines

La lignée de Qerly Chin est jeune dans le sens où l’on ne peut remonter que jusqu’à sa troisième mère, Asstep, née en 1977 chez Jozef Geenen, dans le nord-est de la Belgique. Son père, Saygon (BWP, Alcanar, Ps) était issu d’une lignée maternelle Hanovrienne. Asstep n’aurait donné qu’un seul produit, Goya (BWP, Fleuri du Manoir), une jument née chez Léon van Lierop, à Saint-Nicolas. Celle-ci a été achetée par Walter de Brabander, le père de Joris. Belle pouliche dotée d’une bonne locomotion, Goya est saillie dès l’âge de deux ans par Pachat II (SF, Hadj A, AA x Quastor), étalon appartenant alors à la famille de Brabander. L’année suivante, elle est à nouveau croisée à Pachat II, avant de débuter en concours à cinq ans. Montée par le marchand belge Johan Lenssens en finale du Cycle belge des six ans, en 1989 à Gesves, elle fait montre de puissance et d’un grand respect de l’obstacle. Avant d’être vendue, elle a donc engendré deux propres sœurs, Jena et Kerly, toutes deux élevées par Walter de Brabander, établi à Nieuwkerken, une section de la commune de Saint-Nicolas. Comme sa mère, Jena est formée par Johan Lenssens avant d’être vendue. Elle engendrera deux mâles par Satanas des Vaux (SF, ET Hop, AA x Arabel), sans descendance connue.

Pour sa part, Kerly, qui montre déjà un grand talent à cinq ans, concourra jusqu’au niveau international avec plusieurs cavaliers dont David Jobertie, prenant notamment part au Grand Prix de Malines. Après avoir produit Nerky (BWP, Pachat II) à trois ans, elle est croisée à l’étalon olympique Chin Chin (Holst, Constant x Farnese), sixième des Jeux olympiques de Séoul en 1988 avec le Mexicain Jaime Azcarraga, ce qui donne Qerly Chin. Née en 1993, année où Joris de Brabander se lance dans le transfert d’embryons, celle-ci est l’un des derniers poulains du Belge nés de manière naturelle. “Kerly a été vendue à neuf ans en Espagne, où elle a accompli une carrière internationale, participant aux championnats d’Europe Juniors, terminant deuxième du championnat d’Espagne et quatrième d’une épreuve à 1,40 m au CSIO de Madrid“, rapporte Jo de Roo dans un article consacré à Goya et publié dans le livre “Belgische Prestatiestammen Deel III“. Devenue poulinière à la Yeguada El Amor, entre Salamanque et la frontière hispano-portugaise, elle met au monde deux autres produits : Darly F (CDE, Chin Chin) en 2003 et Julio Iglesias del Amor (CDE, Grand Rivage) en 2013… à vingt-six ans!



DE LA BELGIQUE À LA FRANCE EN PASSANT PAR LA SUISSE.

Jenson van’t Meulenhof avec Niels Bruynseels cet été à Aix-la-Chapelle.

Jenson van’t Meulenhof avec Niels Bruynseels cet été à Aix-la-Chapelle.

© Scoopdyga

Comme sa grand-mère et sa mère, Qerly Chin montre très tôt un beau potentiel. “Pouliche, elle était déjà très spéciale, ce qu’elle a prouvé par la suite. Elle était puissante et très respectueuse“, se souvient Joris de Brabander. Produisant ses premiers embryons à deux ans, elle va être l’une des premières à prouver que les juments peuvent désormais conjuguer sport et élevage avec succès. À quatre ans, elle est d’abord formée par Christel Lenssens, la sœur de Johan. “Qerly Chin avait un caractère très spécial et des qualités incroyables. Au début, elle ne se laissait pas facilement piloter et regardait un peu tout, mais elle était très respectueuse et ses moyens me semblaient illimités“, se remémore-t-elle. Auteure de sept sans-faute sur le Cycle belge des chevaux de quatre ans, la jument confirme, puis se classe sixième de la finale des six ans à Gesves avec Johan Lenssens après un passage sous la selle de Stephan Vandewalle. Qualifiée pour le Mondial de Lanaken, elle est vendue en Suisse.

À sept ans, elle saute quelques épreuves nationales avec Bertrand Darier, avant de rejoindre les écuries de Christophe Barbeau, Suisse originaire de Charente et établi à Lossy, près de Fribourg. Le couple débute en concours internationaux en 2001 et gravit tranquillement les échelons, sautant son premier Grand Prix à 1,60m en juillet 2002 à Neuendorf, avec une huitième place à la clé. Dans le foulée, Qerly Chin permet à Christophe Barbeau, cavalier ayant débuté sa carrière professionnelle par un bail de huit ans au Japon, de devenir vice-champion de Suisse puis de gagner sa première Coupe des nations au CSIO de Zagreb et de terminer cinquième du prestigieux Grand Prix Coupe du monde de Genève. À nouveau classée début 2003 dans les épreuves majeures des CSI de Zurich, Bordeaux et Vigo, Qerly Chin prend une bonne pause et revient en juin. Elle se comporte très bien dans les Grands Prix de Drammen et Ascona, avant de remporter une belle victoire à 1,50m au CSIO de Gijón. Sa saison indoor débute idéalement avec une troisième place dans le Grand Prix CSI 4* de Brême et une quatrième place à Genève. En Coupe du monde, la paire se classe dixième à Leipzig, quatrième à Amsterdam, septième à Paris et neuvième à Göteborg, validant ainsi sa qualification pour la finale de Milan, où elle finit à un honorable dix-huitième rang, fin avril 2004. Après deux Coupes des nations un peu décevantes à Lucerne (douze puis quatre points) et Falsterbo (huit puis quatre), Christophe Barbeau et Qerly Chin sont désignés réservistes aux JO d’Athènes. Ils célèbrent une dernière victoire en Coupe des nations à Pod brady, en République tchèque, puis achèvent leur épopée le 30 décembre 2004 à Malines. 

Le 17 janvier, Ursula et Vincent Stolz mettent un terme à leur collaboration de treize ans avec le cavalier et vendent Qerly Chin, de même que Chatwin R (Holst, Cassini I x Le Grand I), à Jan Tops. Tandis que le second poursuit sa carrière avec le Brésilien Doda de Miranda, la première, classée cinquante et unième du classement des performers de l’année 2004 établi par la Fédération mondiale de l’élevage de chevaux de sport (WBFSH), est rachetée par le haras des M de la famille Mars. “J’ai toujours eu un faible pour elle en raison de ses résultats et de son tempérament de guerrière, mais elle n’était pas à vendre, jusqu’à ce que j’apprenne qu’elle était arrivée chez Jan Tops. J’ai alors pu la racheter. À ce moment-là, je ne connaissais pas sa production en Belgique“, avoue Grégory Mars. La jument effectue deux demi-saisons moyennes avec Reynald Angot puis achève sa carrière en 2007 après quelques derniers parcours avec Timothée Anciaume, cavalier attitré du haras.

Dans l’Orne, Qerly donne pas moins de treize poulains, plus deux embryons vendus aux haras d’Ick et de Pléville. D’ailleurs, Tchin de Pléville (ISO 146, SF, Dollar dela Pierre) demeure à ce jour son meilleur produit Selle Français, régulièrement classé à 1,35m avec Julia Dallamano et Gilbert Doerr. Pour le haras des M, citons Tilda de Mars (ISO 142, SF, Jarnac), gagnante de Grands Prix à 1,40m avec Céline Henry et Ninon Decaqueray, Toxic de Mars (alias Napoléon, ISO 133, SF, Dollar dela Pierre), vu jusqu’à 1,55m avec l’Espagnol Alberto Marquez Galobardes, ou encore son propre frère étalon Scareface de Mars (ISO 130, SF Dollar dela Pierre), qui a sauté 1,40m avec Julien Mesnil. “Qerly Chin est la plus importante jument de notre élevage. C’est grâce à elle et ses filles que j’ai construit mon cheptel de poulinières“, ajoute Grégory Mars, qui a fait naître Cocaïne de Mars (ISO 133, SF, Kannan et Toxine de Mars par Dollar dela Pierre), vu cette saison avec Timothée Anciaume et Antidote de Mars (ISO 141, SF, Diamant de Semilly et Tilda de Mars), vendu l’an passé par Pierre Cimolai à l’Américaine Bliss Heers, qui l’a engagé dans son premier Grand Prix CSI 5* fin septembre à Waregem.



UNE MERVEILLE ET QUATRE NARCOTIQUE !

Jusqu’à présent, c’est surtout la production belge de Qerly Chin qui a véritablement fait parler d’elle. De 1996 à 1999, elle a engendré pas moins de treize produits, dont huit femelles! Croisée à deux ans à Nabab de Rêve (BWP, Quidam de Revel), étalon appartenant à Joris de Brabander, elle engendre d’abord Merveille de Muze (sBs), qui concourt jusqu’à 1,60m avec l’Irlandais Trevor Coyle puis l’Italien Davide Kainich. Sa fille Bamboula de Muze (BWP, Rubens du Ri d’Asse), qui a évolué jusqu’à 1,50m avec l’Italien Orlando Izzo, est notamment la mère de l’étalon Loro Piana Filou de Muze (BWP, Stakkato), valorisé jusqu’en Grands Prix CSI 5* par le Belge Philippe Le Jeune, fidèle cavalier de Joris de Brabander, puis son épouse Lucia Vizzini. En 1997 naissent trois autres femelles sBs baptisées Narcotique. “Il y a même eu quatre produits cette année-là“, raconte Joris de Brabander. “J’avais passé un accord avec Willy van Impe pour qu’il puisse avoir un embryon de Qerly Chin avec son étalon Ténor Manciais (SF, Grand Veneur x Nankin). Celui-ci a été le premier à naître et Willy a appelé la pouliche Narcotique Schuttershof. Comme ce nom me plaisait beaucoup et que je trouvais drôle de semer la confusion, j’ai nommé Narcotique de Muze II le deuxième embryon par Darco (BWP, Lugano van la Roche). Le troisième, issu de Cento (Holst, Capitol I), s’appelait Narcotique de Muze III. Hélas, le poulain est mort à quatre mois. Et j’ai donc baptisé la quatrième, par Quidam de Revel, Narcotique de Muze IV. Avec le recul, je crois que ce fut une bonne idée, parce que ces trois bonnes juments ont brillé et se sont aidées les unes les autres à devenir célèbres.“

Dédiée à l’élevage, Narcotique Schuttershof a donné à Willy van Impe les étalons Ducati van Schuttershof (sBs, Kashmir van Schuttershof) et Edison van Schuttershof (sBs, Darco), valorisés jusqu’à 1,55m par Gilles Thomas. Ayant pour sa part évolué jusqu’à 1,50m sous les selles des Belges Johan et Ludo Philippaerts, Narcotique de Muze IV a produit Iron Lady van’t Meulenhof (BWP, Parco), vue à 1,50m avec les Britanniques Keith Shore et William Whitaker, l’étalon Jenson van’t Meulenhof (BWP, Vagabond de la Pomme, dont on reparlera), quatrième cet été du Longines Global Champions Tour de Londres avec le Belge Niels Bruynseels, Darcotique van’t Meulenhof (sBs, Marius Claudius), vue à 1,50m avec le Belge Wilm Vermeir et très active à l’élevage, ou encore L’Étoile van’t Meulenhof (BWP, Bamako de Muze), qui a débuté à 1,45m avec la Jeune Belge Stephanie Vermeulen. 

Sans aucun doute, Narcotique de Muze II demeure la meilleure fille de Qerly Chin. Initiée par Kurt de Clercq, excellent formateur belge, elle termine sixième du Mondial des chevaux de sept ans à Lanaken puis débute à 1,50m à huit ans avec Ludo Philippaerts, avant d’être vendue au Canadien Éric Lamaze, qui la monte jusqu’en Grands Prix à 1,60m, gagnant bon nombre d’épreuves. À l’élevage, l’héritage de Narcotique de Muze II est tout simplement colossal. En 2003, fait historique, deux de ses fils ont été approuvés par le stud-book BWP : Querlybet Hero (sBs, Baloubet du Rouet) et Quel Hero de Muze (sBs, Power Light). Si le second, monté par Grégory Cottard, n’a pas franchement crevé l’écran par la suite, se montrant toutefois régulier à 1,40m, le premier est devenu un véritable ambassadeur belge. Valorisé jusqu’en CSIO 5* par Philippe Le Jeune, il est le père d’environ vingt-cinq chevaux ayant concouru à 1,60m, dont Quasi Modo (Z, mère par Quidam de Revel), vainqueur des Grands Prix CSI 4* de Pozna avec Cyril Bouvard et CSIO 3* de Drammen avec le Belge Grégory Wathelet, Fêtard de la Pomme (BWP, par Walnut de Muze, une fille de Nabab de Rêve dont on reparlera) avec le Belge Koen Vereecke, Eros (BWP, mère par Forever), vainqueur du Grand Prix CSI 3* de Maubeuge et des Coupes des nations de Saint-Gall et Sopot avec Olivier Robert, Zerly (KWPN, mère par Carthago) avec l’Américaine Christine McCrea, Icarus (BWP, mère par Skippy II), vice-champion de Belgique cette année avec Pieter Clemens, l’extraordinaire Forlap DC (BWP, mère par Heartbreaker), champion de Belgique, vainqueur du Grand Prix CSI 5* de La Corogne et septième de la finale de la Coupe du monde en 2017 à Omaha avec Grégory Wathelet, Arezzo (KWPN, mère par Walzertakt) avec le Canadien Christopher Surbey, Filou Imperio Egipcio (BWP, mère par Ahorn), vainqueur du Grand Prix CSI 3* de Wavre-Sainte-Catherine avec Niels Bruynseels puis vu aux championnats d’Europe de 2015 avec le Portugais Luis Sabino Gonçalves, ainsi que les Selle Français Sirocco de Coquerie (ISO 158, mère par Papillon Rouge) avec Alexis Gautier et Tum Play du Jouas (ISO 151, mère par Voltigeur du Bois) avec le Suisse Anthony Bourquard.

Azuela de Muze (BWP, Heartbreaker), première fille de Narcotique de Muze II, a engendré Vedet de Muze (sBs, Cartani 4), vu jusqu’à 1,60m avec le Britannique Joe Clee, tout comme Felini de la Pomme (BWP, Vigo d’Arsouilles) avec Régis Bouguennec. Baraka de Muze (BWP, Goethe), autre fille de Narcotique II, a produit Sterrehof’s Ushi van de Wolfsakker (sBs, Vigo d’Arsouilles), éprouvée au plus haut niveau avec l’Autrichienne Julia HoutzagerKayser et son époux néerlandais Marc Houtzager. “Ushi est une très bonne jument avec beaucoup de moyens et un très bon style. Elle est respectueuse et en parfaite santé. Parfois, elle n’est pas assez concentrée en piste, ce qui peut nous jouer des tours, mais elle a bon caractère. Et elle a prouvé sa qualité avec pas mal de sans-faute dans des épreuves difficiles“, salue la cavalière.

La deuxième partie de cet article, paru dans le magazine GRANDPRIX heroes n°115.

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