Explosion W, l'inestimable pépite de Ben Maher (partie 1)
En deux saisons, Explosion W a déjà accroché sept Grands Prix 5* à son palmarès, ainsi que deux médailles, l’argent individuel et le bronze par équipes, aux championnats d’Europe de Rotterdam. À seulement dix ans, fin 2019, l’alezan a allègrement franchi la barre du million d’euros de gains dans le Longines Global Champions Tour, devenant le deuxième cheval le plus riche de l’histoire de ce circuit, avant d’être revendu à prix d’or. Associé au multi-médaillé Ben Maher, qui a récemment regagné les rangs de l’équipe britannique, ce prodigieux KWPN aux moyens colossaux et au courage à toute épreuve semble bien parti pour rejoindre Baloubet du Rouet, Hickstead, Shutterfly, Nino des Buissonnets ou encore Big Star dans le club des cracks de légende.
Puissant, rapide, intelligent, agile, assidu, constant, maniable, élégant... Quiconque a déjà aperçu Explosion W (KWPN, Chacco-Blue x Baloubet du Rouet) sur un terrain de concours ne saurait l’affubler du moindre défaut. Ce bel alezan, révélé à haut niveau en 2018 sous la selle de Ben Maher, est de ces athlètes qui ne montrent aucun point faible. En l’espace de deux ans, ce jeune homme a accumulé pas moins de sept victoires et cinq podiums en Grands Prix de niveau 5*, ainsi qu’une belle médaille d’argent individuelle et une médaille de bronze par équipes aux championnats d’Europe Longines de Rotterdam l’été dernier, permettant au cavalier britannique, en retrait depuis quelques années, de revenir au sommet des hit-parades. En fort peu de temps, l’alezan est tout simplement devenu l’un des tout meilleurs chevaux de saut d’obstacles de la planète.
Explosion W est né le 19 avril 2009 chez Willy Wijnen, à Berlicum, une petite ville voisine de Bois-le-Duc, aux Pays-Bas. Éleveur depuis 1983, ce passionné de chevaux fait naître aussi bien des chevaux de saut d’obstacles que de dressage, collaborant notamment avec son compatriote multimédaillé Hans-Peter Minderhoud. Aussi, depuis plus de trente-cinq ans, le Néerlandais est fier de produire des chevaux tous issus de sa toute première jument, Barina (KWPN, Sultan x Epigoon), qu’il a achetée à un voisin. Dans cette famille, on retrouve bon nombre d’autres chevaux concourant entre 1,40m et 1,55m un peu partout dans le monde. Parmi dix-sept produits, Barina a donné Untouchable (KWPN, Baloubet du Rouet), qui a évolué en CSI jusqu’à 1,60m avec le Néerlandais Leon Thijssen avant d’être croisée à Chacco-Blue, actuel meilleur père de gagnants internationaux en jumping selon le dernier classement établi par la Fédération mondiale de l’élevage des chevaux de sport (WBFSH), ce qui a donné Explosion. “J’avais vu Chacco-Blue dans plusieurs concours, notamment au CHIO d’Aix-laChapelle, et je l’aimais beaucoup“, explique Willy Wijnen. “Il était puissant, flexible et rapide, au sol comme en l’air. Untouchable avait pas mal de moyens. C’était une longue jument, qui avait un coup de saut assez spécial. J’ai donc pensé que Chacco-Blue serait idéal car il était un peu plus court et condensé.“
“Quand il était jeune, Explosion était extrêmement difficile à monter car il avait beaucoup de caractère“, reprend son naisseur. “Il avait déjà une arrière-main puissante et un bon physique. Il était agile et sautait de façon un peu étrange. C’était un mâle extrêmement dominant, presque fou, même au pré ou en main, donc nous l’avons vite castré.“ L’alezan est confié à Tristan Tucker, cavalier australien de dressage, homme de cheval et entraîneur réputé pour le débourrage. Après avoir débuté en concours à quatre ans sous la selle de Thijs Meulemeesters, Explosion poursuit sa formation sur le circuit Jeunes Chevaux néerlandais avec Marielle de Veer. “Il était assez massif et très sensible“, se souvient l’amazone. “Il n’était vraiment pas facile à monter, mais dès qu’il est arrivé chez moi, il est devenu adorable. C’était l’ami et le préféré de tout le monde aux écuries. Il avait toujours l’air de bonne humeur et adorait les câlins, à n’importe quelle heure de la journée ! Au travail, il assimilait très vite. Lorsque je lui enseignait quelque chose, j’avais l’impression qu’il passait la nuit à y penser car il me montrait dès le lendemain ce qu’il avait compris ! (Rires) Pour autant, il n’était vraiment pas facile à monter.“ Rapidement, Explosion démontre un véritable potentiel, enchaîne les parcours parfaits et attire les regards. Il est si régulier qu’il enchaîne vingt-cinq sans-faute d’affilée en une saison ! “J’ai toujours dit à son naisseur qu’il était extrêmement talentueux. Jeune, il sautait plutôt normalement parce qu’il était grand et pas encore assez développé physiquement. Mais quand nous avons sauté nos premières épreuves à 1,20m, il a commencé à montrer son envergure et à donner ce sentiment de pouvoir sauter n’importe quoi ! Après cela, je n’ai jamais eu le sentiment de trop lui en demander ; il ne montrait pas de limite !“, se souvient Marielle, qui a eu le bonheur de retrouver son ancien complice cet hiver à Wellington, en Floride. “C’était génial de pouvoir le revoir après tout ce temps, et je suis sûre qu’il s’est souvenu de moi. C’était très touchant.“
Un grand cavalier ou rien
À l’été 2016, après les prestations d’Explosion dans les épreuves Jeunes Chevaux du CHI de Bois-le-Duc et aux championnats des Pays-Bas, Willy Wijnen reçoit plus d’une centaine d’appels de potentiels acheteurs. L’éleveur fonde de tels espoirs en son protégé qu’il ne veut pas le voir tomber entre n’importe quelles mains. “De Franke Sloothaak à Jos Lansink, tous m’ont fait part de leur intérêt pour lui. Des marchands m’ont également contacté, mais j’ai refusé toutes ces offres car je voulais qu’il soit monté par un très bon pilote. Et il n’y en a pas beaucoup plus d’une trentaine dans le monde. Par exemple, Maikel van der Vleuten l’a essayé, mais il n’y a pas eu d’osmose.“ Un beau jour, Willy Wijnen accueille dans ses écuries un certain Ben Maher. Champion olympique par équipes à Londres en 2012 et champion d’Europe par équipes à Herning en 2013, où il avait aussi décroché l’argent individuel, le Britannique fait partie des grands du circuit. “Je me souviens très bien de ce que j’ai ressenti ce jour-là“, raconte le Britannique, pour qui le coup de foudre fut immédiat. “Il était déjà très vif et massif. Même si je ne pouvais pas deviner qu’il deviendrait un tel cheval, j’ai directement senti qu’il était très respectueux et qu’il avait l’attitude parfaite. En plus, il m’a semblé très facile et pratique à monter.“ L’essai se passe si bien que l’éleveur en est presque un peu décontenancé. “En quelques minutes, nous avons vu le cheval changer, c’était assez intriguant. L’affaire s’est rapidement conclue“, se souvient-il, laissant partir son protégé. Ce dernier est acquis par Poden Farms, structure équestre fondée par Neil Moffitt, entrepreneur anglais ayant fait fortune dans l’hôtellerie et le monde de la nuit. Depuis quelques mois, le multimédaillé entraîne la fille du magnat, Emily, jeune cavalière débutant en CSI. Cette nouvelle collaboration permet à Ben de compter sur un nouveau sponsor. Explosion déménage alors à Elsenham, en Grande-Bretagne, où sont établies les écuries du champion.
Après quelques jours de découverte, le nouveau duo participe au CSI Jeunes Chevaux de Knokke, où il signe deux sans-faute. Son calendrier étant extrêmement chargé, Ben confie son jeune partenaire à l’Américaine Carly Anthony puis à la Britannique Emily Mason, ses deux cavalières. L’alezan continue à enchaîner les scores vierges : quarante-deux sur soixante-cinq parcours internationaux entre juillet 2016 et mars 2018, soit une moyenne de 65 % ! Explosion repasse sous la selle de Ben Maher en avril 2018, à l’occasion du CSI 5* de Shanghai. Le couple dispute l’épreuve majeure du vendredi, puis la qualificative et le Grand Prix. En quatre parcours, pas une barre ne tombe, et la paire termine deuxième de cette étape du Longines Global Champions Tour (LGCT) grâce à un formidable double sans-faute. “Je l’avais déjà monté une ou deux fois plus jeune, mais c’est notre premier vrai concours ensemble, alors je suis très heureux de notre performance“, réagit le cavalier en conférence de presse. “Ma cavalière a accompli un formidable travail avec ce cheval, qui a été régulier toute la semaine. J’espère pouvoir le garder pour quelques autres concours…“
Quelques jours plus tard, le couple enchaîne avec le LGCT de Madrid. Auteur d’un sans-faute dans l’épreuve d’ouverture, le couple effectue une razzia en remportant coup sur coup la qualificative et le Grand Prix! Au barrage, Explosion fait montre d’une vitesse et d’une détente ahurissantes, devançant de plus de deux secondes les expérimentés Rokfeller de Pléville (SF, L’Arc de Triomphe x Apache d’Adriers) et Harley van den Bisschop (BWP, Dulf van de Bisschop x Coronado), partenaires de l’Espagnol Eduardo Álvarez Aznar et du Belge Nicola Philippaerts! Cette performance détonante signe à la fois le coup d’envoi d’une superbe série pour Explosion et le retour de Ben Maher au plus haut niveau. En effet, à la suite des départs, blessures ou retraits successifs de Tripple X III (AES, Namelus R x Catango), Cella (ex-Centoia van’t Roosakker, BWP, Cento x Chin Chin), Urico (KWPN, Zandor x Fedor), Sarena (ex-Sixtine de Vains, SF, Calvaro x Damoiseau d’Or), puis Diva II (AES, Kannan x Berlioz), le Britannique était moins sur le devant de la scène. “Je sais que nous avons souvent tendance à dire cela et que j’ai connu beaucoup de très bons chevaux dans ma carrière, mais un phénomène tel qu’Explosion n’arrive qu’une seule fois dans la vie d’un cavalier“, dit-il. “Il est incroyable. Honnêtement, il n’a pas vraiment de défaut. Il a en tout cas de très nombreuses qualités ! Il a un super caractère, il est intelligent, courageux, volontaire, gentil. Il est assez calme et même un peu fainéant à la maison. Et en concours, il est vraiment différent : beaucoup plus excité et heureux, comme s’il devenait quelqu’un d’autre en piste. De plus, j’ai toujours été persuadé que la relation entre un cheval et son cavalier était extrêmement importante pour réussir. La plus grande qualité d’Explosion est qu’il me fait confiance, ce qui est réciproque.“
Témoin de cette formidable et rapide entente, la famille Moffitt choisit visiblement de conforter le couple. Le génie alezan poursuit sa saison exclusivement sur le double circuit LGCT/Global Champions League (GCL), Ben Maher servant l’écurie des London Knights aux côtés d’Emily Moffitt. Présent à Cannes, le couple termine quatrième à Paris, cinquième à Chantilly et quatrième à Londres puis triomphe à nouveau à Rome. En dépit de ses capacités et de sa constance, le couple demeure à distance de l’équipe britannique, au grand dam de Di Lampard, sélectionneuse nationale... Fin août, cette dernière dévoile une sélection mi-figue, mi-raisin pour les Jeux équestres mondiaux de Tryon, sans Ben Maher, alors en tête du LGCT et comptant pourtant d’autres chevaux de Grands Prix comme Winning Good (NRPS, Winningmood van Arenberg x Sir Corland), ni Scott Brash, qui ne sont guère épargnés par les commentateurs, alors que la Grande-Bretagne doit se qualifier pour les Jeux olympiques de Tokyo. “J’ai complètement compris le choix de Ben et de ses propriétaires“, assure Di Lampard. “Explosion n’avait débuté en CSI 5* qu’en début d’année 2018. Participer directement aux JEM aurait été beaucoup trop pour une première année à ce niveau. Je n’ai aucun doute sur le fait qu’il aurait été à la hauteur, et il nous a évidemment manqué (l’équipe a finalement terminé huitième et a dû attendre les Européens de Rotterdam pour décrocher son ticket, ndlr), mais il fallait réfléchir à long terme et penser au futur de sa carrière. Une telle échéance serait arrivée trop tôt, et c’était le choix le plus sensé.“
Le couple achève sa moisson 2018 au CSI 5* de Doha... où il termine deux fois troisième à 1,55 m et remporte son troisième Grand Prix CSI 5*, contribuant au triomphe de Ben Maher aux classements généraux du LGCT et de la GCL! “Je comptais sur Explosion depuis un moment, mais notre premier concours ensemble, à Shanghai, a donné lieu à un résultat très surprenant !“, s’en étonne encore le lauréat. “Explosion prouve qu’il peut tout faire. Tout nous a souri cette année !“ Le mois suivant, l’alezan connaît une première petite contreperformance en finale du Top Ten Rolex, lors du prestigieux CHI de Genève, son premier concours indoor. N’ayant visiblement pas compris la demande de son pilote sur le difficile abord du triple de la première manche, le prodige de dix ans prend son appel bien trop tôt et fini son saut au beau milieu de l’oxer. Un incident impressionnant mais heureusement sans conséquence, puisqu’il finit septième du Grand Prix dominical. La semaine suivante à Prague, le duo se classe cinquième du Super Grand Prix LGCT puis subit une élimination en finale des play-offs de la GCL à la suite de deux refus sur un mur. Assez peu regardant d’habitude, l’alezan a peut-être estimé avoir déployé suffisamment d’efforts pour une première saison au plus haut niveau...
Ce portrait, dont la seconde partie sera publiée demain, est paru dans le magazine GRANDPRIX n°116, en mai.