Après son dramatique accident, Kevin Babington s’est accroché à la vie, à sa famille et ses animaux

Victime d’une très grave chute fin août 2019 au CSI 4* de Bridgehampton, aux États-Unis, Kevin Babington avait bien failli décéder tant son corps avait souffert. Opéré à plusieurs reprises pour réparer sa colonne vertébrale, il vit aujourd’hui en fauteuil roulant et continue à progresser dans sa rééducation malgré les mesures de confinement. Partageant son existence entre le New Jersey et la Floride, le cavalier irlandais, médaillé d’or par équipes aux championnats d’Europe de 2001, continue à se passionner pour son sport, les animaux et leur bien-être, auquel il contribue en développant ses propres gammes de litière et de fourrage.



La semaine dernière, Kevin Babington a pu se faire couper les cheveux, une vraie réjouissance en ces temps étranges. Partout dans le monde, les gens ont perdu le contrôle de leurs boucles en raison de mesures de confinement décrétées pour faire face à la pandémie de Covid-19. Mais comme l’explique le cavalier olympique irlandais établi aux États-Unis et médaillé d’or par équipes aux championnats d’Europe de saut d’obstacles, en 2001 à Arnhem, la situation en Floride est récemment revenue à une sorte de normalité, ce qui a provoqué un boom pour les coiffeurs. “Le mien a encore un programme chargé pour les trois prochaines semaines!”, a-t-il dit en riant.

On comptait lui poser des questions sur la litière durable que son entreprise, Babington Mills, produit, tout en rappelant sa passion pour les animaux, l’agriculture et la campagne. Kevin, sa femme et sa famille ont dû faire face aux conséquences d’une chute survenue l’été dernier en compétition et qui a changé le cours de leur vie, clouant le cavalier dans un fauteuil roulant. À peine neuf mois plus tard, l’homme originaire du comté de Tipperary a déjà les yeux fermement fixés sur l’avenir de son entreprise, sa rééducation et son sport.

L’idée de la litière lui est venue il y a quelques années lorsqu’il a trouvé un produit en sac en Allemagne. “J’ai eu envie de l’importer aux États-Unis, alors j’ai fait faire beaucoup de recherches et acheté des machines au Danemark où l’on en produit beaucoup. Au cours de mes voyages, je suis également tombé sur différents aliments pour chevaux, alors j’ai décidé de créer moi-même une version de fourrage, à partir de céréales d’agriculteurs biologiques. C’était un gros investissement, mais c’est fantastique pour les chevaux.”

Son fourrage à faible teneur en amidon et faible en sucre ralentit l’apport et crée beaucoup plus de salive, ce qui aide à prévenir les ulcères gastriques. “C’est bon pour tout le tube digestif car le cheval met plus de temps à mâcher, ce qui constitue un tampon face aux ulcères. À l’inverse, ils sont davantage enclins à avaler rapidement des aliments granulés ou sucrés, ce qui n’est pas bon pour eux”, explique-t-il.

En ce qui concerne la litière, il a fallu un certain temps pour affiner sa version particulière, en mettant des ballots de paille de 363kg dans un hachoir, puis en les faisant passer dans un broyeur à marteaux qui ouvre le nœud de la paille et crée le trempage, ce qui la distingue des autres produits du marché. “La paille conventionnelle a peu d’imprégnation, mais au fur et à mesure que nous la coupons, cela revient à enlever les copeaux”, dit Kevin. “Il faut commencer par une paille de bonne qualité avec moins de 10% d’humidité. Elle est si absorbante qu’elle fonctionne presque comme de la litière pour chats. Il est alors plus facile d’y trouver les excréments et l’on n’utilise qu’une fraction de la quantité de paille ordinaire sur la litière du cheval. De plus, nous la faisons passer à travers un extracteur de poussière, ce qui est vraiment bon pour les chevaux souffrant d’allergie. Le produit fini est très propre”, ajoute-t-il.

Les chevaux ne sont-ils pas enclins à manger leur délicieuse litière? “Pour une raison quelconque, ils sont moins susceptibles de la manger que la longue paille. Lorsqu’ils la découvrent pour la première fois, ils peuvent la grignoter, mais cela ne leur fait aucun mal. Il peut arriver qu’un cheval la mange. À l’état naturel, il paît. Et parfois, le foin s’y mêle, donc grignoter toute la nuit est vraiment bon pour lui”, précise-t-il. La litière représente désormais la plus grande partie de l’activité de Babington Mills, développant des gammes pour les petits animaux comme les lapins, hamsters et cochons d’Inde. “Nous utilisons pour eux une coupe plus fine, le processus est un peu différent. Et ils vivent très heureux avec”, ajoute Kevin.



Fermier avant tout

Le fait que Kevin se sente bien auprès des animaux, petits et grands, heureux et confortables, n’a rien de surprenant. Il suffit de se rappeler l’histoire que sa femme, Dianna, a racontée alors qu’elle faisait face à sa propre angoisse après son accident en août dernier, dans lequel elle décrivait son mari comme “gentil, avant tout”. Il y a quelques années, alors qu’ils rentraient chez eux, tard dans la nuit, au beau milieu d’une tempête de neige qui avait rendu les routes à peine praticables, ils étaient tombés sur une biche qui avait été heurtée par un véhicule et abandonnée sur la route avec deux jambes cassées. “Kevin s’est lentement approché d’elle et lui a mis une couverture après avoir gagné sa confiance. Nous sommes restés avec elle pour la protéger, et il lui a parlé et l’a caressée pendant que nous attendions que la police vienne la prendre en charge et l’euthanasier sans cruauté.” Ce n’est là qu’une part de cet homme très populaire dont la chute a provoqué une réaction émotionnelle phénoménale dans le monde équestre.

Quoi qu’il en soit, le voilà donc de retour aux affaires et à la ferme Babington Mills située à Hamburg, à cent vingt-cinq kilomètres au nord-ouest de Philadelphie, en Pennsylvanie. “Au fond de mon cœur, j’ai toujours voulu être agriculteur!”, admet Kevin. “J’ai eu cette excellente idée d’acheter une ferme et d’y cultiver mon propre foin et mon blé chaque année. Nous avons acheté la ferme juste après la grosse crise financière de 2008 alors que nous ne savions pas dans quelle direction irait le monde du cheval. Elle se situe dans une région rurale très reculée et j’aimerais y être maintenant, parce que j’aime beaucoup cet endroit.” Dans les premiers temps, il était proche de la maison familiale et s’est beaucoup impliqué dans la gestion de la ferme, puis le commerce de chevaux s’est relancé alors il a un peu repris ses distances. La direction de Babington Mills est désormais entre les mains très compétentes de sa belle-sœur, Daun Imperatore.

L’un des aspects de la production de litière qui plaît le plus à Kevin est le fait qu’elle soit compostable. “Nous sommes entourés de producteurs de champignons qui sont ravis de l’utiliser, et on peut également l’étaler directement dans les champs car elle se décompose plus vite que la paille conventionnelle.” Cela ressemble à un parfait exemple de bioéconomie circulaire, utilisant des ressources naturelles renouvelables d’une manière qui plaît à l’environnement.

Au début de l’année dernière, la famille a déménagé dans un magnifique nouvel établissement situé dans le New Jersey, se rapprochant de nombreux élèves et clients de Kevin. À présent, elle partage donc son temps entre le New Jersey et sa base hivernale de Floride. Kevin aime enseigner et le fait toujours depuis son fauteuil roulant, à l’aide d’un casque audio et accompagné de ses “gardes du corps”, les trois bergers australiens de la famille: Dylan, Millie et sa plus proche amie, Delilah, âgé de trois ans.



Une lente et longue rééducation

Kevin Babington et Carling King en 2001 à La Baule.

Kevin Babington et Carling King en 2001 à La Baule.

© Frédéric Chéhu/FEI

Mais monter lui-même lui manque, ce qui l’amène à parler de son programme de rééducation. “Je travaille dur et j’ai réussi à retrouver un bon mouvement dans mon bras droit, au point que je peux presque gérer le fauteuil roulant avec ma main. Je ressens aussi des pincements dans les jambes que les médecins appellent de bons spasmes. Les vertèbres C3 et C4 affectent encore mon diaphragme. Et j’ai été sous respirateur artificiel pendant un certain temps au début. Je m’en suis sorti depuis des mois donc ma voix et mes poumons redeviennent plus forts. Cependant, c’est lent. Je dois encore faire face à une bonne quantité de douleurs sous forme de spasmes. Malheureusement, le cabinet physiothérapie où je vais a été fermé à cause du coronavirus, mais il rouvre le 1er juin et j’ai vraiment hâte d’y retourner. Je fais du vélo tous les jours pour garder mon tonus musculaire et beaucoup d’exercices en travaillant sur ma force”, explique Kevin qui a également utilisé une chambre d’oxygène hyperbare dans le cadre de son dernier traitement.

Comment oublier le grand cheval qui l’a mis sur la scène internationale, le hongre alezan Carling King (ISH, Clover Hill x Chair Lift, Ps) qu’il décrit comme un vrai personnage, très fort et certainement le meilleur cheval de toute sa vie. “Nous avons parcouru le monde ensemble et il m’a permis de participer à mes premiers grands championnats, Arnhem (en 2001 aux Pays-Bas, où l’Irlande avait remporté la médaille d’or, ndlr), ainsi qu’à ma toute première Coupe des nations en Europe, à Aix-la-Chapelle. C’est dire si j’avais été jeté dans le grand bain! Par la suite, nous avons fait partie de l’équipe gagnante à Hickstead en 2000. J’ai eu l’occasion de participer plusieurs fois au Masters de Spruce Meadows (à Calgary, ndlr), aux Jeux équestres mondiaux de Jerez (en 2002 en Espagne, ndlr), aux championnats d’Europe de Donaueschingen (en 2003 en Allemagne, ndlr) et aux Jeux olympiques d’Athènes (en 2004 en Grèce, ndlr). Pendant cinq ou six ans, nous avons vécu ensemble une incroyable aventure”, se souvient-il, non sans rappeler qu’ils avaient terminé huitièmes à Jerez, dixièmes à Donaueschingen et surtout quatrièmes à Athènes. Ce extraordinaire couple a aussi remporté le fameux Grand Prix de France en 2004 à La Baule.

Ces dernières années, il a conservé une position proéminente sur le circuit américain. Début mars, il a d’ailleurs été nommé comme l’un des trois conseillers du comité de haute performance de Horse Sport Ireland, la Fédération nationale irlandaise, avec Taylor Vard et Cameron Hanley. La compétition s’étant arrêtée quelques semaines plus tard, il n’a pas encore eu la chance de partager son expertise et sa sagesse, mais une fois l’action reprendra, Kevin apportera sans aucun doute une grande contribution à l’équipe irlandaise de saut d’obstacles dans les années à venir.

Comment pense-t-il que les sports équestres évolueront dans le sillage de la pandémie actuelle? “Malheureusement, de nombreux concours parvenaient à peine à survivre et certaines d’entre eux pourraient ne pas résister à la crise. Ce sera difficile, et certains fournisseurs et petits sponsors auront du mal eux aussi à repartir de l’avant. Une fois que les choses commenceront à reprendre, tant que nous n’aurons pas une deuxième vague de contamination, le sport devrait rebondir, mais il y aura à coup sûr des changements. Nous allons traverser cela. C’est comme une bosse sur la route mais notre sport était dans une situation globalement saine avant que cela ne se produise, alors il va s’en sortir. Tout le monde le veut…”

 

Revivez la victoire de Kevin Babington et Carling King dans le Grand Prix de La Baule, en 2004.

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