Madeleine Winter–Schulze, Geneviève Mégret et Emmanuèle Perron-Pette, trois passionnées au service du grand sport

Dans un sport aussi exigeant financièrement que l’équitation, à haut niveau, les propriétaires de chevaux sont des acteurs incontournables. Selon les pays et les disciplines, leurs profils diffèrent, des mécènes aux étalonniers en passant par les marchands. Si Geneviève Mégret et Emmanuèle Perron-Pette sont indissociables des récents succès du jumping français, outre-Rhin, la figure du propriétaire est depuis longtemps incarnée par Madeleine Winter-Schulze. Grand Prix a sondé la passion et les motivations de ces trois femmes.



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Qu’il s’agisse de concours complet, de dressage ou de saut d’obstacles, la réussite dans le grand sport repose sur une combinaison de paramètres sportifs, humains, géographiques et financiers. Dans ce cadre, les propriétaires de chevaux font figure de piliers. C’est souvent autour d’eux que naît la synergie propice à la réalisation des objectifs sportifs des meilleurs cavaliers. Mécènes plus ou moins impliqués personnellement, grands éleveurs et étalonniers ou marchands à succès, selon les pays et disciplines concernés, leurs profils diffèrent. Quand on s’intéresse à l’histoire récente du saut d’obstacles français, deux haras se détachent très vite : celui de Clarbec, propriété de la famille Mégret, et celui des Coudrettes, créé par les époux Perron-Pette. En Allemagne, l’emblématique Madeleine Winter-Schulze est tout bonnement associée à tous les succès collectifs de son pays dans les trois disciplines olympiques ! 

Si l’on se penche sur leurs motivations, elles sont d’abord d’ordre affectif. “La passion des chevaux, l’amour du grand sport, la recherche de la performance, l’émotion lors d’une Marseillaise, la fierté de voir ses chevaux défendre ses couleurs lors de grands championnats et le plaisir de rencontrer ceux qui partagent la même envie : c’est bien tout cela qui doit guider celui ou celle qui décidera de se lancer dans l’aventure, et pas uniquement la recherche d’un placement financier diversifié“, souligne Emmanuèle Perron-Pette, cofondatrice du haras des Coudrettes, la structure sportive au sein de laquelle évolue Patrice Delaveau depuis 2013. 

Avant de s’impliquer en tant que propriétaires, Emmanuèle Perron-Pette, Geneviève Mégret et Madeleine Winter-Schulze ont toutes les trois été cavalières. Fondue d’équitation dans sa jeunesse, la première s’en est éloignée pendant une vingtaine d’années pour des raisons professionnelles. En 1996, elle accède à la présidence de l’entreprise familiale spécialisée dans la construction des voies ferrées. En 2006, l’entrepreneuse renoue avec le cheval grâce à ses enfants, Chrystal et Dorian. Avec son époux Armand, elle acquiert alors une petite propriété dénommée les Coudrettes, au Mesnil-Mauger, dans le Calvados. La suite n’a été qu’une histoire de belles rencontres : “Julie Gadal, qui nous a aidés à créer le haras, puis Patrice Delaveau, que j’ai retrouvé avec plaisir lors d’un dîner chez nos voisins et amis André et Annick Chenu (éleveurs et propriétaires du haras du Plessis Massey, ndlr). À cette époque, Patrice formait Ornella Mail (Lando x Alligator Fontaine), une jeune et talentueuse jument en qui il fondait beaucoup d’espoir. Il a vécu un coup dur quand ses éleveurs et propriétaires (Bernard Le Courtois et Christopher King, ndlr) ont dû prendre la décision de la vendre à huit ans, juste au moment où il pouvait espérer accéder à de belles épreuves avec elle. Nous avons alors puisé dans nos économies pour en acheter une part, afin qu’il puisse la conserver. C’est ainsi que nous sommes devenus propriétaires de notre premier petit bout d’une crack qui a évolué dans le grand sport par la suite. Puis la vie a mis sur notre chemin un cheval d’exception, Orient Express (Quick Star x Le Tot de Semilly), dont la valorisation avait été confiée à nos voisins, qui ont eux aussi fait le pari de l’amitié en décidant de nous le vendre pour Patrice. Et nos rêves de Marseillaise à tous les quatre sont devenus réalité. En 2011, des événements exceptionnels nous ont permis d’acquérir Silvana (KWPN, Corland x Widor) et de rencontrer Kevin“, retrace Emmanuèle Perron-Pette.



Un ou plusieurs cavaliers, une ou plusieurs disciplines

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Pour Geneviève Mégret, cavalière ayant évolué en compétition jusqu’à 1,50m, l’arrivée à haut niveau en tant que propriétaire a coïncidé avec l’acquisition, en 2004, d’une certaine Nayana (Royal Feu x Narcos II). Médecin de profession, elle n’avait pas hésité à ranger son stéthoscope pour se consacrer aux chevaux et au haras de Clarbec, un magnifique haras sis dans le village du même nom, dans le Calvados, qu’elle a acquis en 1998 avec son époux Dominique, également passionné d’équitation. Avec son aide et celle de sa fille Élise, passionnée d’élevage et de génétique équine, elle a su bâtir une solide structure de soutien aux meilleurs cavaliers français : Éric Levallois d’abord, Patrice Delaveau, puis surtout Pénélope Leprevost, de l’automne 2011 à l’hiver 2018, Nicolas Delmotte, et désormais Félicie Bertrand. “J’essaie de faire en sorte d’aider des cavaliers à s’illustrer à haut niveau. C’est passionnant et grisant, notamment lors de grandes victoires et compétitions majeures, mais il y a aussi des moments difficiles et de grandes déceptions“, évoque Geneviève. 

Pour Madeleine Winter-Schulze, l’histoire est quelque peu différente. Née à Berlin en 1941, elle a vécu son adolescence en République démocratique allemande avant la construction du mur qui a séparé la ville en deux, de 1961 à 1989. Travaillant pour Volkswagen, son père Eduard Winter fait fortune dans la commercialisation des voitures en Allemagne de l’Est. À sept ans, la jeune fille découvre l’équitation à l’occasion de belles balades dans la forêt de Grunewald. Très vite, son père la pousse à persévérer et à se lancer en compétition. Madeleine réussit une belle carrière en jumping et en dressage de la fin des années 1950 à 80, décrochant notamment un titre de championne d’Allemagne en dressage en 1958. Son père meurt l’année suivante, léguant sa fortune à Madeleine et sa soeur Marion. Propriétaires des concessions Volkswagen, Porsche, Audi et Skoda de la région de Berlin, l’empire Winter emploie près de mille salariés. 

En 1971, Madeleine rencontre Dietrich, dit Dieter Schulze, grand cavalier de saut d’obstacles qu’elle épousera en 1987. En 1978, le couple s’installe à Mellendorf, près de Hanovre, dans l’ancienne ferme de leur regretté ami Hartwig Steenken, sacré champion olympique par équipes en 1972 à Munich puis champion du Emmamonde individuel en 1974 à Hickstead. Il y fonde un élevage et acquiert des chevaux de haut niveau. Les deux passionnés raccrochent leurs bombes de concours en 1996. En 1998, ils entament une longue collaboration avec Ludger Beerbaum et ses cavaliers, puis une autre avec la dresseuse Isabell Werth à partir de 2001, avec une extraordinaire série de succès à la clé. Après le décès de Dieter, fin 2008, Madeleine s’implique également en faveur de la complétiste allemande Ingrid Klimke. Depuis de nombreuses années, à travers son mécénat de la Fédération allemande (DOKR), elle soutient même tous les cavaliers, meneurs et voltigeurs allemands participant aux grands championnats internationaux. “Ce sport demande beaucoup d’investissement, notamment financier. J’ai été très chanceuse d’avoir eu un père qui m’a permis d’accomplir des choses formidables pour ma passion. Par exemple, je peux garder les chevaux que montent Isabell ou Ludger s’ils le désirent. C’est eux qui décident du chemin qu’ils vont emprunter avec telle ou telle monture“, raconte Madeleine Winter-Schulze.

Une passion de plus en plus coûteuse

En concours complet, en dressage et plus encore en saut d’obstacles, le prix des meilleurs chevaux ne cesse d’augmenter, plus rapidement que les dotations, notamment sous la pression de nouveaux acteurs venus d’Amérique et des nations émergentes d’Asie, d’Europe de l’Est et du Golfe persique. En outre, les propriétaires de jumping sont désormais de plus en plus souvent invités à financer la participation de leurs cavaliers aux CSI 5*, au-delà de l’engagement règlementaire. Une situation qui s’est même institutionnalisée avec l’avènement de la Global Champions League, championnat d’écuries devant chacune s’acquitter de 2,5 millions d’euros par saison. “Notre sport évolue de façon terrifiante depuis quelques mois“, s’alarme Emmanuèle Perron-Pette. “En tant qu’autorité de régulation, la Fédération équestre internationale doit être garante de la transparence et de l’équité en instaurant des règles claires qui s’appliquent à tous de manière impartiale et équitable. Aujourd’hui, nous n’avons malheureusement pas la sensation que ce soit le cas. La participation d’un cavalier à un CSI 5* ne peut pas et ne doit pas être liée à ses capacités financières à s’engager dans un circuit, mais à son talent et ses résultats. Si l’on ne trouvait pas une sortie élégante et sportive à ce problème, cela pourrait un jour nous faire quitter la partie.“ “Il y a de plus en plus d’argent en jeu dans le sport de haut niveau. C’est évidemment positif pour l’ensemble de la filière, mais c'est parfois au détriment du sport et du bien-être des chevaux. Il va falloir trouver un équilibre entre les nouveaux circuits et ceux des Coupes des nations“, ajoute Geneviève Mégret. “On se dirige vers des modèles où le cheval est soumis à des calendriers toujours plus serrés, avec des voyages permanents dans le monde entier, etc. J’ai l’impression que notre sport devient trop exigeant pour les chevaux.“ Madeleine Winter-Schulze partage ces craintes : “Notre sport est de plus en plus tourné vers l’argent. D’un côté, il devient de plus en plus difficile pour les cavaliers et propriétaires de participer aux compétitions autres que le Longines Global Champions Tour puisqu’ils conservent leurs meilleures montures pour ces échéances plus lucratives. De l’autre, les organisateurs de CSI et CSIO souffrent parce qu’ils ne parviennent plus à attirer les meilleurs couples. Heureusement, cela n’a pas encore atteint le dressage.“ 

Si dans le monde des courses, chevaux, propriétaires et entraîneurs prennent autant - sinon plus - de lumière que les jockeys, il n’en est pas de même dans l’univers des sports, où l’on s’intéresse moins aux éleveurs et propriétaires - et parfois même aux chevaux - qu’aux cavaliers. Pour sa part, Emmanuèle Perron-Pette milite depuis plusieurs années pour que les couples soient récompensés en tant que tels lors des compétitions nationales et internationales. C’est pourquoi elle s’est engagée au sein du Club des propriétaires de chevaux de saut d’obstacles (JOC), dont elle a intégré le comité. 

Créé en 2004, le JOC réunit les propriétaires de chevaux évoluant en CSI de niveaux 2 à 5* se conformant à une règle d’or : “Assurer le bien-être des chevaux et l’esprit sportif.“ Il se veut “le lieu de partage d’une passion commune pour le saut d’obstacles et l’équitation ainsi que d’expression et de défense des intérêts des propriétaires dans le sport.“ Depuis le 9 décembre 2017, son nouveau président n’est autre que Dominique Mégret, l’époux de Geneviève, qui a succédé à Christian Baillet, engagé de longue date dans la carrière de cavalier de Philippe Rozier. “Son travail n’est pas toujours facile car les propriétaires n’ont pas tous les mêmes objectifs. Du reste, nous venons parfois d’univers très différents. Je pense notamment aux propriétaires très aisés des États-Unis ou des pays du Golfe. Or il est difficile de composer avec un groupe qui n’est pas homogène“, reconnaît Geneviève Mégret.

En France, Emmanuèle Perron-Pette s’investit aussi au sein de la Fédération française d’équitation, où elle représente les propriétaires au conseil fédéral. “Le fait même que le président Serge Lecomte ait souhaité, lors des dernières élections fédérales, intégrer à sa liste des représentants du sport de haut niveau comme Cyrille Bost (l’épouse de Roger-Yves, organisant de nombreux concours à Barbizon et Fontainebleau, ndlr), Virginie Coupérie-Eiffel (organisatrice du Longines Paris Eiffel Jumping, ndlr) et moi-même, était déjà un signe fort de l’intérêt grandissant que porte notre fédération au grand sport. Depuis, sous l’autorité de notre directrice technique nationale, Sophie Dubourg, le président m’a confié la création d’un comité du haut niveau, réunissant toutes les disciplines, afin de mieux structurer l’action fédérale autour des attentes des différents acteurs, dont les propriétaires font bien sûr partie“, explique celle qui soutient aussi la carrière du complétiste Nicolas Touzaint et de l’équipe de voltige des écuries de la Cigogne.



La passion chevillée au corps

Force est de constater que peu de propriétaires s’engagent à ce point à haut niveau, le plus souvent faute d’argent ou de temps à y consacrer. Pour y accéder et s’y maintenir, un cavalier doit disposer de plusieurs montures à fort potentiel dans son piquet, ce qui nécessite une structure solide et une réelle capacité à mobiliser des propriétaires à ses côtés, dans la mesure de leurs possibilités et de leurs envies. Et pour nourrir la passion de ces trois femmes, rien de tel qu’une belle victoire, acquise avec la manière. “Au-delà de la passion, c’est l’adrénaline des victoires qui nous transporte et nous pousse à continuer. Je me souviens de la joie que nous avons ressentie en 2016 quand Vagabond de la Pomme (sBs, For Pleasure x Vigo d’Arsouilles) a réussi un magnifique double sans-faute lors du très difficile Grand Prix du Saut Hermès au Grand Palais (dont il s’était classé deuxième avec Pénélope Leprevost, ndlr). C’est pour ces moments-là, ou ses performances en finale de la Coupe du monde Longines à Las Vegas que nous sommes propriétaires“, sourit Geneviève, qui a vécu tout aussi intensément les grands succès de ses nombreux cracks, dont Flora de Mariposa (BWP, For Pleasure x Power Light), vice-championne du monde et championne olympique par équipes en 2014 à Caen et 2016 à Rio. 

Emmanuèle Perron-Pette est également associée à ces deux médailles collectives, obtenues par Rêveur de Hurtebise*HDC (sBs, Kashmir van’t Schuttershof x Capricieux des Six Censes) et Orient Express*HDC, deux de ses nombreux champions, avec Kevin Staut et Patrice Delaveau, qui s’est également paré de l’argent individuel en Normandie. À ce titre, elle n’oubliera jamais “le saut du dernier oxer de Patrice et Orient, qui les avait placés en tête avant la finale tournante“, ni “le franchissement de la ligne d’arrivée de Kevin et Rêveur, qui ont offert l’or olympique à la France grâce à leur double sans-faute dans le temps. Plus récemment, je citerais aussi leur victoire dans la finale du Top Ten de Genève. Il est impossible de décrire ce que l’on ressent dans ces moments de joie immense partagés en équipe. Cela vaut tout l’or du monde !“ 

Pour Madeleine Winter-Schulze, ses cavaliers sont sa famille. Avec sa soeur Marion Jauss, très impliquée dans les succès de Christian Ahlmann, elles ont reconstitué un noyau familial dur. Veuve et n’ayant pas eu d’enfants, elle s’investit d’autant plus aujourd’hui dans son rôle de propriétaire, arpentant les terrains de concours aussi souvent qu’elle le peut. Leurs objectifs sont communs : voir leurs chevaux mener leurs cavaliers sur les plus hautes marches des podiums internationaux. Pour Geneviève, l’année 2018 a très bien commencé, Sultane des Ibis (Quidam de Revel x Élan de la Cour) ayant permis à Félicie Bertrand de décrocher l’or individuel et l’argent par équipes aux Jeux méditerranéens de Tarragone, dont les épreuves équestres se sont disputées à Barcelone. Depuis la blessure d’Aquila*HDC (KWPN, Ovidius x Lauriston), survenue fin juin lors du CSIO 5* de Rotterdam, Patrice Delaveau a dû renoncer aux Jeux équestres mondiaux de Tryon. En vue de cette échéance, Emmanuèle compte donc sur Kevin Staut, en quête d’une sélection avec For Joy van’t Zorgvliet*HDC (BWP, For Pleasure x Heartbreaker), tandis que Madeleine a toutes les chances de voir ses protégés médaillés en concours complet et dressage. Toutes les trois reconnaissent qu’il serait bénéfique pour toutes les disciplines de pouvoir compter sur davantage de propriétaires, en France comme en Allemagne. Quoi qu’il en soit, gageons que la passion et les rêves olympiques ne s’éteindront jamais en elles.

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