“J’essaie de faire ce que je peux, à mon niveau, pour vivre de la manière la plus juste possible”, Steve Guerdat

Depuis mi-mars, la grande majorité des athlètes de haut niveau ont dû trouver un nouveau rythme de vie du fait de l'absence des compétitions, à la suite de la crise sanitaire liée au Covid-19. Numéro un du classement mondial de saut d'obstacles, Steve Guerdat a su profiter de cette période pour souffler et travailler au grand air aux côtés de ses chevaux et de son équipe, dans ses installations à Elgg, en Suisse. Pour GRANDPRIX, le Jurassien a accepté de répondre à quelques questions.



Comment avez-vous vécu cette période particulière avec la crise du Covid-19?

Tout s’est très bien passé chez nous, en Suisse. Nous avons profité de cette pause pour travailler et évoluer tranquillement avec nos chevaux, sans avoir le stress de la compétition. Nos chevaux sont très en forme et ont profité de cette accalmie. Nous avons pu passer nos journées aux écuries avec eux. Franchement, d'un point de vue personnel et malgré la gravité de la situation sanitaire, ce fut une très belle période. 

Malgré la tragédie de la crise, pas mal de choses ont émergé, dans la société comme dans le sport, notamment notre responsabilité vis-à-vis de l’environnement, le besoin de vivre moins vite, la reconnaissance envers le personnel soignant et tous ces gens qui exercent des métiers essentiels à la société, etc. Est-ce que cette crise vous a fait réfléchir sur certains sujets?

Je ne veux pas me lancer de fleurs, et ce n'est pas mon genre, mais nous essayons de réfléchir sur ces sujets-là depuis longtemps, déjà bien avant la crise, d’autant que ces problématiques ne sont pas nouvelles et ne datent pas de cette crise. Cela fait longtemps que nous connaissons la perversité et les travers de notre société actuelle. En même temps, personne n’a jamais proposé (ou mis en oeuvre, ndlr) un autre système... Pour autant, j’ai envie de dire que c’est à chacun, individuellement, de faire ce qu’il pense juste. Pendant le confinement, beaucoup de personnes ont pris la parole pour critiquer pas mal de choses. Je pense qu’avant de critiquer à tout-va, chacun devrait faire ce qu’il peut, à son niveau, pour être cohérent avec ce qu’il pense, car certains d’entre eux n’ont jamais apporté de solution et profitent même allègrement du système. Moi, j’ai des idées, pas forcément de solutions, mais j’essaie en tout cas de faire ce que je peux, à mon niveau, pour vivre de la manière la plus juste possible et avec le moins possible d’excès. Enfin, nous vivons dans un monde de privilégiés, et nous devons nous regarder dans la glace et ne pas repartir dans les mêmes excès qu’avant, sans pour autant tout changer du jour au lendemain.

Vous avez récemment accueilli Alain Jufer, cavalier suisse de quarante-deux ans, dans vos écuries. En quoi consiste ce projet?

Alain est un très bon ami d’enfance. Nous avons grandi ensemble car il connaît bien mon père. Nous avons toujours été très proches. Il y a quelques mois, il m’a dit qu’il cherchait à donner une nouvelle direction à sa carrière sportive et qu’il aimerait essayer de franchir un nouveau cap. Il a de la chance de pouvoir compter sur des propriétaires géniaux depuis un peu plus d’un an. Je suis content de pouvoir profiter et travailler avec un cavalier de son expérience et le compter dans ma structure. Cela rejoint aussi mon envie de développer la partie coaching et entraînement de jeunes cavaliers qui aimeraient se perfectionner au sein de mon système.

La Suisse semble être un modèle en termes de formation car cette nation parvient régulièrement à faire émerger beaucoup des cavaliers jeunes ou “inexpérimentés“ jusqu’au plus haut niveau, comme Bryan Balsiger, par exemple. Certains responsables fédéraux l’expliquent en partie par l’implication et l’accompagnement des meilleurs cavaliers de l’équipe, comme vous qui travaillez avec Anthony Bourquard et Alain Jufer notamment, envers les plus jeunes. Qu’en pensez-vous ?

Je pense que la plus grande qualité de notre pays est de compter beaucoup d'instructeurs de grande qualité, ce qui est malheureusement de moins en moins le cas. À la base du système équestre, nous avons des instructeurs issus de la vieille école et des racines de l’équitation. On aime appeler ça “vieux jeu“, mais il s’agit surtout d’inculquer des bases solides et une certaine rigueur aux cavaliers, ce qui est très important pour la suite d’une carrière à haut niveau. De plus en plus, les entraîneurs et professeurs font simplement plaisir aux élèves, aux parents et aux sponsors en leur disant constamment que tout est magnifique et réussi. Pour ne pas perdre des clients, certains deviennent trop gentils, ne disent pas un mot plus haut que l’autre et caressent sans arrêt dans le sens du poil. Quand un cavalier boucle un tour à huit points, on va lui dire que c’est la faute de son cheval, et parfois même en profiter pour effectuer une opération commerciale en vendant puis rachetant un cheval... Dans une carrière sportive, un athlète de haut niveau est amené à traverser des hauts et des bas, et pour les surmonter, un cavalier doit avoir appris à s’endurcir et avoir un bon mental. Sinon, on peut avoir envie d’abandonner plus vite. Par exemple, Thomas Fuchs et Thomas Balsiger (le père de Bryan, ndlr) font partie des instructeurs que je considère comme étant de la vieille école, ce qui est un compliment pour moi, et qui effectuent du bon travail.