Est-il raisonnable et équitable de maintenir les Mondiaux début septembre à Pise?
Difficile équation que d’organiser des championnats du monde alors que la planète doit encore faire face à la pandémie de Covid-19. Tandis que les grandes compétitions internationales sont annulées ou reportées les unes après les autres, à l’image des Jeux olympiques de Tokyo, les Mondiaux d’endurance Longines pourraient se tenir comme prévu du 3 au 6 septembre à Pise, en Italie. La confiance affichée en début de semaine par les organisateurs est toutefois loin d’être unanime…
Les championnats du monde d’endurance sont prévus pour se disputer sous la forme d’une épreuve de 160km qui doit réunir les meilleurs cavaliers du monde, dont les Espagnols, les Émiratis et les Français, vice-champions par équipes en 2016. Ils sont prévus du 3 au 6 septembre 2020, soit dans moins de trois mois, à Pise. Alors que les organisateurs italiens ont confirmé au début de la semaine leur volonté de maintenir cette grande compétition, nombre de protagonistes de la discipline s’interrogent sur sa faisabilité et son équité.
D’abord, des politiques de confinement sont toujours en vigueur dans de nombreux pays, notamment sur le continent américain, nombre de frontières demeurent fermées et l’Asie peine à sortir de la crise sanitaire. Dans ce contexte de crise sanitaire, il ne reste que trois semaines pour qualifier les couples candidats aux Mondiaux et onze pour affuter les chevaux… Quels pays auront la capacité d’aligner une équipe nationale à Pise? “Dans les trois quarts des pays d’Amérique centrale et du Sud, les gens n’ont pas le droit de sortir de chez eux”, fait remarquer Stéphane Chazel, cavalier, entraîneur, courtier et membre du comité technique d’endurance de la Fédération équestre internationale, que celle-ci a mis en sommeil fin 2018 après la catastrophique course des Jeux équestres mondiaux de Tryon, interrompue avant son terme. “À ce titre, le maintien des Mondiaux peut paraître inéquitable, voire scandaleux. La logique aurait voulu qu’on les décale de quelques mois. Cependant, la disponibilité de l’hippodrome de San Rossore contraint les organisateurs au maintien de la date prévue, les courses de galop devant reprendre leurs droits sur cette piste à partir d’octobre.” Quant à repousser l’échéance au printemps 2021? “Cela rapprocherait trop les Mondiaux des championnats d’Europe d’Ermelo, programmés en août 2021”, fait valoir Stéphane Chazel.
Malgré l’annonce du maintien de ces championnats, les marchés de la vente et de location de chevaux de très haut niveau peineraient à redémarrer. “Généralement, la Malaisie est motivée, par exemple, mais là je pense qu’elle ne pourra pas aligner d’équipe, faute d’avoir pu se préparer à temps”, commente la cavalière franco-suisse Barbara Lissarrague, sacrée championne du monde en 2005 à Dubaï. “De fait, je ne sais même pas si nous, Suisses, auront la capacité d’avoir une équipe! Nous aimerions que tout le monde soit logé à la même enseigne”, regrette la médaillée de bronze par équipes des JEM de Normandie en 2014, alors sous les couleurs de la France.
En revanche, l’annulation de ces championnats aurait pu décevoir les propriétaires ayant fait l’effort de de ne pas vendre leur cheval de tête en vue de cet objectif. C’est notamment le cas du Franco-monégasque Jean-Claude Guillaume, naisseur et propriétaire de Kaïs de Jalima, vainqueur de la CEI 2* de Compiègne puis de la CEI 3* de Monpazier l’an dernier avec Mélody Théolissat. “Jusqu’à présent, son propriétaire a souhaité conserver ce hongre de neuf ans dans ce but, mais si les Émiratis cherchent des chevaux pour concourir, une vente n’est pas forcement exclue… À Pise, il n’y aura pas la moitié des pays attendus. Je pense notamment aux Chinois pour qui nous préparons une jument. Il y a peu de chances qu’ils puissent participer à ces Mondiaux, dans la mesure où ils disputent souvent leur épreuve de qualification par couple au printemps”, déplore la cavalière.
La FEI pourrait communiquer dès demain
En outre, aucune épreuve CEI 3* ne s’est courue aux Émirats arabes unis depuis février 2019 et la dernière CEI 2* s’est tenue en décembre à Bouthieb. À Dubaï et Abou Dabi, les organisateurs habituels ont préféré proposé des épreuves nationales, quelles que soient les distances. Par conséquent, peu de cavaliers du Golfe présentent à ce jour les conditions requises pour intégrer une l’équipe nationale, même si de nombreux chevaux des Émirats sont déjà stationnés sur le continent européen, en Angleterre plus particulièrement, pour poursuivre le travail au frais.
Dans ce contexte inédit, les Tricolores pourraient tout à fait tirer leur épingle du jeu. “La France est la mieux placée”, assure Stéphane Chazel. “En effet, il y a dix à douze couples déjà qualifiés, dont deux ou trois de très grande qualité. Le confinement n’a pas stoppé net l’entraînement des chevaux, les écuries disposant de marcheurs et tapis roulants et ayant pour la plupart continué à travailler en extérieur.” Les candidats ont pu montrer leurs qualités sur 160km en 2019, notamment à Castelsagrat et Monpazier. “Nous pourrions égoïstement envisager une médaille d’or par équipes. En tout cas, nous pourrions tout à fait nous battre pour cela”, confirme Mélody Théolissat. “Les chevaux ont travaillé, même si c’était surtout du pas dans une zone à fort dénivelé en ce qui nous concerne. Si nous montons progressivement en puissance ces prochaines semaines, nous pourrions tout à fait être prêts.” Aussi, préparer presque tardivement une telle échéance serait presque plus approprié pour des chevaux d’expérience. “Cette saison, les chevaux n’ont pas à forcer comme à Castelsagrat ou Compiègne l’an dernier. Cela ne peut être que bénéfique pour ceux qui ont dix à douze ans notamment.”
Les Mondiaux d’Endurance se déroule tous les deux ans, les années paires, dont une fois sur deux dans le cadre des Jeux équestres mondiaux. La France est vice-championne du monde par équipes en titre. En 2016 à Šamorín, en Slovaquie, ils avaient été devancés par les Espagnols, tenants du titre par équipes et en individuel. En 2018, l’épreuve d’endurance des JEM de Tryon, aux États-Unis, avait été annulée avant son terme, officiellement en raison des conditions climatiques. Si les Mondiaux de 2020 sont définitivement confirmés début septembre, un stage de préparation devrait réunir au maximum dix cavaliers français et quatorze chevaux début août, après l’annonce de la longue liste début juillet par le sélectionneur national Jean-Michel Grimal. Cependant, on n’est peut-être pas arrivé au bout des rebondissements. La FEI pourrait même communiquer à ce sujet dès demain.