“Techniquement, nous sommes peut-être un poil en-dessous des autres nations“, Clément Gras

Alors qu’il aurait dû achever sa dernière saison chez les Jeunes Cavaliers cette année, et probablement prendre part aux championnats d’Europe de Vilamoura, reportés à l’année prochaine à cause de la pandémie de Covid-19, Clément Gras s’apprête à faire son entrée dans la cour des grands. Issu d’une grande famille du secteur de la joaillerie, le sympathique Aixois, qui se destine davantage à suivre les pas de ses parents et à pratiquer le saut d’obstacles comme hobby, fait le bilan sur ses années Jeunes.



Comment avez-vous vécu ces derniers mois, qui ont été marqués par la crise du Covid-19?

Je vais très bien. Honnêtement, j’ai plutôt bien vécu cette période. Je poursuis mes études (de commerce, à l’ESG, ndlr) en parallèle de l’équitation, donc à part l’absence des compétitions, mon emploi du temps n’a pas été très bouleversé. Cette pause a été dommageable pour les chevaux car tous étaient très en forme. En plus, depuis le mois de novembre, je n’ai couru qu’un seul concours à Nice début février car j’ai enchaîné une pause hivernale et une fracture du poignet. 

Comment avez-vous travaillé avec vos chevaux?

Je me suis concentré sur un travail de fond et j’ai pu davantage m’occuper de mes jeunes chevaux. Nous avons surtout entretenu les muscles et le moral. Avez-vous fait appel à des personnes extérieures, comme des chefs de piste ou des entraîneurs, afin de redynamiser vos méthodes de travail et ne pas tomber dans une routine ? Non, mais la Fédération française d’équitation nous a accompagnés. On nous a communiqué tous les numéros dont nous aurions besoin, comme celui d’Henk Nooren (formateur, ndlr) et d’Édouard Couperie (sélectionneur adjoint de l’équipe Seniors, ndlr), et étions en contact régulier avec Olivier Bost (sélectionneur des équipes Jeunes, ndlr). 

Cette crise sanitaire a eu notamment l’effet de lancer une réflexion collective autour de notre système de société, dont certains dysfonctionnements ont été mis en lumière. Quel regard portez-vous sur votre futur?

Certaines habitudes vont changer. Des gestes simples comme se faire la bise et se serrer la main mettront du temps à revenir. En revanche, même si les quinze premiers jours ont été difficiles à vivre, nous sommes peut-être revenus à des choses plus essentielles. Nous étions presque coupés du monde, prenions le temps de faire les choses qu’on aime et cassions notre routine. Franchement, il y a eu des côtés agréables. 

Et le futur de votre sport? Y réfléchissez-vous?

Cette crise va engendrer de sérieuses conséquences économiques. Ceci étant dit, je tiens à préciser que je ne me destine pas à devenir cavalier professionnel. Toute ma famille travaille dans l’horlogerie donc je m’imagine plutôt suivre cette voie et pratiquer l’équitation comme un hobby. Travailler dans le milieu du cheval est très difficile car il y a toujours des aléas et de l’insécurité. Être professionnel demande un bon système, de bons chevaux, de bonnes installations, une vraie force mentale et un investissement à 120 %. À la fin, tout cela coûte tellement cher que très peu de monde arrive à bien gagner sa vie. Franchement, je suis admiratif de ceux qui y parviennent. En plus, c’est un métier ingrat car on peut perdre ses chevaux du jour au lendemain ou ils peuvent se blesser, et anéantir des années de travail.



© Sportfot

Cette année aurait dû être votre dernière saison dans la catégorie Jeunes Cavaliers, et on imagine que vous auriez probablement été dans l’équipe de France aux championnats d’Europe de Vilamoura, initialement prévus cet été et finalement reportés à l’année prochaine. Êtes-vous déçu de ne pas pouvoir honorer cette dernière année chez les Jeunes?

Je suis déçu car cela me tenait à cœur, mais ce sont des choses qui arrivent. Ce doit être le destin. J’ai de la chance car l’équitation est un sport où l’on devient meilleur en vieillissant!

Que retenez-vous de vos années chez les Jeunes, au cours desquelles vous avez disputé deux championnats d’Europe, les Juniors à Samorin en 2017 et les Jeunes Cavaliers à Zuidwolde en 2019?

Grâce à ces circuits, j’ai pris de l’expérience et j’ai pu me mesurer à tous les meilleurs jeunes cavaliers. En plus, j’ai eu la chance de visiter plein de nouveaux pays ! Je trouve que ces circuits tirent tout le monde vers le haut car ils permettent aux jeunes de s’ouvrir et de ne pas rester de leur côté, ce qui serait extrêmement mauvais. On évolue grâce et avec les autres. 

Ces dernières années, les équipes de France des catégories Jeunes ont connu un peu moins de succès dans les grands rendez-vous. Comment l’expliquez-vous?

Je ne sais pas, mais il serait trop simple de résumer cela à un manque de chance. Je pense que c’est un tout : la qualité de nos chevaux, le manque de propriétaires, l’entourage personnel, le travail… Techniquement, nous sommes peut-être un poil en dessous des autres nations européennes. En cela, l’arrivée des stages avec Henk Nooren tombe à point nommé. C’est un apport technique de grande qualité, tout comme Édouard Couperie. Ils nous permettent d’être plus sereins et plus sûrs de soi. En continuant sur cette voie, il n’y a pas de raison que les jeunes ne ramènent pas à nouveau des médailles!

Comment appréhendez-vous l’entrée dans la cour des grands?

Les premières années risquent d’être compliquées. Il faut commencer par se constituer un bon piquet de chevaux. C’est un peu bizarre de se lancer enfin dans le grand bain. Il y a quelques années, je rêvais des grands concours. Maintenant que j’y suis, j’ai la pression ! En tout cas, pas question de se stresser ou de se fixer des objectifs irréalisables.



Depuis plusieurs années, les jeunes cavaliers français, une fois sortis des circuits Jeunes, semblent avoir du mal à percer au plus haut niveau, contrairement à d’autres pays qui ont fait émerger de nouveaux jeunes talents comme Bryan Balsiger, Lisa Nooren et Maurice Tebbel. À quoi cela est-il dû à votre avis?

J’ai l’impression que beaucoup de jeunes cavaliers étrangers sont des fils de cavaliers ou appartiennent à de grandes familles du monde du cheval (ce qui est le cas pour les trois cavaliers cités dans la question, ndlr). Dans les équipes belges, vous trouverez toujours des enfants de la famille Philippaerts ou Conter. J’ai encore le souvenir d’une liste de départ britannique aux Européens Juniors en 2017 et il y avait deux Charles et un Whitaker sur cinq cavaliers ! 

Avez-vous des exemples à suivre?

J’admire beaucoup de cavaliers, comme Julien Épaillard, qui est très performant, et Kevin Staut, qui est un exemple de régularité. Début 2019, il a quasiment tout perdu en s’installant à son compte, mais a néanmoins réussi à rester régulier au plus haut niveau. 

Comptez-vous vous faire aider pour progresser encore davantage?

Pour l’instant, je vais continuer à travailler avec Éric Muhr, qui m’entraîne depuis plusieurs années. Ses écuries sont à quinze minutes de la maison, donc il vient avant chaque concours pour régler les derniers détails. Pour le travail quotidien de base, mon père m’épaule beaucoup. 

Sur quels chevaux allez-vous pouvoir compter dans les mois à venir?

J’ai Volga d’Altenbach (SF, Diamant de Semilly x Quidam de Revel), ma jument de tête de onze ans, qui est en pleine forme. Je monte également une bonne jument de huit ans, Madame van Essene (BWP, Aimar van het Polderhof x Invit Broline). Ensuite, j’ai de très bons jeunes chevaux, dont le prometteur Einstein de Hus (SF, Baloubet du Rouet x Diamant de Semilly). Nous produisons exclusivement des jeunes chevaux (citons Pégase du Mûrier, acheté à six mois par la famille Gras avant de briller au plus haut niveau avec Sébastien Duplant puis RogerYves Bost, ndlr). Pour preuve, je crois que nous n’avons jamais acheté de cheval âgé de plus de trois ans ; la majorité de nos recrues sont achetées à six mois ou sont nées à la maison. Ensuite, nous les formons et faisons un tri. L’exception est peut-être Cookie des Forêts (SF, Mozart des Hayettes x Quaprice Boimargot Quincy), que nous avons acheté à six ans avant de le céder à Julien Massard. Je pense qu’il a les capacités de sauter de très belles épreuves et nous croyons beaucoup en lui. Mon père est un passionné de génétique. En tout, nous avons produit ou formé une dizaine de chevaux qui ont accédé à un bon niveau international!

Donc acquérir un bon et prometteur cheval pour vous aider à gravir les échelons n’est pas envisagé?

Non, et ce n’est pas envisageable car cela ne correspond pas à nos valeurs. Former des jeunes chevaux jusqu’à un bon niveau prend du temps et de l’énergie, mais la satisfaction de les voir briller à l’international n’a pas de prix. 

Qu’est-ce que l’on pourrait vous souhaiter pour le futur? 

Mon premier objectif est de valider mon année scolaire. Ensuite, il faudrait que les concours redémarrent rapidement car nous avons des chevaux prêts à la maison