Piggy March, entre plaisir et ambition (partie 1)

Nation reine du concours complet, la Grande-Bretagne dispose d’un large vivier de cavaliers compétitifs dans les plus grands rendez-vous. Parmi eux, Piggy March, plus connue sous le nom de Piggy French avant son mariage en 2019, était pressentie pour représenter son pays aux Jeux olympiques de Tokyo cet été, et semble déjà extrêmement motivée pour le rester jusqu’à l’année prochaine. Présente au plus haut niveau depuis le début des années 2000, cette amazone, aussi humble que talentueuse, a connu une longue traversée du désert avant de revenir plus forte que jamais il y a trois ans. Portrait.



© Kit Houghton/BHT

Georgina French naît le 12 août 1980 à North Elmham, dans le Norfolk, à l’extrême est de l’Angleterre. Si elle est davantage connue sous le surnom de Piggy, c’est parce que ses deux sœurs, jumelles et de trois ans plus âgées, lui ont décelé dès sa naissance une forte ressemblance avec Porcinet (Piglet), compagnon de Winnie l’Ourson, lors de leur première visite à la maternité. Immédiatement, Piggy baigne dans le monde du cheval. En effet, sa mère, Kate, évolue en concours complet jusqu’à un niveau avancé. Quant à ses deux aînées, elles montent déjà à poney lorsqu’elle vient au monde. Plus tard, Nini, l’une d’entre elles, atteindra même le niveau international, disputant même plusieurs CCI 4*-S l’an passé. 

C’est donc tout naturellement que Piggy fait ses gammes en selle dès son plus jeune âge sous la houlette de sa mère. Elle est également inscrite dans un poney-club et participe à de nombreuses chasses à courre, sport très prisé outre-Manche. Mais son cœur a déjà choisi. “Aussi loin que je m’en souvienne, j’étais obsédée par le concours complet. C’est la discipline que j’ai toujours voulu pratiquer“, affirme l’amazone. Si son idole est alors la multimédaillée Mary King, pilier de l’équipe britannique depuis 1995, nombreuses sont les stars de complet qui la fascinent. Adolescente, elle aime à en prendre des clichés sur les terrains de concours, et à en découper des images dans tous les magazines qui lui tombent entre les mains. Comme de nombreuses petites filles passionnées, elle tapisse murs, porte, et même plafond de sa chambre. À tel point que la pièce est utilisée en 1993 pour tourner une scène du téléfilm “Riders“, inspiré du bestseller international éponyme de Jilly Cooper et adapté par la réalisatrice londonienne Gabrielle Beaumont.

Alors que sa passion pour les chevaux ne cesse de croître, l’école, en revanche, n’est pas son fort. Très peu scolaire, la jeune fille a du mal à tenir en place et à se plonger dans les manuels du Wymondham College. “J’avais des résultats désastreux dans toutes les matières, et si une chose était claire, c’est que je ne voulais pas être dans une salle de classe. J’aimais passionnément le complet, sans imaginer une seconde être assez douée pour pouvoir en vivre. En revanche, il était déjà évident que je voulais travailler avec les chevaux“, se souvient-elle. Face à ses résultats au GCSE (le Certificat général de fin d’études secondaires, équivalent au brevet des collèges, ndlr), et après un semestre au Cambridge Arts and Sciences College, où elle suit des cours de photographie et d’art, ses parents renoncent à la voir faire des études et la laissent poursuivre son rêve.

DES DÉBUTS SUR LES ROUTES DU NORFOLK 

À seize ans, permis de conduire en poche, Piggy sillonne le Norfolk comme cavalière indépendante, montant tout ce qu’on lui propose. Parfois, elle récure des boxes contre des heures à cheval gratuites. À l’époque, son objectif est double : gagner en expérience sur des chevaux et poneys différents, et se construire un carnet d’adresses de propriétaires susceptibles de lui confier plus tard des montures. L’adolescente est bien consciente que, faute de moyens financiers suffisants, ses parents ne pourront pas lui acheter des chevaux pour satisfaire rapidement son ambition. Elle sait devoir les chercher ailleurs. “J’ai aussi été groom pendant six mois pour Justine Ward (née Ryder, ancienne cavalière internationale dans les années 1990, ndlr), mais je n’étais vraiment pas douée pour cela, et personne ne m’aurait embauchée par la suite », reconnaîtelle humblement. « De toute façon, ce que j’aimais, c’était entraîner des chevaux, les rendre heureux et les inciter à donner le meilleur d’eux-mêmes. C’est ce qui me faisait vibrer à l’époque, et c’est encore le cas aujourd’hui.“ Les allers-retours s’enchaînent pendant deux ans, et le succès ne se fait pas attendre. La maison familiale, entourée de quelques terres, s’agrandit d’écuries, qui permettent à Piggy et sa sœur Nini d’accueillir des chevaux et poneys de plus en plus qualiteux, confiés par des propriétaires.



UN TREMPLIN NOMMÉ FLINTLOCK II

© Scoopdyga

Alors qu’elle en était passionnée depuis son plus jeune âge, ce n’est qu’à cette époque que Piggy débute et goûte sérieusement aux joies du complet grâce à Lloyd’s Gamble, un cheval que lui a offert son père Wally. Avec lui viennent les premières victoires et le trophée par équipes des Pony Club Championships en 1998. Mais c’est Flintlock II (ISH, Chair Lift, Ps x Leabeg), que lui confie son amie Rebbeca Finch en 1999 à son entrée à l’université, et qu’elle ne souhaitera pas récupérer, qui lance véritablement Piggy dans le grand bain. “Flintlock n’était qu’un cheval de chasse, pas de complet. Pourtant, en partant de zéro, il a gravi tous les échelons avec succès. Cela a été un conte de fée !“, s’enthousiasme-t-elle. En 2001, la paire remporte l’or par équipes aux championnats d’Europe Jeunes Cavaliers à Waregem, assorti d’une quatrième place individuelle. “Je n’avais participé à aucune compétition chez les Poneys ou les Juniors. Nous habitions dans une région assez excentrée et les concours étaient souvent à plusieurs heures de route, donc ma mère n’y était pas favorable. Et de toute façon, je n’avais pas de monture assez douée pour cela… En fait, Waregem a été mon premier concours à l’étranger, dans ma dernière année Jeunes Cavaliers !“ Coup d’essai et coup de maître donc, pour un duo qui goûtera ensuite deux fois au mythique CCI 5*-L de Burghley, à domicile, en 2002 et 2003, et une fois à celui de Badminton en 2002. Toujours sans incident sur le cross, il y obtient à chaque fois des résultats entre la trente et unième et la trente-sixième place. À seize ans, le hongre est confié à Emma Moses, ancienne groom et amie de Piggy, pour achever sa carrière à un niveau inférieur.

UNE MONTÉE EN PUISSANCE PROGRESSIVE CHEZ LES SENIORS 

En 2005, Piggy quitte la maison familiale pour s’installer avec Oliver Townend, cavalier de haut niveau, actuel numéro un mondial, et son compagnon de l’époque, à Market Harbourough, dans le Leicestershire, à deux heures et demie à l’ouest de sa commune natale. En 2008, les installations devenant trop petites pour le couple, Piggy décide de poser ses valises à vingt minutes de là, pour faire machine arrière un an plus tard après sa séparation avec le Britannique, acquéreur d’une propriété au sud de Liverpool. Elle restera à Market Harbourough jusqu’à la fin de l’année 2012. Au cours de cette période, la cavalière évolue régulièrement entre CIC 3*-S et CCI 5*-L, y obtenant, selon ses mots, peu de résultats significatifs. En 2004, elle décroche toutefois le CCI 4*-L-U25 de Bramham, considéré comme le championnat du monde des cavaliers de moins de vingt-cinq ans, avec Which Way II, se classant également troisième avec Done to Order (ISH, Golden Cliff, Ps). En 2007, elle remporte le championnat du monde des chevaux de sept ans au Lion d’Angers, en selle sur Cast Away II (ISH, Clover Brigade x Cruising). Le hongre est vendu l’année suivante et passe sous la selle de Chloe Newton, jeune cavalière britannique qui évoluait jusqu’en CCI 4*. 2009 marque un tournant. En début d’année, son père et des amis acquièrent Some Day Soon (Kiltealy Spring x Diamond Lad), un cheval Irlandais (encore un !) de quatorze ans. Monté jusque-là par Nick Turner, il est habitué aux 4* et 5*, où il obtient des résultats mitigés. “C’était le cheval le plus âgé que j’ai récupéré “clé en main“. L’objectif était qu’il me fasse bénéficier de son expérience du haut niveau“, explique la cavalière. Très vite, le couple montre de belles choses, obtenant notamment une troisième et une sixième places aux CCI 4*-L et CIC 4*- S de Bramham et Hartpury. Si bien que lorsque Mary King doit déclarer forfait pour les championnats d’Europe de Fontainebleau à la suite d’une blessure de son cheval de tête Imperial Cavalier (ISH, Cavalier Royale x Imperius), son chef d’équipe décide de la sélectionner avec Some Day Soon.

Yogi Breisner, alors à ce poste, éclaircit ce choix. “Sur la base de ses derniers résultats, Piggy était sur la liste des réservistes. La politique fédérale d’alors était d’intégrer un jeune cavalier dans l’équipe de chaque championnat précédant les Jeux olympiques afin de lui donner de l’expérience. Nous étions convaincus du talent de Piggy et attendions juste qu’elle dispose du cheval adéquat. Plusieurs réservistes ayant privilégié Burghley, la porte lui a été ouverte pour sa première expérience en équipe Seniors. Et elle nous a donné raison en remportant l’argent individuel !“ En effet, la Britannique saisit sa chance et devient vice-championne d’Europe en individuel derrière Kristina Kook avec Miners Frolic (Ps, Miners Lamp x Oats), et s’offre le luxe de devancer les incroyables Michael Jung avec La Biosthétique Sam FBW (Bad, Stan The Man, Ps x Heraldik, Ps) et William Fox-Pitt avec Idalgo du Donjon (SF, Qredo de Paulstra x Saint Come). Si cette médaille a été une immense surprise pour tout le monde, l’intéressée comprise, elle a donné un sacré coup d’accélérateur à la carrière de l’amazone. “Par la suite, on m’a confié des chevaux plus nombreux et plus qualiteux. Quand j’étais avec Oliver, je ne montais que six à huit chevaux de concours. Quand nous nous sommes séparés, j’ai dû payer seule le loyer et trouver davantage de montures pour être en mesure de régler les factures et les salaires. J’ai dû faire de mon système une vraie entreprise, et j’ai notamment commencé à entraîner des chevaux pour les vendre. Mon titre m’a beaucoup aidée pour tout cela.“



LA DÉSILLUSION DES JEUX DE LONDRES

Alors que les Jeux olympiques de Londres se profilent à l’horizon, la cavalière songe de plus en plus à y participer, d’autant qu’ils auront lieu dans son pays. Et avec deux chevaux s’étant démarqués au plus haut niveau depuis leur arrivée dans ses boxes en 2010, elle peut légitimement en rêver. “Jakata (SHBGB, Abdullah, Ps x Foxtrott) n’était pas très cher, ce qui est un critère d’achat de mes chevaux. À cette époque, il n’était pas en très bonne forme, mais il était très joli et avait déjà goûté au haut niveau à plusieurs reprises (avec la Britannique Julia Dungworth puis l’Italien Alberto Giugni, ndlr), sans grand succès. Nous ne savions pas ce que cela donnerait, mais mon père et son ami Michael Underwood, homme d’affaires réputé, ont accepté de tenter le coup“, détaille Piggy. Pari gagnant ! Le succès sera bien au-delà de leurs espérances puisque dès septembre, le couple obtient la seizième place individuelle des Jeux équestres mondiaux de Lexington. En 2011, elle monte sur la deuxième marche du podium à Badminton puis fait partie de l’équipe médaillée de bronze aux championnats d’Europe de Luhmühlen, aux côtés de William Fox-Pitt, Nicola Wilson et Mary King. 

L’acquisition de DHI Topper W (KWPN, Optimal x I love you) se fait dans de toutes autres conditions. “Avec lui, nous avions clairement les JO de Londres en tête. Nous l’avons acheté à Heidi et Ian Woodhead (entraîneurs et formateurs de jeunes chevaux, ndlr), qui croyaient beaucoup en lui. Mais son prix était élevé, et ses propriétaires, que nous connaissions bien, nous ont fait une immense faveur en nous proposant de l’essayer pendant une saison et de le payer en deux fois s’il me convenait. Cela a été une opportunité incroyable pour mon père, Michael Underwood et moi-même.“ Malgré une saison 2010 en-deçà des espérances, la transaction est conclue. Et les performances s’enchaînent. Le hongre de dix ans remporte en quelques mois le CIC 4*-S de Burnham Market, le Test Event des JO de Londres et le CICO 4*-S de Blenheim. 

Avec deux montures qualifiées pour les Jeux, Piggy dispose d’une sécurité plus qu’enviable sur le papier. Pourtant, celle qui est alors considérée comme la meilleure chance de médaille individuelle pour la Grande-Bretagne toutes disciplines équestres confondues va subir un revers majeur. En mai, Jakata lui offre la victoire dans la Coupe des nations du CICO 3* de Houghton Hall, mais se blesse en trébuchant à la toute fin du parcours de cross… Ses chances pour Londres sont anéanties. Piggy le mettra à la retraite en 2014, après un retour en compétition peu concluant. “C’était un cheval très sensible, que j’aimais profondément. Je suis persuadée qu’il avait tout pour obtenir une victoire individuelle majeure, et l’interruption précoce de sa carrière reste pour moi un grand regret“, affirme-t-elle aujourd’hui avec émotion. La Britannique est alors sélectionnée dans l’équipe olympique avec DHI Topper W, mais doit déclarer forfait deux semaines avant la cérémonie d’ouverture, là encore en raison d’une blessure mineure, survenue lors d’un dernier galop. Nicola Wilson et Opposition Buzz (Trak, Fleetwater Opposition x Java Tiger) prennent leur place. 

Pour la cavalière, la situation est insoutenable. “J’étais désespérée de manquer les JO de Londres où j’avais de grandes chances d’obtenir un bon résultat par équipes, mais aussi en individuel. D’autant qu’il n’y aura probablement pas d’autres Jeux olympiques en Grande-Bretagne au cours de ma carrière. Et puis, y participer aurait été formidable pour mon père, qui n’avait aucun intérêt pour les chevaux, mais qui m’avait beaucoup soutenue. Après tout ce qu’il s’était passé, je voulais des réponses à mes questions : pourquoi mes chevaux avaient-ils connu de tels déboires alors que jamais cela ne m’était arrivé à ce niveau ? Avais-je fait quelque chose de mal, alors que leur bien-être m’était si important ? J’étais en colère“, admet-elle. En plus d’une désillusion sportive terrible, elle voit plusieurs sponsors la quitter et des propriétaires retirer leurs chevaux de ses boxes, par crainte de subir le même scénario. “C’est un rude travail que de construire et de faire tourner une entreprise à haut niveau, de trouver des propriétaires, des sponsors… Soudain, j’ai dû tout recommencer. Psychologiquement, cela a été très dur à vivre.“

La deuxième partie de ce portrait, paru dans le magazine GRANDPRIX au mois de juin, sera publiée demain.

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