“Le dérèglement de notre monde s’accélère, nous devons apprendre à réagir mieux et plus vite”, Odile van Doorn

Odile van Doorn fait partie des grandes figures du dressage en France. Cavalière professionnelle auparavant membre de l’équipe de France et coach renommée, vice-présidente de la Fédération en charge du dressage, cette dernière est aussi connue pour avoir dispensé ses passionnants commentaires lors d’épreuves internationales sur l’antenne d’Equidia Life. Lucide sur la situation exceptionnelle traversée par l’humanité lors de la crise sanitaire du Covid-19, l’amazone a répondu aux questions de GRANDPRIX.



Comment avez-vous vécu le confinement ? 

Comme pour beaucoup de cavaliers de dressage, j’habite sur le site de mes écuries et j’ai donc la chance d’avoir pu monter à cheval pendant toute la durée du confinement et ainsi continuer de faire ce que j’aime le plus. J’ai aussi dû monter les chevaux de mes clients, qui bien sûr ne pouvaient pas se déplacer et venir eux-mêmes. Quand on a la chance d’avoir un manège, une carrière et de l’espace, on ne se sent pas enfermé. Le fait d’avoir pu continuer à travailler m’a également permis de ne pas me sentir inutile pendant cette période. Cela a été assez fatiguant car j’ai dû monter beaucoup de chevaux, mais cela a été quoi qu’il en soit une période agréable pour moi. 

Pendant plusieurs semaines, le monde a été presque à l’arrêt. Que cela vous a-t-il inspiré ?

Comme beaucoup, j’ai été surprise par cette situation incroyable à vivre et sans précédent. Au moment des vœux pour la nouvelle année, jamais nous n’aurions pu imaginer que nous aurions besoin d’un laisser-passer pour sortir de chez soi acheter une baguette de pain. Je pense que nous n’avons pas su gérer cette crise correctement, et ce, à tous points de vue. Cela nous est tombé dessus et a entraîné des réactions gouvernementales spectaculaires. Je ne suis pas à même de juger, mais j’ai observé que même à notre niveau de professionnels de l’équitation et malgré nos compétences, nous n’avons pas réagi comme il le fallait. Par exemple, beaucoup de chevaux ont souffert de coliques lors du confinement, notamment car trop peu de gens étaient disponibles pour les sortir. Pourtant, on sait que remplacer une partie de la ration par du son a un effet laxatif et permet d’éviter que les chevaux ne se bourrent de paille. Par chance, ce n’est pas arrivé dans mes écuries, mais beaucoup de chevaux ont souffert de coliques un peu partout. Heureusement, les chevaux ont pu être pris en charge par des vétérinaires et être sauvés. La leçon de tout cela est que même à notre petit niveau, nous n’avons pas su anticiper la gestion des chevaux dont l’activité a été réduite. C’est dire si les prises de décisions ont dû être difficile dans les hautes sphères. 

Je crois que dans l’avenir nous allons traverser des choses incroyables telles que des sécheresses, des tempêtes, d’autres pandémies etc. Le dérèglement de notre monde s’accélère et je pense que nous devons apprendre à réagir mieux et plus vite, chacun dans notre domaine. Je ne fais pas partie du gouvernement donc je n’ai pas à décider ce que doivent faire les citoyens français, en revanche, dans mon secteur qu’est l’équitation, je pense qu’il faut arriver à ce que nous soyons beaucoup plus réactifs. Nous n’avons pas suffisamment utilisé nos compétences et je pense que l’humanité doit apprendre à le faire. Globalement, je crois que l’on s’accroche à nos habitudes alors que la situation ne s’y prête plus et nous ne sommes pas capables de nous adapter, ce qui est pourtant une des caractéristiques de l’Homme.  

Le déconfinement étant bien amorcé, avez-vous pu reprendre vos activités ? 

Oui, dans la mesure où j’ai des chevaux en pension et que je donne beaucoup de leçons et de stages. Les propriétaires ont pu revenir aux écuries et je continue à monter les chevaux que j’ai au travail. J’ai la chance que mes activités professionnelles puissent reprendre à peu près normalement, à l’exception de la compétition qui n’est pas encore complètement repartie. 



“Je sentais vraiment un réel engouement pour le dressage”

Les compétitions réservées aux Jeunes Chevaux de dressage ont pu reprendre, les premières se tenant au Lion d’Angers du 17 au 18 juin. Comment avez-vous accueilli cette nouvelle ?   

C’est une bonne chose que les Jeunes Chevaux aient accès à la compétition et que le travail réalisé soit validé par des juges et des personnes compétentes. Toutefois, je ne suis pas certaine que cela ait été la solution idéale. Il est déjà assez compliqué d’avoir accès à la compétition, j’aurais préféré que l’ensemble soit harmonisé. Certains juges vont retourner juger, mais uniquement les Jeunes Chevaux, certains professionnels vont pouvoir sortir les chevaux mais seulement les jeunes. Les chevaux de Grands Prix, de St-Georges, d’Amateur, les cavaliers de clubs, les cavaliers à poneys ne sont toujours pas sortis. Je regrette que l’on n’ait pas mis tout le monde au même niveau, que nous n’ayons pas pu reprendre tous ensemble convenablement. Les organisateurs de concours ne peuvent s’en sortir seulement avec les épreuves réservées aux Jeunes Chevaux, car cela représente très peu de partants.   

Vous êtes la référente dressage du comité fédéral FFE. En quoi consiste ce rôle ?  

Je suis officiellement vice-présidente de la Fédération en charge du dressage. Cela signifie que je contribue à débattre de la politique générale concernant le dressage en France, pour lui donner la meilleure orientation possible. Je sers aussi de lien entre la FFE et les acteurs du monde du dressage, qu’ils soient cavaliers, juges, entraîneurs… J’amène la parole fédérale et je relaie ce qui se passe sur le terrain. Je suis ainsi un moyen de communication en direct. Cela est valable pour tous les niveaux, du club à l’international, dans la mesure où les gens viennent à moi. Ils savent que j’existe, je reste à l’écoute et je transmets à la FFE quand c’est nécessaire.  

Quel regard portez-vous sur le dressage en France actuellement ?   

Je suis plutôt optimiste sur le plan du haut niveau. Nous sommes dans une bonne dynamique après avoir eu plusieurs déboires, de la malchance et des difficultés. Le haut-niveau concerne assez peu de chevaux et peu de gens en France, mais les rangs commencent à s’étoffer avec de plus en plus de propriétaires qui accompagnent nos cavaliers professionnels. Nous sommes sur la bonne voie, avec une excellente volonté d’ensemble. Au niveau des Amateurs, je ne sais pas très bien ce qu’il va se passer maintenant. Nous connaissions une énorme amélioration, à la fois du niveau général et de l’intérêt des Amateurs pour le dressage. Des clubs me disaient qu’ils croyaient en la discipline pour motiver les cavaliers qui veulent aller en compétitions, car c’est une pratique moins anxiogène, plus posée et plus cérébrale que les autres. Dans un bon nombre de centres équestres, cela semblait être une discipline très intéressante, car il y a toujours quelque chose à travailler, même quand il n’y a pas de compétitions. C’est une discipline de plus en plus prisée par les Amateurs, mais je ne sais pas quel sera le niveau de motivation des cavaliers maintenant. Ils ont arrêté pendant de longs mois, occupé leur temps à autre chose que de monter à cheval et auront peut-être aussi moins d’argent à dépenser pour les sports équestres. Je sentais vraiment un réel engouement, avec une très nette amélioration du niveau général des cavaliers et des chevaux. Je crois que cela vient en partie du fait que de nombreuses choses se sont améliorées ces dernières années, comme par exemple la formation et le nombre des juges, la qualité des terrains de concours et des organisateurs. Les Clubs et les Amateurs ont bénéficié de ce cercle vertueux et de l’apparition de circuits de compétitions attractifs, qui ont amélioré l’image de la discipline et l’envie de la pratiquer.   

Qu’attendez-vous du monde d’après ?   

J’ai très peur que les problèmes économiques très lourds auxquels nous devons désormais faire face ne rendent les désirs vertueux d’écologie et d’amélioration de la vie générale soient difficiles à tenir. Les défis économiques vont obliger la reprise d’industries polluantes et de pratiques parfois regrettables. Néanmoins, je pense qu’il va rester quelque chose de cette période que nous venons de vivre, même si ça ne sera pas aussi beau et merveilleux que nous l’avions imaginé pendant le confinement en voyant la nature reprendre ses droits un peu partout. On a vu les gens se mettre à faire la cuisine eux-mêmes avec des produits frais et revenir à un mode de vie plus autonome et plus sain. Or, gérer un potager quand on travaille est plus compliqué car cela demande du temps : il faut désherber, arroser, cueillir… Cela peut fonctionner quand le mode de vie s’y prête, et ça ne sera pas forcément simple pour chacun, à son petit niveau mais aussi pour le pays en général, de maintenir ce que l’on a vécu ces dernières semaines. Cependant, je pense que cela a donné lieu à de réelles prises de conscience et qu’il y aura sans arrêt des piqures de rappel. À chacune d’entre elles, il y aura une augmentation de la prise de conscience et du besoin de changer. Ce n’est pas sûr que la crise d’aujourd’hui, même si elle est énorme et surprenante, soit suffisante pour tout changer. Dans le monde strictement équestre, j’espère en tout cas que les cavaliers vont rentrer dans des pratiques plus naturelles et accroître leur contact avec l’animal. C’est un sport très lié à la nature, mais il n’y a pas que la randonnée ou le trec qui permettent cette connexion. L’équitation se pratique avec un animal auquel on fait attention, à qui on essaie d’apporter le meilleur pour qu’il puisse avoir la plus belle vie possible. C’est une façon d’être attentif à la nature, au monde animal. J’espère que l’équitation deviendra dans la tête des gens un sport noble, que l’on a envie de pratiquer parce qu’il porte des valeurs. Le confinement nous a fait réfléchir à nos activités nocives pour la planète comme la pollution, la course à l’argent… J’espère que l’équitation va apparaître comme un sport qui correspond aux aspirations profondes que les gens se sont découverts pendant cette période-là.     


Retrouvez la deuxième partie de cet entretien demain…