“Je veux construire quelque chose aux États-Unis”, Victoria Tachet
La jeune cavalière française Victoria Tachet, qui fêtera demain ses vingt-et-un ans, s’entraîne depuis l’année dernière dans les écuries américaines Double H Farm, sous l’œil de Quentin Judge. Ancienne membre de l’équipe de France avec trois participations aux championnats d’Europe Poneys entre 2013 et 2015, elle continue sa progression outre-Atlantique avec détermination. À peine descendue de HH Messandro, propre fils âgé de sept ans de HH Messenger que lui confie son entraîneur, elle a accepté de revenir pour GRANDPRIX sur son retour en compétition à Wellington après deux mois confinée aux écuries, ses ambitions pour l’avenir et livre ce qu’elle a appris de plus important auprès du cavalier étasunien.
Comment avez-vous vécu les trois derniers mois dans les écuries de Double H Farm, en Floride ?
Nous n’étions pas vraiment confinés puisque nous devions nous rendre aux écuries pour nous occuper des chevaux. La pandémie de coronavirus a causé l’annulation des concours, modifiant pas mal de nos plans. Nous avions par exemple prévu d’aller à Calgary, qui a été annulé. Tout a été un peu chamboulé et nous sommes restés à la maison, sous la chaleur de Floride. Nous sommes contents que cela touche à sa fin, après plus de deux mois. Je pense que cela a été plus compliqué en Europe. Ici, nous avons repris la compétition il y a deux semaines déjà (interview réalisée le 17 juin ndlr). Les organisateurs du Wellington Equestrian Festival font du très bon travail et tout s’est remis en route assez rapidement.
Quels chevaux composent votre piquet et comment avez-vous travaillé avec eux en l’absence de compétitions ?
Ian Millar, qui est retourné au Canada pendant le confinement, nous a conseillé pour entretenir les chevaux. Nous avons effectué un travail régulier, avec des gymnastiques. C’était compliqué de trouver la motivation soi-même avec cette situation, mais les chevaux étaient là. Nous en avons profité pour travailler en profondeur les problèmes que nous pouvions rencontrer. Nous n’avons pas ce temps habituellement, alors deux mois pour travailler dessus permet de laisser du temps aux chevaux pour progresser. Nous allons maintenant voir en concours si notre travail paie ou pas, si l’on doit travailler encore plus ou au contraire changer notre façon de faire.
Concernant mes chevaux, j’ai deux montures de tête, une jument, Chloe, et Messenger (HH Messenger, qui a concouru jusqu’à 1,60m avec Quentin Judge ndlr), qui a été castré au début de l’année car il était assez compliqué à gérer comme entier. J’ai la chance que Quentin Judge me les confie. Tous les deux ont treize ans, nous les considérons comme des chevaux de commerce. J’ai aussi des jeunes chevaux issus de l’élevage de Double H Farm. Je m’occupe plus spécifiquement de deux cinq ans et un quatre ans, qui sont issus de Himself (van de Broekelei, père de HH Pamchenko avec qui Victoria a participé à des épreuves nationales dédiées aux cinq ans au début de l’année ndlr), HH Messenger et HH Copin van de Broy. Ce sont tous des étalons de Quentin, à la retraite ou toujours en activité. Je trouve notamment intéressant de pouvoir monter Messenger et un de ses fils, et de les faire progresser tous les deux.
Vous venez de faire votre retour sur les terrains de concours nationaux en Floride. Quelle a été l’ambiance sur place, des mesures spécifiques sont-elles mises en place ?
À l’entrée du concours, la température de tout le monde est prise, de même que celle des chevaux. Les personnes présentes portent des gants et des masques. Au paddock, les distances de sécurité sont bien respectées. Les gens font vraiment très attention aux règles et je trouve ça très correct. Cela nous permet d’avancer dans notre travail avec les chevaux, et de recommencer à vivre presque normalement.
“Ce départ chez Double H Farm n’était pas programmé”
À quoi vont ressembler les prochaines semaines pour vous ?
Je débute actuellement en compétition avec mes chevaux. J’avais déjà concouru avec Chloe à Tryon, en 2019 (lors de la tournée d’automne en octobre dernier, ndlr). Elle a ensuite été louée pour le début de la saison 2020. Ce système de location se fait beaucoup aux États-Unis. Je viens de la récupérer à nouveau. Pour le moment je concoure sur des épreuves à 1,30/1,35m. En ce moment, nous sommes en train de tout ranger pour repartir dans le Connecticut (Double H Farm a des écuries en Floride, à Wellington, et dans le Connecticut, à Ridgefield, ndlr). C’est donc un peu le chantier ici et un lourd voyage nous attend. Il doit y avoir vingt-cinq ou vingt-six heures de camion, mais les Américains ont l’habitude des longs transports. Nous repartirons ensuite en concours à Saugerties (qui organise des concours nationaux dans l’état de New-York ndlr), à une heure de la maison. Une grande partie de nos chevaux seront présents, entre ceux de Quentin, des clients et les miens.
Vous vous entraînez chez Double H Farm depuis janvier 2019. Pourquoi être partie aux États-Unis et comment s’est passée la mise en relation avec Quentin Judge ?
Flore Giraud est partie s’entraîner là-bas l’année dernière pendant trois mois. Elle m’a convaincue d’aller la voir, pour prendre la température. C’est à ce moment que nous nous sommes mises en contact avec la famille Prudent notamment, quelques-uns de ses amis… Quentin cherchait un cavalier pour l’aider pendant la saison, donc je suis arrivée au bon moment. Nous nous sommes tout de suite bien entendus. Tout s’est fait rapidement, et ce départ à Wellington n’était pas vraiment programmé. C’est un peu une drôle d’histoire mais je suis contente d’avoir rencontré l’équipe de Double H Farm. Quentin me laisse une chance incroyable de pouvoir progresser à ses côtés.
Pouvez-vous nous parler de votre quotidien sur place et de votre rôle chez Double H Farm ?
Actuellement en Floride nous sommes obligés de commencer très tôt notre journée, pour essayer d’échapper à la chaleur, et pouvoir travailler les chevaux correctement. Sur une journée, je travaille entre six et huit chevaux, dont des jeunes, et mes deux chevaux Chloe et Messenger. J’accumule le travail sur des chevaux différents et engrange énormément d’expérience. J’aide aussi Quentin avec certains de ses chevaux, dont Quatuor, l’ancien cheval de Marie Hécart. Ce sont des chevaux avec différents types de gabarits, qui correspondent à Quentin. Conrad est toujours là et Quentin s’en s’occupe tous les jours, il a également récupéré Brésil, l’ancien cheval de Grégory Wathelet… Il y a beaucoup de chevaux au travail dans les écuries. Nous devons gérer les entraînements des clients, les compétitions, garder tout le monde en forme et être prêts à concourir. Nous sommes vraiment toute une équipe autour de Quentin, avec le vétérinaire, le maréchal, pour que les chevaux soient au meilleur de leur forme et que la performance soit au rendez-vous.
Avez-vous des objectifs sportifs particuliers aux États-Unis ?
Pour l’instant, l’objectif est de prendre part à des Grands Prix. Il y a aussi un objectif commercial en sortant les chevaux et en les mettant en valeur. Je veux également continuer à progresser pour avoir encore plus de contacts ici et plus de chevaux.
Comment se passe l’expérience de l’expatriation pour vous jusqu’ici ?
Cette expérience est complètement positive. Je découvre un autre système, que je ne connaissais pas, avec une autre façon de travailler et des moyens différents par rapport à l’Europe. Tout cela est un plus pour moi qui suis encore jeune, pour pouvoir me construire une expérience et en tirer des contacts pour la suite.
“Avec Rexter, j’ai dû avoir très jeune une bonne base de dressage”
Vous vous êtes notamment entraînée avec Pénélope Leprevost. Quelles différences notez-vous justement entre le système français et le système américain ?
En Europe, il y a une base d’élevage importante. On commence par travailler les jeunes chevaux, pour les faire progresser jusqu’à ce qu’ils soient vendus. Aux États-Unis, il y a beaucoup moins ce côté élevage. Par ailleurs, c’est très intéressant de voir travailler des cavaliers comme Katie Prudent ou McLain Ward. Est-ce qu’il y a plus de mélange entre les cavaliers ? Oui et non. En Normandie, tout le monde s’entraide en bord de piste. Ici, chaque cavalier a sa propre équipe, ses clients et fait les choses de son côté. Pouvoir observer ces deux systèmes est très intéressant.
Qu’avez-vous appris de plus important aux côtés de Quentin Judge, votre entraîneur actuel ?
Sa précision, c’est un cavalier extrêmement précis. Il a notamment pu aussi travailler avec beaucoup de grands noms du saut d’obstacles. Sa façon de monter m’a changé de chez Pénélope. Il essaie de travailler son cheval avec son propre équilibre. La monte française est plus assise dans la selle, sans totalement être germanique non plus. Prendre appui sur ses étriers, c’est complètement un autre monde, et je suis contente de pouvoir apprendre cela aux côtés de Quentin. De plus, nous avons tous les deux notre point de vue sur certains chevaux et nous pouvons échanger sur nos ressentis. Il est vraiment un bon patron.
Pensez-vous revenir en France ou continuer votre activité professionnelle aux États-Unis ?
Grâce à mes résultats en France et ceux obtenus ici, plus le fait que je concoure actuellement, cela me permettrait d’obtenir un visa P1, valable cinq ans. Je suis en train de travailler pour l’obtenir. Mon objectif n’est pas forcément de retourner en France, mais vraiment de construire quelque chose ici, et pourquoi pas rentrer à la maison ensuite. Pour l’instant, j’ai encore pas mal de choses à apprendre en Amérique, surtout maintenant que je vais commencer les concours avec des jeunes chevaux. Je vais voyager un peu, le virus a ralenti tout ce programme mais c’est reparti !
Vous avez connu une expérience fructueuse à Poneys, notamment grâce à Rexter d’Or, avec qui vous êtes championne d’Europe par équipes en 2014, et médaillée de bronze l’année suivante. Que cette période à poney vous a apportée ?
Avoir un tel parcours à poney en étant très jeune, avec ces grosses échéances, m’a ouvert les yeux sur la valeur du travail. Cela m’a appris la rigueur nécessaire pour accéder à ce niveau-là. J’ai eu la chance d’avoir à mes côtés mes parents, mes entraîneurs, des partenaires, qui ont pu me suivre et m’ont permis de réaliser ces performances. C’est toujours toute une équipe derrière, on n’est jamais seul. Recréer ce haut niveau à poneys est super. C’est complètement bénéfique de faire une carrière à poney avant de passer au haut niveau à cheval. Cela reste différent, même si Rexter est comparable à un cheval. J’ai dû avoir très jeune une bonne base de dressage pour dresser cet entier. Il m’a beaucoup appris pour la suite et la voie que j’ai choisi avec les chevaux. Ça a été de belles années.