“Un signe positif pour le moral des dirigeants de clubs”, Emmanuel Feltesse

Ce midi, le Gouvernement a officialisé les tenants et aboutissants de l’aide d’urgence pour les poney-clubs et centres équestres recevant du public. Le ministre de l’Action et des comptes publics, la ministre des Sports et le ministre de l’Agriculture et de l’alimentation ont notamment annoncé que le montant de cette aide serait calculé sur la base d’un forfait de 120 euros par équidé, dans la limite des trente premiers animaux dont ces structures équestres sont propriétaires ou détentrices et dont elles ont la charge exclusive. Emmanuel Feltesse, directeur du haras de Jardy et président du comité régional d’équitation d’Île-de-France (CREIF), souligne le caractère positif de ce plan, même s’il aurait aimé qu’il soit d’une plus grande ampleur.



Comment réagissez-vous aux annonces gouvernementales d’aujourd’hui quant à l’aide d’urgence pour les poney-clubs et centres équestres recevant du public?

On peut voir les choses sous différents angles. D’abord, je vois dans cette aide le signe que notre mobilisation n’a pas été vaine. Pour nos établissements, qui en très grande majorité ne dépendent pas de la sphère publique et ne vivent pas de subventions, cela montre que nous avons été écoutés par les pouvoirs publics, ce qui n’a pas été le cas de toutes les corporations dans notre pays. Ensuite, on peut discuter des conditions de mise en œuvre de cette aide. Par exemple, elle est limitée à trente poneys ou chevaux, là où beaucoup d’établissements, notamment en Île-de-France, en ont plutôt une cinquantaine… Pour autant, je préfère voir le côté positif des choses, considérant que les petits ruisseaux font les grandes rivières. Cette aide est bonne à prendre, même si son ampleur est moins importante que nous l’espérions et qu’elle ne va pas suffire à remettre les clubs à flot. C’est un signe positif pour le moral des dirigeants. L’État ne nous abandonne pas, il est avec nous.

En avril, le Gouvernement avait déjà fait un pas en s’engageant à mettre en place une aide de ce type. Avant même l’annonce d’aujourd’hui, cela a permis à des structures de bénéficier d’aides régionales. C’est le cas en Île-de-France, où Valérie Pécresse, présidente du conseil régional, a débloqué en notre faveur une enveloppe d’urgence de 150.000 euros. Sur les quatre cent soixante-dix-huit écoles d’équitation que compte notre région, cela m’a permis d’aider les soixante-deux qui étaient le plus en difficulté. Quand les dirigeants concernés ont vu arriver les camions de fourrage à un moment où ils avaient le moral dans les chaussettes, ils ont pris conscience qu’ils n’étaient seuls et abandonnés face à leurs problèmes. Parfois, les départements ou les communes se sont également mobilisées, ce qui est aussi à noter. En Île-de-France, par exemple, nous avons interpellé les maires de toutes les communes comptant un club sur leur territoire. Monter que nous sommes là nous a permis de nous rapprocher des collectivités territoriales et de l’État. Pour une profession qui avait tendance à être ignorée, ce confinement aura au moins eu cette vertu-là.

Enfin, on doit aussi saluer la mise en place du Fonds de solidarité de la Fédération française d’équitation (dont le compteur affiche actuellement 1.105.734 euros de dons, ndlr). Les cavaliers ont épaulé les clubs, parfois directement le leur puisqu’il était possible de personnaliser l’aide apportée. La part n’ayant pas été directement fléchée vers une structure va revenir aux comités régionaux d’équitation qui pourront réaffecter au mieux les fonds. Bref, toutes ces initiatives sont autant de signaux positifs.

L’équitation se pratique essentiellement dans de petites structures privées indépendantes et non au sein d’associations, comme la plupart des autres sports, bénéficiant de subventions et d’infrastructures mises à leur disposition gratuitement par les communes. En dehors de cela, pourquoi n’y avait-il pas de dialogue entre les clubs et les collectivités territoriales?

Ce qui est le plus compliqué à comprendre et à prendre en compte pour nos élus est que notre sport se pratique avec un animal. Par exemple, la région Île-de-France a adopté un plan visant à organiser des stages sportifs cet été. Les élus se sont appuyés sur le coût d’un éducateur sportif, dont ils proposent de financer le coût à hauteur de 6 euros de l’heure par enfant. Cela correspond à la réalité de sports se pratiquant sans animal et dans des structures municipales, mais pas au nôtre. C’est pourquoi je travaille actuellement à un plan spécifique pour l’équitation, lequel tiendrait compte de nos réalités. Je ne sais pas si j’y parviendrai, mais il est clair qu’aucun dirigeant de centre équestre n’acceptera de travailler à 6 euros de l’heure par enfant, surtout dans une période aussi compliquée, car cela représenterait un don pour eux. Cela montre aussi que nous ne communiquons pas assez sur les spécificités de nos activités. Le fait est que c’est l’une des rares fois où nous travaillons ensemble et où nous leur demandons de l’aide.



“Structurellement, nos activités ne génèrent pas de marges”

Qu’en est-il de l’utilisation des autres mesures d’aide publique, dont les prêts à taux zéro garantis par l’État ou les collectivités?

D’abord, l’aide mensuelle de 1.500 euros accordée aux dirigeants de petites entreprises a été extrêmement utilisée. Concernant les prêts, c’est plus variable en fonction des types de clubs. Certains dirigeants en ont eu peur dans le sens où tout prêt doit être remboursé. Pour autant, un gestionnaire d’entreprise a toujours intérêt à accepter un prêt à 0%. Pourtant, cela demande un travail inhabituel pour des dirigeants de petites entreprises comme le sont presque tous les clubs. À l’échelle du CREIF, nous avons accompli un gros travail pour les accompagner et leur faciliter la tâche en la matière. Ce n’est pas dans leur culture, dans le sens où ce sont de fantastiques femmes et hommes de terrain qui n’ont habituellement ni de temps ni de moyens à consacrer à la gestion financière de leur entreprise. Ils choisissent généralement les comptables les moins chers et se débrouillent pour réduire au maximum leurs frais généraux. Notre sport est l’un des seuls à ne pas avoir attiré de grands groupes ou entités, hormis une association comme l’Union nationale des centres sportifs de plein air (UCPA, ndlr). La raison est simple: structurellement, nos activités ne génèrent pas de marges. C’est pourquoi on a souvent affaire à de petites entreprises gérées par des passionnés qui doivent se dépenser sans compter leur temps ni leur énergie pour se payer. En tout cas, cette crise devrait nous permettre de mûrir.

Au-delà des mesures d’urgence, la sortie de la crise repose surtout sur une relance réussie. Quel est votre degré de confiance à ce sujet?

Je veux rester confiant mais ce ne sera pas simple. À la rentrée, puisque c’est désormais cette échéance qui nous importe le plus, les Français, dont beaucoup auront perdu au moins une partie de leurs revenus, vont se retrouver avec des choix à faire. Dans quelle mesure vont-ils accepter de rogner sur leur budget pour pratiquer eux-mêmes ou faire pratiquer l’équitation à leurs enfants. Il ne faut pas oublier que ce n’est pas rien pour une famille… C’est une question qui reste en suspens et dont dépend effectivement notre faculté à dépasser cette crise. C’est pourquoi nous demandons désormais à nos interlocuteurs politiques de nous aider autant que possible à relancer nos activités à travers des campagnes de communication. Dans le grand public, peu de gens savent qu’il y a un club près de chez eux, ce qui s’explique par le fait que nos structures se situent le plus souvent en dehors du cœur des villes, parfois sans fléchage adapté, contrairement aux gymnases ou aux piscines.

Ce dimanche, nous organisons d’ailleurs une grande journée portes ouvertes dans nos clubs d’Île-de-France et dans le respect des gestes barrières. Il s’agit de montrer au public ce qu’est un poney-club ou un centre équestre. En effet, au-delà même de monter à cheval, nos clubs ont souvent l’image de structures fermées, ce qui n’est pas le cas. Plus de cent vingt ont répondu présent, et nous leur avons envoyé des banderoles pour les aider à communiquer.

Nous devons à la fois aller chercher de nouveaux clients et fidéliser ceux que nous avons déjà. À ce titre, nous devons sûrement améliorer nos pratiques, en ayant à cœur de soigner nos clients.



“Peut-être n’avons-nous pas assez communiqué sur ce que nous faisions”

Une quantité astronomique de concours, notamment de niveaux Club et Poney, ont été annulés ces derniers mois et cet été, ce qui ne facilite pas le retour des cavaliers dans les clubs. C’est évidemment le cas du Generali Open de France de Lamotte-Beuvron, qui structure et rythme la vie d’un très grand nombre d’équitants à travers la France. Dans ce contexte, comment avez-vous accueilli l’initiative d’e-challenge Generali lancée hier matin par la FFE?

Là aussi, c’est un message positif, comme toute initiative prise en ce moment. Maintenant, il faut surtout se concentrer sur la reprise des compétitions réelles, dans le respect des règles sanitaires. Cela varie d’une région à l’autre. En Île-de-France, nous avons traditionnellement une trêve en juillet et août. Ailleurs, cette reprise va pouvoir se matérialiser dès cet été. On voit bien que de nombreux organisateurs se relancent, à tous les niveaux. Nous avons pour nous le fait que notre sport est assez facilement compatible avec une certaine distanciation sociale.

Il essentiel de travailler sur un projet sportif structurant. La Fédération étudie actuellement la possibilité de créer un objectif de fin d’année civile, sous la forme d’un Critérium. Cela donnerait une orientation aux cavaliers et aux clubs, qui en ont vraiment besoin.

Beaucoup de choses ont été dites et écrites au sujet de l’action de la FFE depuis le début de cette crise, notamment sur les réseaux sociaux. Que pourriez-vous en dire, au-delà des enjeux électoraux qui approchent?

La Fédération, avec ses organes déconcentrés que sont les comités régionaux et départementaux, s’est pleinement mobilisée pour faire face à cette situation inédite. Peut-être n’avons-nous pas assez communiqué sur ce que nous faisions. Peut-être est-il dans notre culture de ne pas assez prêter attention à cela quand nous sommes au charbon. Ce sont des critiques que j’accepte volontiers. Pour autant, nous nous sommes activés à tous les niveaux pour convaincre et notamment pour faire en sorte d’obtenir ces aides. À l’échelle de l’Île-de-France, j’ai vu naître une grande chaîne de solidarité. Beaucoup de gens ont passé un nombre incalculable d’heures au téléphone, particulièrement dans le cadre de la ligne dédiée que nous avons mise en place pour accompagner les dirigeants dans leurs démarches administratives. Nous avons tissé ou retissé des liens qui s’étaient distendus. Là aussi, cela me semble positif pour l’avenir.