Un nouveau protocole pour mieux prévenir la rhodococcose

Romain Paillot, collaborateur de Labéo, et Camille Vercken, pour le compte d’Equiways, viennent de publier des conclusions enrichissantes au sujet de la rhodococcose, une dangereuse maladie respiratoire bactérienne s’attaquant aux jeunes poulains. En partenariat avec le Stud-book Selle Français, les deux chercheurs ont notamment testé un protocole permettant aux éleveurs de mieux protéger leur cheptel.



La rhodococcose est une maladie respiratoire bactérienne du jeune poulain bien connue des éleveurs car les conséquences sanitaires, économiques et zootechniques de cette maladie sont nombreuses et néfastes. En l’absence de vaccin et face à l’accroissement des sites d’élevage dont les sols sont contaminés, ce qui est lié à l’augmentation des flux de chevaux et de leur densité sur certains sites et centres de reproduction pour des besoins commerciaux, les associations représentatives de la filière, dont le Stud-book Selle Français, ont souhaité sensibiliser sur l’urgence d’apporter des réponses concrètes pour le terrain.

La saisine de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES, référence 2017-SA-0046) a permis d’établir un état des lieux des connaissances sur cette maladie complexe. Souhaitant aller plus loin et proposer des solutions concrètes aux éleveurs, Romain Paillot (co-auteur de la saisine, responsable de la recherche en santé équine pour Labéo, Normandie Équine Vallée, campus de Saint-Contest) et Camille Vercken (fondatrice d’Equiways, société d’expertise et de conseils pour les éleveurs en matière de biosécurité) se sont associés pour évaluer un protocole de conseils destiné aux éleveurs pour lutter contre la rhodococcose. L’ambition du projet était simple: associer analyses de sols (protocole Labéo) et audit de fonctionnement de l’élevage (flux d’animaux, gestion des effectifs, désinfection, pratiques agronomiques telles que chaulage, réensemencement, etc.) pour proposer à chaque élevage un arsenal de mesures ciblées et adaptées à la réalité économique de l’entreprise afin de lutter efficacement contre la rhodococcose. 

Le projet, prévu sur trois années, a reçu le soutien financier de l’Institut français du cheval et de l’équitation (IFCE) ainsi que celui des principales associations représentatives de la filière dont le Stud-book Selle Français, qui a souhaité intégrer le comité de pilotage du projet en s’impliquant dans les orientations et en apportant des éléments techniques à l’éclairage des éléments mis en œuvre.

Menée dans cinq exploitations dont trois d’élevage de chevaux de sport, l’étude entame la deuxième année de son programme. Les principales conclusions qui découlent de ces résultats préliminaires sont les suivants. La charge bactérienne peut différer d’une parcelle à l’autre, même contiguës, au sein d’une même exploitation, ce qui souligne l’intérêt du dépistage des sols pour l’identification et la confirmation des parcelles représentant un risque potentiel. Cette information bactériologique permet de cibler les mesures d’agri-gestion et l’adaptation des méthodes d’élevage (rotation des parcelles, durée de présence des chevaux, sélection en fonction de l’âge et donc de la susceptibilité, etc.). Les mesures d’agri-gestion telles que le chaulage, le retournement des parcelles, l’arrosage ou le réensemencement ont un effet mesurable sur la charge bactérienne. Le nettoyage régulier des parcelles pour éviter l’accumulation des crottins ainsi que le curage et décaissage semblent également être des mesures importantes pour réduire le risque de contamination.

En outre, un historique de rhodococcose sur une parcelle se traduit bien par la présence de R.equi VapA-positive sur cette parcelle. La charge bactérienne peut diminuer dans le temps en l’absence de nouveaux cas de rhodococcose ou après agri-gestion. Toutefois, l’association inverse n’est pas systématique: la présence de R.equi VapA-positive n’est pas systématiquement associée à l’apparition de la maladie. Ce résultat indique que la présence de la bactérie, même au niveau de parcelles très poussiéreuses, n’est pas le seul élément d’importance pour l’apparition de cette pathologie. Cette donnée souligne l’importance de la durée d’exposition au pathogène, et donc l’impact potentiel de différentes pratiques d’élevage sur l’apparition de la maladie.



Conclusions et cas pratiques

En conclusion, les résultats préliminaires de cette étude indiquent que la connaissance de l’état d’une exploitation, en prenant en compte l’ensemble des espaces, parcelles, bâtiments, accès et autres, à un instant donné, grâce au dépistage de la bactérie R.equi VapA-posi-tive, associée à des conseils personnalisés pour une gestion adaptée de la conduite d’élevage peuvent réduire le risque de rhodococcose chez le poulain. Les différentes exploitations choisies ont permis de mettre à jour des pratiques à risques ou des mesures efficaces dont voici quelques exemples.

Cas n°2a : cette exploitation a permis de confirmer l’importante des temps d’exposition sur des surfaces contaminées. Tous les poulains après leur naissance transitent par des paddocks contaminés avant d’être séparés en deux groupes géographiquement distincts. Les temps de séjour sont longs, de l’ordre de plusieurs semaines au début de leur vie. Le premier groupe rejoint des parcelles très poussiéreuses et exposées aux vents dominants. Des cas de rhodococcose ont été régulièrement rapportés dans ce groupe. Le second groupe réside sur des parcelles non exposées aux vents, donc sans soulèvement de poussière. Les poulains de ce groupe ne développent généralement pas la maladie.

Cas n°2b : sur des parcelles poussiéreuses et en présence de la bactérie, avec un grand turnover de juments et poulains (centre de reproduction), et un couvert végétal très faible voire inexistant, les bonnes pratiques qui consistent à ramasser quotidiennement les crottins dans les paddocks des jeunes poulains, décaisser annuellement les zones de paddocks comprenant le plus de crottins (dans les paddocks plus grands). Allouer à chaque jument suitée un paddock dédié pendant son séjour semble avoir un effet bénéfique sur la prévalence de la maladie dans cette exploitation pourtant structurellement à risque.

Cas n°3 : les effets bénéfiques immédiats du chaulage, lorsque le pH le permet, sur la concentration de la bactérie responsable de la maladie ont pu être mesurés dans cette exploitation. L’étude a également mis en évidence l’effet catalyseur de la cour et des flux de véhicules dans ce centre de reproduction sur la création de poussière contaminée et leur rôle dans l’apparition de la maladie.

Cas n°4 : les effets bénéfiques majeurs du couvert végétal, l’excellent couvert résultant d’un réensemencement annuel de qualité, de l’apport de sable lourd aux entrées des paddocks ainsi que du ramassage de crottins régulier dans les paddocks des jeunes poulains sont des barrières efficaces à l’apparition de cas. Malgré un sol contaminé, aucun cas n’a été recensé.


Cas n°5 : la fin des mélanges entre juments saisonnières et résidentes à l’année a eu un effet direct positif sur la prévalence de la maladie.



Une pathologie très courante

La rhodococcose est une maladie respiratoire qui affecte principalement les jeunes poulains, à un âge de trois semaines à six mois. Cette maladie, qui est induite par la bactérie Rhodococcus equi (R. equi), se caractérise par une bronchopneumonie pyogranulomateuse, d’évolution subaiguë ou chronique, associée au développement d’abcès pulmonaires. D’autres formes de la maladie peuvent être rencontrées : intestinales (diarrhée, entérotyphlocolite ulcérative), ostéo-articulaires (synovite, arthrite et/ou ostéomyélite), intra-abdominales (lymphadénite, abcès) et oculaires (uvéite). Le taux de mortalité peut atteindre 80% en l’absence de traitement antibiotique. La rhodococcose équine est provoquée spécifiquement par des souches bactériennes hébergeant un plasmide de virulence contenant le gène VapA, échappant à la réponse immunitaire macrophagique.

Rhodococcus equi est une bactérie ubiquiste qui se retrouve au niveau des sols avec une bonne tolérance à la dessiccation, ce qui favorise sa survie dans des sols secs et sa transmission par des poussières contaminées. Elle est communément isolée du sol des enclos, chemins et herbages (en surface) ainsi que dans l’air et les poussières des locaux utilisés durant la saison de poulinage. Les souches VapA-positives pathogènes sont isolées dans le sol des élevages équins où elles coexistent avec des souches non virulentes VapA-ne-gatives. La proportion de souches virulentes R. equi VapA-positives est plus importante dans les exploitations ayant un historique de rhodococcose. Ceci s’explique par le cycle sol-animal qui induit une contamination progressive de l’environnement par les souches virulentes (excrétion importante du pathogène par les animaux malades).

La transmission de R. equi est essentiellement indirecte, les voies de contamination étant digestive et respiratoire. L’inhalation par les très jeunes poulains de particules contaminées augmente le risque de développement de la maladie. La rhodococcose affecte toutes les races de chevaux. Elle peut être sporadique dans les élevages de faible taille, ou enzootique dans ceux de grande taille, en termes de naissances de poulains, et en cas de naissances tardives, avec une proportion de poulains affectés pouvant dépasser les 20%. Cette maladie touche toutes les régions en France. Des études épidémiologiques et d’autopsies menées en Basse-Normandie ont rapporté une prévalence de la rhodococcose équine de 1,2%, R. equi étant à l’origine de plus de 25% des causes de mortalité chez les poulains âgés d’un à six mois.