Le commerce des chevaux accélère sa transition numérique
La crise sanitaire internationale liée à la pandémie de Covid-19 a longtemps figé tous les déplacements. Déjà de plus en plus important dans nos sociétés occidentales hyper connectées, le numérique a alors pris une ampleur encore plus grande dans le commerce de chevaux de sport. GRANDPRIX a sondé plusieurs personnalités de ce secteur pour tenter de saisir les nouvelles tendances de ce marché.
L’annulation de tous les concours et le confinement plus ou moins strict appliqué dans de très nombreux pays du monde auraient pu stopper tout commerce de chevaux de sport. En première ligne, les ventes physiques en pâtissent. “Les inévitables mesures de confinement ont forcément restreint notre activité car nos clients ne pouvaient plus venir essayer les chevaux. Et nous, marchands, n’avions plus le droit non plus de nous déplacer dans le but d’en acheter”, amorce à ce sujet Laurent Guillet, cavalier et marchand français établi dans l’Ain. Si la reprise des concours apporte aujourd’hui une bouffée d’air, elle ne fait pas tout. “Tous les marchands n’auront pas pu s’y préparer car certains d’entre eux ne disposent pas d’installations optimales pour entraîner les chevaux pendant ce confinement. En l’absence de compétitions, certains ont même remis leurs jeunes chevaux au pré. Malheureusement, cette année sera un peu tronquée quoi qu’il arrive...”, déplore le marchand.
Si la pandémie de Covid-19 a figé un nombre important d’activités, l’élevage a réussi à tirer son épingle du jeu. “Les envois de semence ont été bloqués dans l’est de la France et en Italie mais ont pu s’effectuer sans trop de retard de transit pour les autres destinations”, détaille Cyril Carisey, manager des ventes de la maison de vente aux enchères française Ekestrian. “Les étalonniers et éleveurs ont bien sûr pris toutes les dispositions sanitaires nécessaires, où les chevaux étaient manipulés par le moins de personnel possible, et ce avant même la sortie du camion. Nous sommes heureux d’avoir pu assurer une continuité de services 5*.” Pour le reste, le commerce a quelque peu ralenti. “Notre vente Élite était programmée en plein confinement (les 17 et 18 mars, ndlr). Cette fois, plusieurs chevaux n’ont pas pu partir immédiatement à l’étranger”, poursuit Cyril Carisey. “Nous avons alors négocié des prestations et tarifs de pension pour les chevaux qui devaient rester sur leur lieu d’origine. Fort heureusement, cette crise mondiale n’a pas freiné les achats ni fait baisser les prix de vente de façon significative. Néanmoins, nous sommes bien conscients que les autres domaines équestres ont bien plus pâti que nous de cette crise.”
Grâce à une solide organisation, plusieurs autres maisons de ventes aux enchères ont pu poursuivre leurs activités en ligne, à l’image de The collection, opération mise en place du 24 au 26 mai avec Carlos Pinto et sa femme Willemijn Poels. “Nous sommes très satisfaits de cet événement”, assure Steve Stinti, à la tête de l’écurie de commerce belge ST Stables et co-organisateur de The collection, qui a conquis des clients de seize pays et n’a pas dérogé aux prix habituels du marché. « Il est encore trop tôt pour évaluer l’effet de la crise sur les prix. S’ils devaient évoluer, nous le ressentirions plutôt dans six mois.” L’arrêt des compétitions a heureusement peu impacté la tranche d’âge des chevaux de cinq à sept ans. “Les chevaux d’âge avaient déjà des résultats que les acheteurs pouvaient analyser. Concernant ceux de cinq ans, nous avons pu louer des pistes extérieures pour les tester dans des conditions proches de celles d’un concours. Nos clients nous ont fait confiance et ont pu très vite évaluer la qualité des chevaux.”
“Nos enchères ont été plus suivies qu’en temps normal”, appuie à son tour Kristel Ceulemans, de la maison de vente Belgian horse trading. “Le confinement a bien sûr fait cesser les essais de chevaux mais nous avons pu continuer à les faire travailler dans nos écuries. Les ventes ont pu s’effectuer en ligne mais l’acte n’était avéré que si l’essai post-achat – une fois le déconfinement amorcé – était concluant. À l’heure actuelle, le client peut de nouveau venir essayer les chevaux (un lot de deux chevaux sélectionnés par l’acheteur est souvent nécessaire, ndlr) cinq jours avant l’enchère, sur rendez-vous. Néanmoins, de nombreux acheteurs ne se déplacent pas et nous demandent alors par téléphone des renseignements sur les montures qui les intéressent: caractère, comportement, etc.” Concernant les prix, “la crise a motivé les éleveurs à vouloir vendre à des prix encore plus réalistes, donc plus chers”, note Kristel Ceulemans, qui précise également que le pourcentage de chevaux vendus est plus élevé que l’an passé.
Une tendance lourde
Les ventes aux enchères en ligne sont un phénomène relativement récent, de l’ordre de cinq à six ans dans le monde et de trois ans en France, avec la création des Fences Web. “L’essor de la vidéo de bonne qualité, ainsi que les captations des concours ont fait évoluer les perceptions”, analyse Benjamin Ghelfi, président de l’agence Fences, organisatrice des célèbres ventes aux enchères Élite de Bois-le-Roi, qui se déroulent chaque fin d’été en parallèle de la Grande Semaine de l’élevage de Fontainebleau. “Nous avons désormais pris l’habitude de juger un cheval via internet. Lors de nos ventes aux enchères, 80 à 90% des clients ne se déplacent pas pour voir le cheval, mais s’appuient plutôt sur nos vidéos détaillées – aplombs, allures, sauts – ainsi que sur les visites vétérinaires – radiographies, bilan de santé. Si les jeunes chevaux sont plutôt faciles à juger sur internet, les chevaux plus âgés incitent souvent les acheteurs à se déplacer pour se rendre compte par eux-mêmes. Les coûts engendrés par une vente physique sont très élevés et les tarifs ne sont pas toujours intéressants pour les éleveurs. Lors d’une vente en ligne, nous pouvons abaisser ces frais et conserver néanmoins notre visibilité et notre pouvoir de vente.”
“Les ventes en ligne se conjuguent désormais au futur! Paul Schockemöhle (grand nom allemand à la tête de l’une des plus grandes structures d’élevage et de commerce du monde, ndlr) en fait tous les quinze jours et rehausse sans cesse son top price, par exemple”, s’enthousiasme Steve Stinti. “Les ventes en ligne sont similaires aux ventes aux enchères physique traditionnelle si ce n’est qu’on est sans doute moins dans le spectacle et l’excitation, et qu’elles augmentent le temps de réflexion.” Étant donné la belle activité enregistrée en temps de crise, les créateurs de The Collection, confortés dans leurs convictions, souhaitent réitérer l’aventure en 2021.
Les ventes organisées par les Stud-books sont aussi légion, à l’image du Zangersheide, avec le Z-Online Auction qui rencontre depuis 2014 un franc succès. Quant au Holstein, il expérimente cette année une vente hybride, à la fois en public et avec des acheteurs au téléphone et d’autres qui suivent les enchères en streaming. Pour sa part, le Stud-book Selle Français entend désormais prêter son image de marque à des ventes aux enchères organisées en marge de tous ses championnats nationaux, en partenariat avec des maisons spécialisées. “Notre préférence se tourne vers les enchères en ligne”, souligne à son tour Kristel Ceulemans. “Nous avons aussi organisé des ventes physiques mais nous rencontrions plus de problèmes pour récupérer l’argent. Les gens qui achètent en ligne connaissent bien leurs dossiers et ont le temps de mieux réfléchir, sans être affectés par trop émotions.”
Si le commerce de paillettes est établi depuis de longues années, la vente d’embryons, rendue possible par les progrès de la science, est également assez récente et “particulièrement bien adaptée à la vente en ligne”, note à raison Valentijn de Brabander, fondateur en 2014 de la maison belge ET-Auction, première plateforme mondiale à vendre en ligne des embryons. “Nous essayons de décrire le mieux possible les embryons sur la base de leurs pedigrees et des photos et vidéos de leurs fratries. Nous avons la chance d’être au centre d’une riche région d’élevage, où nous avons pu voir grandir et se développer bon nombre des chevaux de notre catalogue. Cela ne peut que renforcer notre confiance dans certaines combinaisons de sang ou centres d’élevage.”
Si la transparence reste de mise, la vente aux enchères est de plus en plus personnalisée et les interactions entre plateforme d’enchères en ligne et acheteurs s’intensifient. “Notre objectif est aujourd’hui de transformer le commerce de chevaux à l’image du marché de l’art”, détaille pour sa part le Belge Christophe Ameeuw, fondateur des écuries d’Écaussinnes et de l’Écaussinnes Academy, hauts lieux d’entraînement, d’élevage et de commerce. “La vente en ligne permet une totale transparence et rassemble toutes les information d’origines, d’identification et de performances du cheval. Beaucoup de clients continuent à venir essayer les chevaux avant de les acheter, mais on remarque une tendance croissante à acheter uniquement sur photos et vidéos. Cela peut surprendre à première vue mais ces acheteurs s’appuient sur les experts officiant dans les maisons de ventes et sur des dossiers très précis. Dans nos statistiques, nous notons d’ailleurs que le taux de ventes conclues est plus fort dans le cas d’une vente sans essai.”
Où en sera-t-on dans cinq ans?
Outre les coûts moindres, une grande visibilité et une facilité de recherche d’informations, les enchères en ligne permettent également d’éviter le déplacement des animaux, comme le souligne le haras des Coudrettes. “Lorsque nous avons pris la décision de mettre en vente certains de nos jeunes chevaux d’élevage âgés d’un à trois ans (une première pour le haras, qui a programmé cette vente du 9 au 11 juillet, ndlr), nous avons choisi de leur éviter l’expérience de la vente aux enchères physique et avons préféré les proposer uniquement sur internet dans leur environnement naturel afin de préserver leur moral.”
Le modèle du commerce de chevaux continue à évoluer. À ce sujet, Christophe Ameeuw et les équipes de The Auction se sont récemment associés pour lancer Horse-Pass, la première plateforme de mise en relation pour la vente et l’achat de chevaux de sport en Europe et dans le monde. Ce modèle de vente repose sur la mise en relation directe entre acheteurs et vendeurs, sans intermédiaire et sans frais liés à la transaction, tout en proposant en parallèle des événements pour valoriser les équidés en vente. Le premier Horse-Pass Event aura ainsi lieu les 20 et 21 juillet au sein des Écuries d’Écaussinnes, sur la piste où travaille le champion olympique Éric Lamaze et ses équipes de Torrey Pines.
Enfin, si la vente en ligne est unanimement plébiscitée par les acteurs du marché, les rencontres physiques sont encore loin d’être totalement écartées. “Centraliser les communautés de chevaux lors de grands rassemblements sportifs est une très bonne idée”, analyse ainsi Christophe Ameeuw. “Lors de concours comme le Mediterranean Equestrian Tour d’Oliva Nova, en Espagne, nous avons accès à huit cents ou mille chevaux, ce qui est bien sûr très intéressant pour examiner toutes les possibilités d’offres.” “Je pense que ces longs formats de concours vont se développer et se professionnaliser de plus en plus dans les années à venir. Notre sport et l’économie vont sans aucun doute changer. Reste à savoir comment, à quel moment et dans quelle direction”, conclut Laurent Guillet.