Jaume Puntí Dachs, l’Espagnol qui caracole en tête de l’endurance
Surgi de sa Catalogne natale dans les années 1990, Jaume Puntí Dachs fait désormais figure de clé de voûte sportive et commerciale dans la discipline mondialisée et professionnalisée qu’est devenue l’endurance. Ayant rapidement tissé une relation privilégiée avec le cheikh Mohammed al-Maktoum, puissant émir de Dubaï, ce cavalier et entraîneur de cinquante et un ans est aujourd’hui à la tête d’une écurie d’élite comptant quelque deux cents chevaux et nourrissant le succès grandissant de l’Espagne.
Né le 21 mai 1969, Jaume Puntí Dachs grandit en Catalogne. Un ami de son père – éleveur de cochons – lui propose un jour de lui apprendre à monter à cheval. Âgé de treize ans, ce dernier découvre alors la Doma vaquera, discipline d’origine andalouse issue du travail des gardiens de troupeaux, qui a grandement inspiré les équitations de travail et western. Le jeune garçon se prend de passion pour l’animal et rêve d’avoir son propre cheval. Afin de financer son projet, il travaille un temps dans l’entreprise de son père, puis achète à dix-neuf ans des juments destinées à l’abattoir.
Quatre ans plus tard, il découvre l’endurance à l’occasion des championnats du monde organisés à Barcelone. Jaume s’éprend alors de cette discipline et de son atmosphère. Pour se lancer, il acquiert Petita, une jument aux origines inconnues et déjà bien formée. La Catalogne est un bon terreau pour les efforts au long cours. Aussi, le jeune homme parcourt son pays et se renseigne autant que possible auprès des quelques professionnels environnants. Il participe à quelques courses nationales, mais se sent vite attiré par la France, terre de prédilection de l’endurance.
L’Espagnol se rapproche du village lozérien de Florac, point d’ancrage mythique de la discipline. Il y fait la connaissance, entre autres, de Denis Pesce, médaillé d’or par équipes et d'argent en individuel aux Jeux équestres mondiaux de La Haye en 1994, Jean-Paul Bourdon, champion de France en 1989 et organisateur depuis plusieurs années des célèbres 160 km de Florac, et Cécile Demierre, multiple lauréate de cette CEI 3* et membre régulière de l’équipe de France. “Denis Pesce était mon idole! J’aimais aussi beaucoup la façon dont courait Raymond Johnson”, ajoute-t-il. Installé en Aveyron, ce dernier fait alors partie des entraîneurs les plus cotés en France, ayant notamment formé la Franco-Suisse Barbara Lissarrague, sacrée championne du monde en 2005 à Dubaï. Toujours associé à Petita, le Catalan gagne quelques courses françaises, puis décide de s’y investir pleinement. “Pour cela, j’ai dû vendre plus de trois mille cochons!”, précise-t-il.
Une ascension pavée de rencontres décisives
Jaume admire les pionniers français. L’Espagnol a également appris aux côtés du regretté Pierre Cazes, alors entraîneur et sélectionneur de l’équipe de France. “Je me sentais en confiance, j’étais très proche de lui. Nous échangions beaucoup. Son tragique décès (survenu accidentellement en août 2005, ndlr) m’a bien sûr profondément attristé…” Celui qu’on surnomme communément “Juma” côtoie aussi le multi-médaillé Jean-Philippe Francès et se lie d’amitié avec Philippe Tomas, double champion de France en 2012 et 2014. Il n’oublie pas de mentionner Jack Bégaud, “qui incarne le plus à mes yeux l’endurance mondiale”. Vétérinaire de profession, longtemps numéro un mondial de la discipline, ce dernier avait institué en France un modèle d’entraînement décentralisé qui a aidé de nombreux jeunes talents à s’affirmer. “C’est à Jack que nous devons l’endurance moderne de haut niveau. Très bon marchand et solide cavalier, il a aussi un très bon œil en tant qu’entraîneur”, loue l’Espagnol. Jack Bégaud initie une relation étroite entre l’Europe et le Golfe persique, collaborant de nombreuses années avec le puissant cheikh Mohammed ben Rachid al-Maktoum. Dès 1999, le Catalan se fait remarquer par l’émir de Dubaï, futur vice-président et Premier ministre des Émirats arabes unis, qui lui propose un poste d’entraîneur. En 2013, contrairement à l’Espagnol, le Français se désinvestira de cette collaboration. “Jack n’a pas voulu s’installer à Dubaï, là est notre différence”, souligne l’intéressé.
En 2001, “Juma” y rencontre l’Espagnole María Mercedes Álvarez Pontón. De sept ans sa cadette, la jeune femme officie alors comme cavalière professionnelle dans un centre d’entraînement concurrent. Le couple se mariera sept ans plus tard et aura trois enfants. “J’ai eu beaucoup de chance de rencontrer María! Nous formons un couple fusionnel et nous entraidons pour les compétitions ou les entraînements. Comme elle est très calme, je lui confie souvent des chevaux nerveux qu’elle apaise rapidement”, sourit Jaume.
En 2002, le Catalan fonde Juma’s Team, sa propre structure professionnelle d’entraînement. Le couple concentre une partie de ses installations sur deux sites: celui d’El Rocal, à cent kilomètres au nord de Barcelone, accueille les chevaux en formation, tandis que celui de La Tría, à quinze kilomètres au sud de là, abrite les poulinières et poulains de son élevage, ainsi que les chevaux au repos. La société continue d’entretenir des relations étroites avec les Émirats arabes unis, notamment à travers un centre d’entraînement de chevaux d’élite établi à Dubaï. Juma’s Team collabore également avec l’écurie du Français Claude Places, sise à Beaulieu-sur-Loire, entre Orléans, Auxerre et Bourges, pour la formation des poulains et jeunes chevaux.
Élevage et compétition
Jaume Puntí Dachs s’est toujours intéressé à l’élevage. Dès 2002, il fait naître une jolie baie, nommée Nina bin Menfis. Formée jusqu’au plus haut niveau (160 km) par l’Espagnole Emma Vizcaino Viñas, cette Pur-sang Arabe offre à son compatriote Gil Berenguer Carrera deux médailles d’or aux championnats d’Europe Jeunes de Vérone en 2014. Renommée Za’Amah, elle est vendue dans la foulée aux célèbres MRM Stables émiraties. Très satisfait, le cheikh Mohammed al-Maktoum offre à son partenaire d’autres poulinières qui constitueront la base de son élevage. “En Catalogne, nous avons acheté des terrains vallonnés parfaits pour l’élevage. Nous avons commencé petit à petit et, comme cela nous a beaucoup plu, nous nous sommes agrandis”, explique le couple. “Nous avons cherché de bonnes juments avec du cœur et issues de lignées de performers en endurance. Nous avons souvent employé l’étalon Tidjani (PsA, Flipper x Saint Laurent), par exemple, mais aussi quelques Anglo-Arabes.”
Selon son emploi du temps, le couple fait naître quatre à quarante poulains par saison. Après seize ans d’expérience, “Juma” est conscient des difficultés inhérentes à cette activité : “Faire naître un crack reste assez difficile. J’ai une immense admiration pour les éleveurs qui réussissent. J’espère un jour devenir l’un des meilleurs, car j’ai des poulains qui me laissent rêveur, mais je n’en suis pas encore là!” María et Jaume ont également initié un petit élevage avec des partenaires en Uruguay, où ils croisent des origines maternelles locales avec des étalons français de course ou d’endurance. Aujourd’hui, Juma’s Team gère ainsi plus de deux cents chevaux répartis dans ses différents centres à travers le monde.
Brillant entrepreneur, l’Espagnol n’a rien perdu de son âme de compétiteur. En 2006 à Aix-la-Chapelle, il termine quatrième par équipes de ses premiers Jeux équestres mondiaux aux rênes d’Elvis Hab, un Pur-sang Arabe d’origine uruguayenne. L’année suivante, le couple décroche l’argent individuel aux championnats d’Europe de Barroca d’Alva, au Portugal, et María, le bronze avec Nobby (PsA, Prophecy x Nabucco). Entre 2008 et 2011, ces derniers ont été sacrés deux fois champions du monde, à Terengganu en Malaisie, puis à Lexington, et deux fois champions d’Europe, à Assise et Florac. Aux Européens Open de Most, deux ans plus tard en République tchèque, Jaume termine quatrième de la course mais premier du championnat, contribuant aussi grandement à la médaille d’argent espagnole, en selle sur l’étalon Quran el Ulm (PsA, Ulm de Domenjoi x Persik) provenant de l’élevage de Jack Bégaud.
Les Jeux équestres mondiaux de Normandie, en 2014, voient l’Espagne se parer d’or, son chef de file se plaçant cinquième avec Novisaad d’Aqui (Shag, Sadepers, PsA x Siglavy Bagdady XV). Sa deuxième vraie consécration intervient l’été suivant à Šamorín, où il offre les deux médailles d’or continentales à l’Espagne avec Ajayeb (PsA, Tidjani x Dynamite III), vendue dans la foulée à MRM Stables. Un an plus tard sur la même piste slovaque, théâtre de tristes Mondiaux, la merveilleuse jument périt tragiquement, victime d’une fracture de fatigue sous la selle du cheikh Rachid Dalmouk al-Maktoum… “Cela a été dur”, relate Jaume. “Ajayeb était la meilleure jument de ma vie, tous les gens étaient attachés à elle. Ils ont souffert et souffrent encore pour elle… Elle me manque, bien sûr, et j’espère que sa pouliche va arriver à un aussi bon niveau qu’elle.” De son côté, le Catalan décroche deux nouvelles médailles d’or avec Twyst Maison Blanche (PsA, Arques Perspex x Octavius A), qui boucle les 160 km de course à une vitesse moyenne de 23,605 km/h. Bien qu’éliminé de la course, le couple est encore sacré par équipes aux Européens de Bruxelles en 2017. Depuis, il n’a plus disputé que cinq courses internationales, dont celle des Jeux équestres mondiaux de Tryon, qui a été interrompue par la Fédération équestre internationale (FEI) avant son terme, la CEI 3* de Rio Frio , au Portugal, qu’il a gagnée sur Upsala el Saad, et celle des Européens d’Euston Park, où il a glané l’or par équipes avec Echo Falls.
En 2010, Jaume intègre le comité d’endurance de la FEI pour un mandat de quatre ans. “Lorsqu’on m’a proposé le poste, l’ambiance était un peu compliquée. Je pense que nous avons fait du bon travail, mais il est difficile de s’accorder avec tout le monde, les Américains n’ayant pas la même vision que les Européens ou les Australiens”, plaide le Catalan – sans oublier les pays du Golfe, dont les protagonistes organisent ou sponsorisent la plupart des grandes courses. Pour sa part, “Juma” prône une équitation de compromis où les lois ne sont pas manichéennes et où “le plus important est le rôle du cavalier dans la gestion de sa monture”.
Son mandat est quelque peu mis à mal en août 2013 lorsqu’une affaire de suspicion de dopage éclate au grand jour. L’homme officie alors en tant qu’entraîneur à la Moorley Farm East, principal centre anglais d’entraînement de chevaux de courses de plat et d’endurance, propriété du cheikh Mohammed et située à Newmarket, à cent kilomètres au nord-est de Londres. Deux semaines plus tôt, le Catalan avait participé à une table ronde au sujet du dopage et du bien-être des chevaux d’endurance organisée par l’ancienne présidente de la FEI, la princesse Haya bint al-Hussein de Jordanie, quatrième épouse de l’émir du Dubaï. De quoi relancer les soupçons de conflits d’intérêts pesant déjà sur l’action alors timide de la FEI face aux multiples dérives entachant l’image de la discipline. Lors d’une inspection à Moorley Farm, la Direction britannique des médicaments vétérinaires (VMD) avait confisqué une centaine de produits pharmaceutiques, au motif que ceux-ci ne devaient être administrés qu’à un cheval bien particulier et dans le cadre d’une ordonnance. Même si “Juma” avait plaidé sa bonne foi, publiant lui-même la liste des substances incriminées, plusieurs vétérinaires s’étaient insurgés du fait que l’on puisse trouver de tels “cocktails médicamenteux” chez un entraîneur. Considérant que cela ne remettait pas en cause ses méthodes d’entraînement, le Catalan n’avait finalement écopé que d’un rappel à l’ordre.
Quelques années plus tard, Jaume Puntí Dachs se trouve toujours dans la même position que bien des cavaliers ou patron d’écuries français: dépendant de la puissance financière des pays du Golfe persique d’un point de vue économique et dans l’attente d’une plus grande fermeté de la part de la FEI vis-à-vis de tout ce qui ne va pas depuis trop longtemps en endurance et qui est souvent – mais pas toujours - e fait de cavaliers et entraîneurs de ces mêmes pays du Golfe…