“J'ai été un fantastique privilégié!”, André-Jacques Le Goupil

En 2014, André-Jacques Goupil, le plus célèbre et charismatique speaker des sports équestres a annoncé son intention de tirer un trait sur l’animation des concours pour se tourner vers de nouveaux horizons. Tandis que beaucoup auraient aimé lui rendre hommage à l’occasion du Gucci Paris Masters, Normand a éteint son micro à l’issue du CSI3* de Liège, début novembre, EEM World lui ayant préféré Yannick Bichon pour l’édition 2014 du concours du Salon du Cheval. Précurseur dans la manière de faire vivre les évènements, André-Jacques Le Goupil a indéniablement fait évoluer un métier qui n’en était pas un, animé par la volonté de transmettre sa passion au public. Homme de convictions, entier, il est connu pour sa voix, mais aussi pour son franc-parler, qui lui a parfois joué quelques tours. Qu’on l’adore ou qu’on le déteste, ce Cherbourgeois de quarante-huit ans ne laisse personne indifférent. Il revient sur sa carrière, sa passion, sa vision des sports équestres, et il évoque aussi ses prochains combats.



Comment a débuté votre histoire d’amour avec le micro? 

André-Jacques Le Goupil : J’ai commencé à dix-huit ans à Radio Nord Cotentin. J’avais eu une première expérience plaisante quand j’étais en Première. Au départ, j’étais bénévole. Je traînais dans les studios dès que j’avais un moment de libre. J’ai fait la connaissance de Philippe Marchand, qui avait développé la radio et qui couvrait tous les sports. Il m’a proposé d’animer une émission consacrée aux sports équestres, dont il avait déjà le nom: «Flambeau Magazine». J’ai commencé en glanant des infos dans les magazines et les journaux qui parlaient d’équitation, comme L’Équipe. Pour développer mon émission, j’allais voir les jurys pour avoir les résultats et leur donner le jingle du magazine afin qu’ils l’annoncent au micro. Comme je participais au concours, souvent je descendais de cheval, je posais ma bombe et j’allais faire du son pour la radio. On organisait également des directs téléphoniques: je trouvais une cabine et on produisait des directs à la radio le dimanche après- midi. C’est marrant d’ailleurs, via Facebook, nous nous sommes retrouvés entre anciens de la radio. Ça nous donne envie de relancer une radio sur internet. Ce serait bien, mais de là à pouvoir en vivre, c’est une autre histoire. Radio Nord Cotentin était une radio d’information qui comptait une dizaine de salariés. De nos jours, une telle affaire serait très lourde à monter. 

Comment en êtes-vous venu à animer les concours? 

La ligue de Normandie avait proposé aux organisateurs un package avec la sono, le chronométrage et le speaker. Xavier Mayaud, le président de la ligue, m’a demandé si je voulais venir faire le micro avec lui. J’ai débuté à Jullouville (station balnéaire située à dix kilomètres au sud de Granville), qui était l’un des derniers concours à proposer une épreuve de saut en hauteur, gagnée par Jalisco B et Xavier Leredde. Ensuite, une amie m’a mis en contact avec Jacinte Giscard d’Estaing, qui cherchait quelqu’un pour animer le premier village fédéral du Salon du Cheval. J’ai passé un super moment, notamment lors de l’arrivée de Flambeau, présenté sur le ring du village. Que de souvenirs! C’est là que les gens ont commencé à me connaître. Mes premiers contrats de speaker sont arrivés grâce au Salon.

Vous avez également travaillé pour la Fédération française d’équitation. Qu’y avez-vous fait? 

J’ai effectué mon service militaire à Fontainebleau, mais j’ai été détaché au service de presse de la FFE, mon premier employeur. J’ai assisté à la création de l’Écurie France. Sous la présidence de Jean-François Chary, il y avait dix personnes au service de presse, et ça bossait! Une équipe se chargeait de la télé, une autre des radios, une autre encore de la presse quotidienne régionale. Nous nous occupions vraiment des médias et des sponsors. Par la suite, le service communication est devenu plus secondaire. Certes, c’est difficile de comparer avec aujourd’hui, parce que tout a énormément changé et que les supports ont évolué, mais il n’y a jamais eu autant d’articles de presse, de reportages et de concours diffusés en direct à la télévision qu’à cette époque, alors qu’il n’y avait que trois chaînes. Il y avait bien d’autres sports, mais quand même des Grands Prix retransmis. Main- tenant, il y a pléthore de chaînes mais, hormis sur Equidia et Eurosport, on ne voit plus grand-chose.

À l’époque où vous avez débuté votre carrière de speaker, vous êtes tombé gravement malade. Tout aurait pu s’arrêter...

Je suis tombé malade en août 1988: on m’a retiré une tumeur dans la colonne vertébrale. Au début, on m’a dit que je ne remarcherai jamais. Un jour, c’est revenu, puis j’ai rechuté, et ça a duré deux ans. Il y a eu une belle solidarité des organisateurs, que ce soit le Paris Horse Show ou la SEPA (Société exposition publicité animation, qui organisait de grands événements tels que le Renault Jump à Paris ou le Jumping de Cannes, ndlr). J’étais a` l’hôpital Saint-Louis. Dans la semaine, je recevais toujours la visite de quelqu’un. J’ai réussi à organiser mes traitements par rapport aux dates de concours, et non l’inverse. J’étais dans un environnement familial magnifique: entre les chevaux et les concours, je m’éclatais. Je crois que c’est tout ce contexte qui m’a sauvé la vie. Je ne remercierai jamais assez tous ceux qui m’ont accompagné, aidé et tendu la main quand j’étais malade. Ensuite, j’ai travaillé dans des étapes de la Coupe du monde, le Renault Jump et tous les plus beaux concours. Tout cela avait pris une place si importante dans ma vie qu’il était évident que ça deviendrait mon métier. Dans le milieu équestre, c’était la première fois que quelqu’un en faisait sa profession à temps complet. 


Ici André-Jacques dans les années 90, à Béthune, l’un des concours qu’il a animés le plus longtemps.

Ici André-Jacques dans les années 90, à Béthune, l’un des concours qu’il a animés le plus longtemps.

© Marc Verrier



“J'ai concouru avec les chemises, les vestes et les bottes d'Éric Navet”

Maniant l’humour et la facétie avec brio, André-Jacques a eu la riche idée de recueillir les impressions de Joker d’Helby, le cheval de Nicolas Touzaint, à l’issue du CIC 2* de Martinvast, en 2007.

Maniant l’humour et la facétie avec brio, André-Jacques a eu la riche idée de recueillir les impressions de Joker d’Helby, le cheval de Nicolas Touzaint, à l’issue du CIC 2* de Martinvast, en 2007.

© Damien Kilani

Dès le départ, vous avez imposé la griffe André-Jacques Le Goupil...

Du fait de ma maladie, j’ai pu me permettre une certaine insolence vis- à-vis des jurys, par exemple, en prenant la main sur le rythme. À cette époque, la technologie évoluait très rapidement avec l’arrivée de la vidéo et des premiers panneaux électroniques, mais les juges n’avançaient pas aussi vite. Tout le monde voyait le score sur le panneau, mais les juges devaient vérifier, contrôler... Moi, j’annonçais avant eux. Au début, je me suis fait taper sur les doigts, mais – et je m’en suis rendu compte beaucoup plus tard – me sachant malade, ils n’ont pas osé me dire grand-chose. Je pense que ma « griffe » aura été de booster la façon de faire et surtout d’apporter de la «technicité» au discours. Je crois avoir été un précurseur en expliquant les reconnaissances et, quand on le pouvait, en faisant descendre les spectateurs sur la piste. Grâce à ce que m’a appris Yves Lechevalier, le premier sonorisateur digne de ce nom, je crois aussi avoir milité pour l’importance de la qualité du son et donc participé au confort des spectateurs et à l’évolution de la mise en scène de notre sport. 

Avez-vous vécu des expériences hors de l’équitation?

J’ai animé pendant un an la patinoire de Cherbourg pendant les matches de hockey. Nous avons passé du bon son et soigné la mise en scène et l’entrée des joueurs. Nous avons réussi à mettre une ambiance de folie, à tel point que je devais parfois baisser d’un ton pour ne pas trop échauffer la patinoire, d’autant que le hockey est un sport riche en adrénaline. Cette année-là, Cherbourg a été champion de France pour la seule fois de son histoire!

Après avoir été un précurseur dans la façon d’animer les concours, vous avez fondé Animato. Pourquoi cette société destinée à former de nouveaux speakers s’est-elle arrêtée?

Si je regarde les choses uniquement sous un angle personnel – car par ailleurs, cela s’est avéré positif pour le développement de notre sport –, la création de cette société a été une erreur. En latin, Animato veut dire présenter avec verve et enthousiasme. Je commençais à avoir du mal à délivrer, car tous les week-ends au micro, c’était épuisant. Dans certains concours, je travaillais de 8h à 1h du matin. Mon record, c’est Liège, ou` j’ai tenu le micro dix-sept heures, et quarante-sept heures en trois jours ! Je n’arrivais plus à assurer tout ce qu’on me proposait. Yannick Bichon m’avait dit qu’il aimerait vraiment faire ça. J’ai donc eu l’idée de créer Animato pour former de nouveaux animateurs, parce que c’est vraiment un métier ! Pour leur apporter un marché, j’ai donné à ceux que j’ai formés une partie des concours dans lesquels j’intervenais. J’ai fait le choix d’augmenter mes tarifs et d’en faire moins. Comme cela ne leur permettait pas de vivre suffisamment, certains ont voulu aller plus vite que le train et sont allés démarcher derrière mon dos, alors que normalement, c’est Animato qui traitait avec les organisateurs. Plutôt que de mettre les « brebis galeuses» dehors, comme j’aurais dû le faire, j’ai préféré tout arrêter après deux bonnes années. Hélas, la suivante, j’ai dû payer des impôts pour une boîte où nous étions sept ou huit, alors que je m’étais retrouvé tout seul à travailler. La société a été placée en liquidation judiciaire, j’ai mis six ans à payer. Heureusement, il y a eu des gens fantastiques autour de moi, comme Sabine Dechamboux, qui m’a donné un coup de main pour remonter une structure, Fox Trotte, ainsi que Danièle Grangier, qui organisait le concours de Vannes, et qui m’a beaucoup aidé, elle aussi. Des gens super ont vraiment cru en moi. Je m’en veux un petit peu de ne pas avoir forcément été à la hauteur de leur investissement personnel. 

Quels sont les meilleurs moments que vous conserverez de ces trente années?

Les bons souvenirs, il y en a énormément. J’ai eu la chance de vivre des choses incroyables, comme les championnats d’Europe de La Baule, en 1991, avec la victoire de Quito de Baussy et Éric Navet. Nous avions lancé le Club des supporters d’Éric avec Alain Hinard. On a organisé des navettes de partout en Normandie, on a emmené trois ou quatre cents personnes en bus à La Baule, et Éric a gagné le titre. Pour le fan des Jeux olympiques que je suis, Sydney, en 2000, a été un moment magnifique. C’était une fête universelle pendant trois semaines avec une vie autour des Jeux et un peuple qui nous a magnifiquement accueillis. Le plus beau show de ma vie, je crois que c’était a` Glasgow, un concours organisé par les Gillespie, propriétaires de chevaux de Michael Whitaker, mais il y en a eu beaucoup d’autres, comme Bercy, le Parc des Princes (concours organisé en 1992, dont le Grand Prix avait été remporté par Éric Navet et Quito de Baussy devant Jos Lansink et Libero H, ndlr), Franconville ou encore la finale de la Coupe du monde à Milan (brillamment remportée, à la surprise générale, par Bruno Broucqsault et Dilème de Cèphe, ndlr). J’ai fait des trucs de fou! Ce qui m’a le plus marqué, c’est le titre de champion du monde individuel d’Éric avec Quito, en 1990 à Stockholm. Nous, Normands, avons grandi avec Éric Navet et Xavier Leredde, qui étaient nos idoles. Mes frères et moi étions plus jeunes qu’Éric. Nos mamans se connaissaient et se refilaient les fringues des enfants qui avaient grandi, donc j’ai vécu mes premières années de compétition avec les chemises, les vestes et les bottes d’Éric Navet! La finale, je l’ai regardée à la télé dans ma chambre de l’hôpital Saint-Louis. Éric m’a appelé alors qu’il venait d’être champion du monde. J’étais en pleine greffe de moelle osseuse, à deux doigts de crever, et il m’a donné rendez-vous à Dinard pour fêter son titre. Je me suis battu pour être là, j’ai pédalé et re-pédalé dans ma chambre d’hôpital. Je crois que j’ai fait dix fois le tour de France! J’étais à Dinard pour les accueillir, je tenais à peine debout, mais c’était la fin de tous mes ennuis de santé. Il y a aussi eu Milton et Jappeloup, dont j’ai animé les adieux à Bordeaux et sous la Tour Eiffel. Voir danser Rembrandt et Nicole Uphoff à Bercy, c’était magnifique aussi. J’ai bossé en Australie, au Brésil, au Mexique, en Malaisie, en Écosse, en Suède... J’ai fait des trucs extraordinaires. Par rapport à quelqu’un qui visse le même boulon tous les jours à l’usine, j’ai été incroyablement privilégié, surtout de vivre de ma passion et de mon sport ! Et puis, j’ai eu la chance d’avoir des clients super fidèles que j’ai gardés plus de vingt ans, pour une grande majorité, comme Bordeaux ou La Baule, où j’ai commencé en 1990, l’année précédant les championnats d’Europe. La fidélité et la confiance me touchent. 

Quelles ont-été vos plus grandes déceptions?

L’une de mes déceptions, c’est que nul n’est prophète en son pays. Finalement, j’ai très peu travaillé chez moi, sauf pour les débuts du Normandie Horse Show, qui nous ont vraiment fait vivre une belle aventure avec Fernand Leredde et son équipe. Nous avons fait du NHS un événement assez magnifique. Je suis arrivé la dernière année où il a eu lieu à Canisy avant de partir à Saint-Lô. C’était les débuts d’Animato, j’avais mis tous mes jeunes là-dessus, nous animions tout, des poulains aux premiers spectacles, les premiers cabarets équestres. Je regrette également de ne pas avoir assez travaillé mon anglais pour être meilleur et pouvoir bosser davantage à l’étranger, comme aux États-Unis ou au Canada. J’ai également été très blessé, alors que ma décision d’arrêter avait déjà été prise, par mon éviction du Gucci Paris Masters, cette année. Christophe Ameeuw, qui a bien su me trouver pour l’accompagner dans son aventure, lorsqu’il a relancé Bruxelles, n’a pas su m’appeler lui-même pour me dire qu’il ne voulait plus de moi dans ce qui devait être mon dernier concours... 

Votre côté électron libre et votre grande gueule ne vous ont-ils pas desservis?

Ma volonté a toujours été de travailler pour l’intérêt commun. J’ai perdu ou arrêté des événements, quand ceux pour qui je travaillais sortaient de ce cadre-là. Quand je m’apercevais qu’il s’agissait davantage de satisfaire un égo, ça ne me convenait plus. Je pense en avoir perdus aussi par excès d’enthousiasme et de sincérité. Quand quelque chose ne me plaisait pas, je le disais. Pour moi, toute vérité est bonne à dire, alors je la dis. Je ne regrette rien, au moins je suis resté moi-même. Il y a aussi un moment où l’on se lasse, c’est inévitable. Et puis quand on fait un métier public, on ne peut pas plaire à tout le monde, il ne faut pas s’en formaliser.

© Collection privée



Vous avez toujours respiré la passion, ce qui se ressent dans votre manière d’animer les événements. Qu’est-ce qui a nourri cette passion?

Ce qui m’a animé pendant trente ans, c’est d’essayer d’apporter ma pierre au développement de ce qui était ma vie et que j’aime, le cheval et le sport équestre. Durant ma carrière, j’ai pris de vraies giclées d’adrénaline, c’est ce qui m’a transcendé. Je me souviens encore d’une année où John Whitaker a remporté le Grand Prix de Bercy avec Milton. Avec Xavier Mayaud, nous avons fait se lever tout Bercy alors que John venait de battre Jappeloup et Pierre Durand au barrage. Les écrans ont diffusé un gros plan de John qui s’est mis à pleurer. C’était très fort. Toutes ces émotions que l’on peut avoir dans le sport, c’est mon carburant. Vu la façon dont je travaille – en y mettant toute mon énergie, ma passion, mon cœur et mon investissement personnel –, je dois sentir que les gens viennent me chercher parce qu’ils aiment ma façon de faire et qu’ils ont confiance en moi. C’est ce qui a fait que j’ai pu travailler beaucoup plus librement. Cette passion, je voulais la partager avec le public. Parce que, sans public, il n’y a pas d’événement. Les sportifs viennent pour être vus et admirés par le public, les organisateurs créent leur manifestation pour attirer des spectateurs, et les sponsors sont là en espérant une retombée potentielle de leur investissement auprès du grand public. Donc, si l’on retire le public, l’événement n’existe plus. Tout organisateur digne de ce nom le sait, de même que tout sponsor, même s’il y a la télé. Certains athlètes devraient aussi s’en souvenir, ils lui manifesteraient quelquefois plus de respect. Par exemple, j’aime Bordeaux, parce que c’est un événement qui a toujours œuvré à mettre en valeur ce qui se passe sur le ring et vraiment privilégié les spectateurs. Ils ont été les premiers à créer un village, un mini-salon, et un paddock accessible au public pour que les gens en profitent. Je suis très admiratif du fait qu’ils aient su garder une âme, une identité: c’est toujours le sport, le cheval et les spectateurs d’abord. Je suis également admiratif de La Baule, où René Pasquier a su miser sur la gratuité. Une des choses qui pourraient me faire beaucoup de peine serait que l’on retire le CSIO de France à La Baule. Malheureusement, je pense que ça arrivera. La Baule, c’est l’histoire de notre sport, un rendez-vous populaire ou` toute la famille du cheval vient se retrouver pour quelques jours. Il s’y passe quelque chose, ce qui est dû à cette histoire, avec un public extraordinaire qui donne une âme à cet événement avec des émotions vraiment rares. Retirer l’Officiel de France à La Baule serait un crime ! René Pasquier était aussi une source d’énergie pour moi, parce que c’était un vrai... 

Comment avez-vous vécu les Jeux équestres mondiaux de Normandie, le dernier grand événement de votre carrière?

Je les ai vécus de plusieurs manières. D’abord avec une boule dans la gorge de voir comment la structure organisatrice a mis à l’écart tous les Normands, organisateurs ou gens de métier, notamment au Haras du Pin. Vu qu’on a demandé à l’équipe du Grand Complet (au sein de laquelle André-Jacques œuvre notamment aux côtés d’André, son père, président d’honneur, Yannick, sa sœur, secrétaire, et Pierre, son frère, chef de piste, ndlr) de réhabiliter le site pour accueillir les Jeux mondiaux, je trouve qu’il aurait été élégant de faire appel aux personnes compétentes qu’il y avait au sein de l’équipe, ce qui n’a pas été le cas. Ces maladresses du GIP, nous les avons vraiment en travers de la gorge. Je ne porterai absolument aucun jugement sur la mise en scène de l’événement et sur l’organisation, cela ne servirait à rien. Sportivement parlant, il y a eu de grands moments de sport et d’émotion dans toutes les disciplines. Ensuite, il y a le saut d’obstacles que j’ai animé, dans ce stade d’Ornano si particulier. Dans cette enceinte hyper bruyante, la manière dont le public vibrait était magnifique. L’impact sonore, je l’avais mesuré dès les événements tests, mais de toute ma carrière, c’est peut-être à Caen que j’ai le plus ressenti l’impact des silences. En plus, on a pu constater une très grande sportivité de la part des spectateurs, ce qui m’a réjoui, car c’est l’un de mes chevaux de bataille depuis trente ans. Le côté partisan est indispensable à l’émotion, mais j’ai toujours œuvré pour crédibiliser et magnifier le sport, quelle que soit la nationalité des acteurs. Si j’ai pu apporter cet esprit, tant mieux. C’était fabuleux ce qu’on a vécu au stade d’Ornano. Les silences, les respirations dès qu’il y avait un petit sursis, une barre touchée... Dans ce stade si prompt à s’enflammer, c’était énorme! Enfin, j’ai vécu ces Jeux d’une troisième manière, sur France 3 Normandie, où j’intervenais dans le journal du soir et dans les émissions spéciales JEM. J’ai travaillé avec une équipe vraiment géniale, qui, je pense, a été surprise de tout ce qu’on a pu raconter comme histoires autour de notre sport. Nous avons pris quinze points d’audience, ce qui n’était jamais arrivé. Cela signifie que ça a plu aux gens. C’est super !

Comment a mûri cette décision de mettre un terme à votre carrière de speaker? 

Tous les gens qui me connaissent depuis longtemps savent que j’ai toujours dit que je ne voulais pas faire ça toute ma vie: il était hors de question que je continue jusqu’à soixante ou soixante-dix ans. Il n’y a qu’un seul Michel Drucker ! La façon dont je travaille me pompe une énergie folle et représente une énorme tension nerveuse. Quand je rentre d’un événement comme La Baule, ou Liège, mon dernier concours, il me faut une semaine pour récupérer. Je ne sais pas si les gens qui nous écoutent s’en rendent compte, mais il faut être dedans tout le temps. Cela demande une concentration énorme toute la journée. Il faut essayer de dire la même chose, mais toujours d’une façon différente pour ne pas lasser, et raconter une histoire autour de ce qui est en train de se passer, expliquer la technicité, penser a` parler des sponsors, de l’élevage, des performances antérieures du cavalier, du cheval... Ces événements, comme Liège, La Baule, Bordeaux ou Béthune, j’y allais en courant, parce qu’il y avait de la fidélité, de l’amitié, et des gens qui me faisaient confiance et qui m’appelaient en cours d’année pour me soumettre une idée ou pour me demander si j’en avais une. Dans ces conditions, on a vraiment l’impression de faire partie d’une équipe et de contribuer au développement de l’événement, année après année. Depuis quelques années, on est entré dans une ère très VIP. De plus en plus, on m’a demandé de changer ma façon de faire, et on m’a de moins en moins impliqué dans l’organisation de l’événement. L’évolution du sport fait que, pour être payé correctement et gagner ma vie, je dois intervenir dans les événements de top niveau. Or, ce que sont devenus ces concours ne me ressemble pas. Les VIP Horse Shows m’énervent: je n’ai pas été élevé comme ça, ce n’est pas mon trip. Je trouve que nous sommes arrivés aux limites de la décence. J’aime Bordeaux, parce que les VIP, on ne les voit pas. Je n’aime pas ces shows de m’as-tu-vu où tout est centré sur les people. Le Paris Masters ou le Global Champions Tour ne fonctionnent que là-dessus, sur les images princières, sur Guillaume Canet, Bruce Springsteen... Quand Pénélope avait gagné le Grand Prix à Villepinte (en 2011 avec Mylord Carthago*HN, ndlr), quarante des cinquante photographes présents à la remise des prix lui ont tourné le dos pour prendre les people. Ça, je ne supporte plus. J’ai décidé d’arrêter en début d’année, même si des proches et très proches ont essayé de m’en dissuader. En avril, ma décision définitive était prise. À La Baule, quand j’ai dit au revoir le dimanche soir sur la piste, j’ai eu la gorge serrée avec une belle montée d’émotion en pensant que c’était la dernière fois. Je pense avoir fait le tour et ne plus avoir grand-chose à apporter compte tenu de l’évolution actuelle. La machine à inspiration commence peut-être aussi à fatiguer. J’ai toujours appris qu’il ne fallait pas sauter le parcours de trop.

À quarante-huit ans, vous tournez une longue page de votre vie. De quoi sera faite la prochaine?

Maintenant, il va me falloir trouver de quoi gagner ma vie et réussir à manger, parce que je ne suis pas un homme d’argent du tout, et je n’ai rien mis de côté! Peut-être parce que je suis un “survivor” et que j’ai un peu brûlé la vie chaque jour comme si c’était le dernier? J’aimerais vraiment replonger dans la radio et refaire de l’antenne, peut-être de la télé aussi, mais je préfère la radio, parce qu’on n’a pas ce risque de débordement de l’égo. Je pourrais également être utile à des organisations, parce que j’aime l’événementiel et que j’ai une certaine expérience et une connaissance de toutes les facettes de notre sport. J’ai des projets, mais je ne peux pas trop en parler, car rien n’est finalisé.

Cet article d'archive est paru dans le magazine GRANDPRIX International n°85 en 2014.