DANS LE RÉTRO: Edwina Tops-Alexander, itinéraire d’une femme de tête

En février 2009, Edwina Tops-Alexander s’était confiée à GRANDPRIX comme rarement elle ne l’a fait. À cette époque, l’épouse du magnat Jan Tops venait d’intégrer le top dix du classement mondial des cavaliers. Dans cet entretien exclusif, elle revient sur ses débuts dans le monde du saut d’obstacles, mais aussi sur les premiers grands chevaux qui l’ont marquée ainsi que sur sa relation avec l’ancien champion néerlandais.



© scoopdyga

Racontez-nous vos débuts. 

J’avais un peu moins de huit ans lorsque j’ai commencé à monter. En fait, j’ai toujours adoré les animaux en général. Tout ce que je pouvais faire avec eux, je le faisais, c’était plus fort que moi. Je me suis vite découvert une passion particulière pour les chevaux. 

Aucun poney alors…? 

Si bien sûr. En fait, mes voisins de l’époque m’ont confié un poney. Après avoir pris quelques le­çons, j’ai convaincu mes parents de m’inscrire au poney-club d’Avondale près de chez moi. Petit à petit, on m’a proposé deux autres poneys, dont un qui s’est révélé très mauvais et l’autre très bon. Arrivée à quatorze ans, j’avais presque tout gagné avec lui! 

Puis vous êtes passée à cheval? 

Oui, effectivement. Je goûtais à tou­tes les disciplines : dressage, concours complet, saut d’obstacles. Je ne sautais à l’époque pas plus de 1,10m 1,20m. Mais finalement, je me suis vite aperçue que le saut d’obstacles était ce que je préférais. Je m’ennuyais en dressage et le complet ne m’intéressait pas vraiment. Je souhaitais choisir un sport et le pratiquer à fond: ce fut le saut d’obstacles. 

Pourquoi? 

Parce que je trouve cette discipline motivante, stimulante, équitable, plus que les autres, tout du moins à cette époque. 

Puis vous avez failli vous éloigner… 

Entre quatorze et dix-neuf ans, j’ai reçu de mauvais conseils. Mes parents m’avaient acheté un cheval qui ne convenait pas. Vers dix-sept ans, je voulais tout arrêter et mon entraîneur pensait que nous perdions notre temps. Ma famille était très déçue. J’ai enchaîné les mauvaises expériences, notamment à dix-huit ans avec un autre cheval toujours aussi mauvais. Je me souviens que c’était un cauchemar. Un jour, devant 10.000 personnes dont les yeux étaient braqués sur moi, je me suis lancée sur le parcours. Mon cheval s’est arrêté à chaque obstacle, c’était horrible… Je voulais vraiment tout lâcher. 

Comment avez-vous rebondi? 

Encore une fois, mes parents m’ont beaucoup aidé. Ils ont trouvé un jeune cheval qui avait été couronné champion des cinq ans. J’ai littéralement tout gagné avec lui! Jusqu’en épreuves Coupe du monde, même si les hauteurs n’avaient rien à voir avec celles du circuit européen, entre 1,45m et 1,50m. 

Contrairement à beaucoup de jeunes passionnés, vous avez suivi des études. 

Oui, j’ai passé mon brevet d’éducation physique au Collège Australien d’éducation physique de Nouvelle Galles du Sud, avant de devenir professeur de fitness. J’ai enseigné pendant trois ans comme entraîneur privé tout en continuant à monter régulièrement. Puis un jour, je me suis posé LA question : devais-je poursuivre ma paisible vie de professeur de sport ou devais-je me lancer dans le saut d’obstacles? Finalement, j’ai sauté le pas. C’était en 1998. Je suis donc partie en Europe. 

Vous partiez pour longtemps? 

Au départ, non. Je partais juste pour six mois en Belgique, chez Ludo Philippaerts, avec mon cheval Mr Dundee. Je voulais savoir si je pouvais envisager faire carrière dans ce sport. Vivre en Europe me semblait indispensable. J’y suis finalement restée trois ans avant de créer ma propre entreprise. Je suis restée à mon compte un an et demi, pendant lequel j’ai représenté mon pays aux Jeux équestres mondiaux de Jerez de la Frontera (où elle finit à la quarante-huitième place en individuel avec Quelle Dame van de Heffinck, ndlr). 

Quand avez-vous rencontré Jan Tops pour la première fois? 

C’était justement en 2002 à Jerez. J’avais quatre chevaux à l’époque, que j’ai progressivement vendus. Je ne montais pas beaucoup et pendant trois ans, à ses côtés, j’ai surtout pratiqué le commerce. Jusqu’au jour où je me suis installée chez lui, courant 2005. 

Revenons vers l’instant où votre vie a basculé, avant de quitter l’Australie. Qu’est-ce qui vous a poussé à embrasser la carrière de cavalière professionnelle? 

Lorsque je vivais en Australie, je pensais que je ne valais pas grand-chose à cheval. En tout cas, c’est l’impression que me laissaient mes expériences malheureuses à cheval. Mais je savais que j’avais du feeling avec les chevaux. D’ailleurs, je crois que beaucoup de gens en ont mais cela ne suffit pas, il faut ensuite réussir à former un couple. En fait, quitter l’Australie et tenter ma chance en Europe fut une façon de me prouver que j’en étais capable. 

Vous croyez en vous désormais? 

Avant les JEM 2002, je n’osais imaginer être capable de le faire. Même aujourd’hui, je me demande comment j’ai pu me lancer. J’ai tout de suite essayé de ne pas me mettre de pression car il est toujours très difficile de se projeter dans l’avenir et finalement d’être déçue. Je reste réaliste sur mes chances de gagner. 

Pourtant, aux JEM 2006, vous couriez pour l’or individuel…

Je m’étais fixée l’objectif de terminer parmi les vingt-cinq premiers. Ma quatrième place valait bien de l’or pour moi! C’était incroyable! 

Vous avez quitté votre terre natale en 1998. Comment sont vos relations avec la fédération australienne et l’équipe de saut d’obstacles?

Ma réussite, même si je l’ai bâtie en Europe, apporte beaucoup de motivation aux cavaliers australiens. J’entretiens de bonnes relations avec eux car ils ont su rester très ouverts et respectent mon travail. Évidemment, on se retrouve rarement ensemble sur une compétition. J’ai dû courir dans ma vie, en équipe nationale, quatre Coupes des nations, deux championnats du monde et une fois les Jeux olympiques… Nous avons peu d’occasions de nous réunir, alors j’établis mon programme seule, sans en discuter avec le chef d’équipe. Et cela fonctionne très bien ainsi. 



“ltot illustre bien ce que je recherche chez un cheval: un moral d’acier, énormément de sang, et il a une grande capacité d’adaptation.”


Avec qui travaillez-vous en tant qu’entraîneur? 

Exclusivement Jan, même si parfois je prends conseil auprès de cavaliers de dressage. Il prend la majorité des décisions et finalement, si l’on regarde bien sa carrière, il a fait ses preuves au travers de tous les cavaliers avec qui il a travaillé : de Rolf-Göran Bengtsson à Daniel Deusser, il les a tous amenés vers le haut niveau. 

On vous sent pleine d’admiration... 

Oui, je lui dois énormément. C’est un programme de tous les jours qui construit le succès. Il a un excellent mental et m’aide à me surpasser. C’est un vrai privilège de vivre à ses côtés... Je ressens beaucoup de respect pour lui, je crois en lui et tout ce qu’il dit. J’apprécie son système. Il est notamment très fort pour expliquer comment “ressentir” un cheval. Prenons l’exemple d’ltot (Isovlas ltot du Château). Je ne l’avais jamais essayé avant de l’acheter, et lui non plus. Mais il savait que je pourrais le monter. Il détient un sens unique et inné des chevaux, doublé des qualités d’un businessman, ce qui est un mélange rare. Il m’a énormément apporté, mais il a également révolutionné le sport. Je me suis très vite adaptée à son style et suis désormais à 100% derrière lui, impliquée à tous les niveaux. 



ScoopDyga

 

 


Grâce à votre quatrième place au classement mondial, vous êtes la deuxième meilleure femme cavalière au monde derrière Meredith Michaels-Beerbaum… 

Je crois qu’il est plus facile pour les femmes de monter à haut niveau. Pour ma part, je suis très déterminée et je mets tout en œuvre depuis le début de ma carrière pour parvenir au meilleur résultat. Nous sommes toutes un peu comme ça. Meredith a par ailleurs joué un rôle important. Elle évolue parmi les meilleurs depuis longtemps et sa réussite a changé beaucoup de choses pour les femmes dans ce milieu. En fait, j’ai l’impres­sion, avec l’expérience, que les chevaux préfèrent la monte féminine, moins en force, plus en “toucher”. Nous leur apportons moins de contraintes, en tout cas c’est mon sentiment. 

Depuis 2005, vous avez eu la chance de monter des chevaux extraordinaires : Pialotta lors des jeux équestres mondiaux de 2006, puis Socrates van de Padenborre. Aujourd’hui, vous formez un couple magique avec Isovlas Itot du Château qui n’a jamais été aussi performant. Qu’est-ce qui a changé entre la monte de son précédent cavalier et la vôtre? 

Itot était déjà très bon avec Michel Hécart. Après, tout dépend des programmes que l’on adopte. J’ai accumulé beaucoup d’expérience grâce à Pialotta et Isovlas Socrates, et cela m’a permis de former rapidement un vrai couple avec ltot. Nous l’avons acheté car nous savions qu’il serait le partenaire idéal, qu’il en était capable. Il a un peu changé depuis que nous l’avons, il est plus musclé par exemple. 

Lorsque vous voyez les résultats qu’obtient Pénélope Leprevost avec Jubilée d’Ouilly, ne regrettez-vous pas de ne pas l’avoir gardée?

Non, pas du tout. Elle vivait depuis trop longtemps avec son précédent cavalier. Il lui avait inculqué sa propre façon de travailler, de sauter. Il paraissait difficile de changer ses habitudes et de revoir son dressage. Ses propriétaires voulaient absolument l’envoyer aux Jeux olympiques. Finalement, nous n’avons pas trouvé de terrain d’entente avec eux et l’avons rendue. Pénélope la monte à merveille et le couple obtient de fantastiques résultats. Mais Jubilée reste une jument pleine d’incertitudes et assez irrégulière ... 

Quels critères guident vos choix de montures? 

Il me faut du sang et un très bon mental. ltot illustre bien ce que je recherche chez un cheval: un moral d’acier, énormément de sang, et il a une grande capacité d’adaptation. Socrates reste le plus intelligent de mon piquet de chevaux, bien qu’il doive être monté avec plus de jambes. Nous l’avons économisé jusqu’à présent, mais c’est un vrai cheval de championnat. Quant à Pialotta, elle était vraiment extraordinaire. En fait, lorsque je prospecte pour dénicher un nouveau cheval, je cherche d’abord le sang, sa disponibilité, un bon galop avec de l’amplitude que l’on puisse facilement augmenter et réduire. Il faut aussi qu’il soit attentif, instinctif, brave et courageux, avec si possible une bonne bouche. 

Et la légende des chevaux français avec une mauvaise bouche…? 

Je n’y crois pas un instant. Pour moi, il s’agit d’une question de dressage et d’entraînement. Et cela est valable pour tous les élevages, français ou autres. En France, le système de dressage est différent. Parfois il donne de bons résultats, et d’autres fois non. 

Vous dites ne pas avoir essayé Itot avant de l’acheter. Adoptez-vous la même méthode avec tous vos chevaux? 

Non, bien sûr. J’essaie au maximum les futurs chevaux de l’écurie, et ce de la manière la plus simple possible. Évaluer un cheval ne me prend pas beaucoup de temps, l’expérience a aussi cet avantage. S’il est trop lourd, pas assez réactif, en résumé le contraire de ce que j’attends, la déci­sion est vite prise… 

À la suite du CSI-W de Londres, vous comptez dans votre palmarès 2008 plus de quatre-vingts épreuves courues, avec cinquante-six classe­ments parmi les huit premiers et dix-neuf podiums à travers le monde. Trouvez-vous le temps de vous évader autrement que par la compétition? 

Très peu à vrai dire. J’avais gardé l’habitude de pratiquer le fitness mais je n’en ai plus trop le temps. Gérer ma carrière, satisfaire les médias, participer aux épreuves sur tous les continents… tout cela m’occupe à 100%. Avec Jan, nous essayons de nous rendre le plus souvent possible à Monaco pour nous reposer. Mais nous voyageons la majeure partie de l’année. En revanche, j’aime cuisiner! 

Cet article d'archive est paru dans le magazine GRANDPRIX International n°50 en 2009.

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