René López, de Bogota à la Lorraine

Il porte les couleurs de sa Colombie natale sur les plus grands concours d’Europe. Aucun speaker n’oserait pourtant le présenter autrement que comme le “cavalier lorrain”. Envers et contre tous, René López, cinquante-six ans, dont quarante passés dans l’Hexagone, a fait le choix de la France. Une décision qui n’est pas allée sans encombre.



Trois mois... quatre ans !

Avec Noblesse des Tess, dans le Grand Prix de La Baule en 2011.

Avec Noblesse des Tess, dans le Grand Prix de La Baule en 2011.

© Scoopdyga

Le souvenir est imprécis. De ceux qui ont arrêté d’ajouter les ans. Depuis combien de temps est-il installé en France? «Depuis quelques années déjà», sourit René López. Quand on aime, on ne compte plus... Demandez-lui de se rappeler plus précisément sa première arrivée sur le sol français. De son accent sud-américain, le cavalier hésitera, vous laissera calculer pour lui. Il venait d’avoir dix-sept ans. Celui qui deviendra le meilleur cavalier colombien au classement mondial est arrivé en Normandie en 1983. «Déjà...»

Issu d’une famille modeste de cinq enfants, René López Lizarazo commence l’équitation avec son père, qui a notamment fait débuter le frère de René, Carlos, cavalier de San Patrignano à l’époque de Vincenzo Muccioli et aujourd’hui associé au haras des Grillons de Sadri Fegaier, mais aussi Juan-Carlos García, qui concourt sous les couleurs de l’Italie. «C’est mon frère le premier qui a pris le chemin de l’Europe», se souvient René. «De la France précisément. Mais il aimait bouger donc ne s’est pas installé.» Jeune homme de seize ans, René Lopez rencontre en Colombie le Français Jean-Pierre Vilault, de l’élevage de la Vallée, établi à Notre-Dame-d’Estrées. «Il était venu à Bogota avec des chevaux qu’il avait vendus. Je lui ai demandé si prendre quelqu’un en France pour l’assister pendant deux-trois mois pouvait l’intéresser.» Une excellente occasion pour le jeune Colombien d’enrichir son expérience dans le pays et l’élevage dont tout le monde parlait à l’époque en Amérique du Sud: la France et le Selle Français. «À dix-sept ans, je me suis donc lancé et je suis parti. Au départ, je ne montais pas beaucoup. J’ai plutôt commencé en tant que groom.» Pourtant, René López avait déjà un brillant CV de l’autre côté de l’Atlantique, ayant été sacré champion de Colombie Cadets puis Juniors. «J’avais également déjà participé aux Jeux centraméricains et sudaméricains, que j’avais remportés.»

Le temps passe chez Jean-Pierre Vilault. Un an, deux ans, trois ans, quatre ans! «Je montais à la maison et il me laissait monter un cheval ou deux de temps en temps en concours. Puis un jour, Jean-Pierre est tombé et m’a demandé de monter ses chevaux un week- end. Le premier week-end, en Troisième Catégorie, j’ai gagné quasiment toutes les épreuves. Le deuxième week-end, en Deuxième Catégorie, j’ai à nouveau gagné quasiment toutes les épreuves. Et le troisième week-end, en Première Catégorie, j’ai aussi eu du succès! Depuis, je n’ai jamais quitté ce niveau. Ces années chez Jean-Pierre ont été formidables. Par exemple, c’est moi qui ai fait débuter Palestro II, jusqu’à ses six ans!» René López monte également chez Annick et André Chenu, «en parallèle, un peu, pour donner un petit coup de main. André voulait d’ailleurs que j’aille chez eux, mais je n’ai pas voulu, par fidélité à Jean-Pierre.»

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Dans sa “vieille ferme lorraine” depuis quatorze ans

Puis vient le moment de partir. À ce moment-là, le Colombien a envie de voir autre chose, de changer. «C’est mon cœur qui m’a attiré vers la Lorraine», se plaît-il à raconter. Comprenez: une femme... Pendant trois ans, René López travaille dans une écurie lorraine. Il monte un grand nombre de jeunes chevaux, «d’une qualité assez moyenne», reconnaît-il aujourd’hui. Son ambition le pousse à aller toujours plus loin. «Je me suis alors associé à Etienne Cournault, de l’élevage du Bédon, près de Nancy. J’évoluais tous les week-ends en concours nationaux. Je me battais beaucoup pour participer à des CSI, mais ce n’était pas simple. J’étais un peu connu à cette époque, mais les organisateurs commençaient déjà à demander de l’argent aux cavaliers. Le classement mondial avait bien moins d’importance. Le réseau était primordial: le copain d’untel ou untel avait plus de chance que moi.» Les deux hommes se séparent, en très bons termes. «Etienne reste un très bon ami, nous sommes toujours en contact, j’ai encore des chevaux à lui. Sa femme, Véronique, me donne encore un coup de main énorme, en s’occupant de tout l’administratif de ma structure», déclare René en 2011.

Sa structure, le Colombien l’installe à Saint-Pierremont, dans les Vosges, entre Nancy et Épina, voilà quatorze ans. Non sans difficultés... Pour acheter sa vieille ferme lorraine et ses six hectares, il frappe à la porte de nombreuses banques, qui refusent toutes de lui accorder le prêt dont il a besoin. La structure compte une trentaine de boxes, un manège couvert et une carrière en Toubin & Clément. «En quatorze ans, j’ai vu passer de très bons chevaux, comme Ornella (Holst, Quidam de Revel), partie chez Athina Onassis et Doda de Miranda. J’ai monté Rufus, que j’ai vendu à Rodrigo Pessoa (le couple a notamment participé aux Jeux olympiques de 2008 à Hong Kong, ndlr). Dernièrement, il y a eu Noblesse des Tess (qui a été médaillée de bronze par équipes et quatrième en individuel des Jeux olympiques de Londres avec le Saoudien Kamal Abdullah Bahamdan, ndlr). J’ai monté Quaprice Bois Margot, que j’ai lancé, puis revendu à Jan Tops. J’ai aussi fait la rencontre de Bertrand Darier, un Suisse qui m’a acheté deux chevaux, dont Ornella, que j’ai pu garder. Notre histoire venait de commencer! Nous avons toujours quelques chevaux et faisons un peu de commerce ensemble.» De tous ces chevaux, René López se souvient particulièrement de Gadget du Banney, avec lequel il participera à ses premiers championnats du monde en 2002 à Jerez de la Frontera. Puis d’Isky, qui l’a mené jusqu’à ceux d’Aix-la-Chapelle, en 2006. «Des chevaux comme Ornella ou Rufus m’ont également ouvert les portes de grands concours comme le CSI 5*-W de Lyon, le CSI 5* du Salon du cheval de Paris, l’ancien CSI 4* de Caen et un peu à l’étranger.»



En concertation avec son propriétaire, René López vend régulièrement ses bons chevaux. «J’ai eu la chance de toujours trouver un cheval qui pouvait assurer la relève, sans avoir à repasser par l’étape des concours régionaux ou des petits nationaux.» Après Noblesse des Tess, vendue à Jan Tops pour Edwina Tops-Alexander, puis revendue à l’Arabie saoudite dans la foulée, le Colombien a poursuivi sa route avec Con Dios III, cinquième par équipes des Jeux panaméricains de Toronto en 2015 et avec lequel il a disputé ses premiers Jeux olympiques en 2016 à Rio de Janeiro, puis avec Twig du Veillon, qu’il a notamment montée aux Jeux équestres mondiaux de Tryon en 2018.

«Le peu que j’ai aujourd’hui, c’est la France qui me l’a apporté», confesse celui qui a parfois connu quelques problèmes avec sa fédération nationale. Au cœur de la discorde, l’absence de René López et Noblesse des Tess aux Jeux panaméricains, alors que le couple avait de sérieuses chances d’être médaillé. «La Fédération colombienne avait décidé de me mettre une amende et m’a menacé d’une suspension de trois à cinq ans valant pour les championnats mais aussi pour l’ensemble des concours internationaux. La vente de Rufus était déjà liée à une autre brouille avec la Fédération. La présidente de l’époque n’avait jamais voulu m’envoyer aux Jeux panaméricains. Je me suis battu, j’ai envoyé des lettres, et on m’a répondu que si je payais tout, le déplacement, le logement, etc., on m’enverrait en cinquième homme. Je leur ai répondu que s’ils ne m’envoyaient pas, je vendrais le cheval. Le lendemain, j’ai appelé Rodrigo et lui ai vendu Rufus.» Depuis, les choses se sont apaisées entre le cavaliers et les instances sportives de son pays. 

Si René Lopez reste attaché à son pays, où vit toujours sa famille, il ne rejette pas en bloc l’idée de demander un jour la nationalité française. Pour autant, il est toujours resté le plus lorrain des cavaliers colombiens, non l’inverse.

Cet article est paru dans le magazine GRANDPRIX International N°67 en novembre 2011.