Christian Hirlay, l’artiste de fer du Berry

Depuis plus de trente ans, Christian Hirlay bâtit son œuvre avec passion et humilité. Amoureux des chevaux depuis sa tendre enfance, ce sculpteur d’acier, originaire et fier habitant du Berry, crée des animaux expressifs. Rencontre avec un artiste qui croit dur comme fer en la force de sa matière.



C’est au cœur du Berry, à Valençay, charmante petite bourgade de l’Indre magnifiée par son château datant de la Renaissance, que naît Christian Hirlay en 1966. Issu d’une région historiquement céréalière, les racines du petit garçon sont agricoles. “Ma famille est très liée à l’agriculture depuis plusieurs générations, et a toujours été dans le monde rural. Je pense d’ailleurs que mon lien avec le cheval vient de là; j’en ai souvent entendu parler par mes parents et mes grands-parents. J’ai été bercé par l’histoire du cheval de travail. Pour autant, cela était resté au stade de récits et d’histoires car je n’en voyais pas vraiment en vrai.” Au début des années 1970, l’agriculture opère sa transition vers la modernisation et l’automatisation se développe a` grands pas. Le cheval de trait est ainsi remis aux écuries. “Je me souviens encore de tout le matériel que nous avions quasiment laissé à l’abandon, entre le harnachement dans les écuries et la charrette qui pourrissait dehors, sous un arbre”, raconte Christian Hirlay, dépeignant une ambiance digne des romans de Christian Signol. Au fil du temps, ce petit garçon écoute et observe les différents travailleurs de la terre, dont les métiers semblent peu à peu disparaitre, ou se transformer. “J’ai beaucoup rencontré et échangé avec des maréchaux et des bourreliers, qui exerçaient de très beaux métiers, presque magiques”, dit-il. “Ces rencontres et cette époque ont été le fondement de mon grand attrait pour le cheval.” Avant même de se hisser sur le dos de son premier poney, c’est par le travail de l’homme et son authenticité qu’il est attiré. “Je n’ai donc eu de cesse de me rapprocher des chevaux.”

Un jour, alors que le petit Christian Hirlay n’est âgé que de dix ans, un commerçant du village lui propose de lui confier le poney de sa fille. Le jeune garçon saisit alors l’opportunité de s’approcher enfin des équidés, et le poney finit dans le jardin de la maison familiale. “Il était à peine débourré et nous avons tout appris ensemble”, se souvient-il, amusé. “J’avais quand même un œil sur les livres d’équitation pour m’aider à apprendre. Je faisais des balades dans la campagne, tout seul, et je l’ai également essayé à l’attelage.” À l’âge de quatorze ans, après quelques années en autodidacte, Christian Hirlay suit un enseignement équestre plus classique. “Au centre équestre, j’ai appris de manière plus structurée avant de passer les diplômes de l’époque: les Étriers, les Éperons...”, raconte-t-il.  À cette époque déjà, le jeune garçon mêle deux passions: l’équitation et l’art. “J’ai toujours dessiné”, explique-t-il. “À l’école, j’étais l’un des meilleurs en dessin et j’aimais beaucoup le cuir et la sellerie, qui était une passion peu commune. Je récupérais du cuir dans une maroquinerie et je fabriquais des selles miniatures ou des petits filets.” Une fois le collège terminé, le Berrichon songe même à en faire son métier. “On m’en a dissuadé”, avoue-t-il, “car à l’époque, ce secteur semblait être bouché.” Il s’oriente finalement vers un baccalauréat agricole, toujours dans l’idée de se rapprocher des chevaux. Devenu jeune homme, Christian Hirlay effectue son service militaire au CSEM de Fontainebleau, au sein d’une promotion où il croise et côtoie quelques personnalités de l’équitation. “Il y avait Franck Schillewaert et Max Thirouin dans le même contingent!”, se souvient-il. Outre ces deux cavaliers de saut d’obstacles, Christian Hirlay croise aussi la route du capitaine Faure, qui le dirige puis prendra la tête du Cadre noir de Saumur quelques années plus tard comme Écuyers en chef. “Je me souviens bien d’un jour où nous montions au manège de Senarmont, et le capitaine m’a adressé un compliment sur la tenue de mes rênes et la souplesse de mes poignets!”, sourit-il. Une qualité que l’on imagine d’ailleurs aussi bien utile lorsqu’il s’agit de manier un cheval que de travailler l’acier. 



Direction les Beaux-Arts

Ses obligations militaires achevées, et s’étant déjà éloigné du secteur agricole, Christian Hirlay opère un virage à 180 degrés et s’engage pendant cinq ans à l’école des Beaux-Arts, à Orléans. “Je n’avais peut-être pas encore assez confiance en moi pour le faire avant”, confie-t-il, se remémorant encore l’accueil franc et glacial réservé aux étudiants. “Les professeurs étaient tout sauf tendres, et nous ont tout de suite dit: “Sachez qu’il n’y a aucun grand artiste parmi vous, car à votre âge, on le saurait déjà.” Cela plantait un peu le décor... Jusqu’à présent, je n’avais jamais suivi de véritables leçons d’arts plastiques. Celles que nous avions au collège étaient d’ailleurs assez ennuyeuses et ne permettaient pas une vraie liberté d’expression aux élèves, en général. En tout cas, pour travailler dans le milieu artistique, les Beaux-Arts donnent une certaine légitimité, même s’il ne s’agit toujours que d’une première marche.” Par ailleurs, sa famille accueille bien ce changement d’orientation professionnelle. “Ma mère dessinait un petit peu, mais que je sache, il n’y avait pas d’artistes dans la famille”, assure l’intéressé. “Elle m’a toujours encouragé, et je dois reconnaître que j’ai eu cette chance.” 

À la fin des années 1980, la communication, le graphisme et le marketing sont en plein développement, et nombreux sont ses camarades qui s’engagent dans cette voie. “J’ai aussitôt décidé de me mettre à mon compte”, relate-t-il. “J’ai toujours voulu être indépendant. Je n’ai jamais donné de cours car je me suis toujours dit que ma façon de gagner ma vie était d’être artiste. Quand on mène une autre activité par sécurité, on peut vite s’éloigner de son art.” Le jeune homme commence son œuvre par des illustrations. “Je dessinais pas mal de dessins humoristiques, et j’allais aussi chercher du côté du monde rural, ce qui m’a amené à travailler un peu pour les Haras nationaux.” Après quelques années, il se met à la sculpture, qui deviendra sa spécialité et fera sa renommée, et débute avec le fil de fer comme matériau. “En 1996, j’ai d’ailleurs reçu un prix à Arts Cheval pour une pièce qui a ensuite été achetée par la maison Hermès.” D’abord séduit par la liberté du fil de fer, Christian Hirlay finit par s’en lasser. “C’est assez fragile et on ne peut, par exemple, pas le laisser dehors.” L’artiste cherche alors une nouvelle technique, plus puissante et plus résistante, tout en poursuivant son travail du métal. “C’est une matière qui offre une très grande liberté si on a les bons outils”, explique-t-il. “On peut faire ce que l’on veut: découper, coller, décoller, recoller... On peut revenir a` tout moment sur n’importe quelle partie d’une œuvre, ce qui n’est pas le cas avec du bois, par exemple. Le métal n’a pas non plus ce côté trop noble et n’est pas sacralisé; il épouse simplement et justement nos œuvres.” Aujourd’hui, le sculpteur, qui s’est formé et travaille encore seul, utilise du corten, un acier de deux millimètres d’épaisseur. “Après avoir passé un CAP de chaudronnier, on peut être bridé par ce que l’on a appris. Cela peut certes permettre de gagner du temps, mais peut aussi réduire votre champ de créativité.” S’il se consacre désormais quasi exclusivement à la sculpture, le dessin n’est jamais bien loin. “S’il s’agit d’une grande pièce, je commence par dessiner sur une feuille A4, où le mouvement est arrêté. Ensuite, il faut imaginer le volume, et c’est toute la difficulté de la 3D, d’autant que je travaille beaucoup par rapport au vivant et au geste. En même temps, le travail graphique me plaît beaucoup et permet de ne pas tomber dans l’écueil du peintre cavalier qui «dessine» des chevaux. Je cherche à aller vers quelque chose de plus fluide, comme en équitation.”



L’adoption de l’acier corten comme outil de travail

Si certains sculpteurs équestres choisissent de travailler à partir de pièces récupérées avant de les travailler et les assembler pour leur donner une nouvelle vie et une seconde histoire, Christian Hirlay s’inscrit dans le contre-pied. “J’aime bien avoir un matériau standard et industriel. C’est à moi de lui donner une histoire. Cela ne m’intéresse pas qu’on reconnaisse un vieil outil. Je découpe d’abord des morceaux un peu organiques, et qui ne sont pas du tout géométriques, que je viens ensuite marteler pour atténuer l’aspect lisse.” La légèreté de l’acier corten lui permet d’ailleurs de produire des pièces monumentales, mais dont le déplacement et la manutention restent faciles. “En général, mes œuvres ne sont pas extrêmement lourdes. Par exemple, une représentation d’un poulain grandeur nature pèse environ soixante-dix kilogrammes.” Interrogé sur le temps moyen nécessaire à la réalisation d’une œuvre, l’artiste balaye vite la question. “Je me complais à ignorer cet aspect. La création nécessite parfois du temps et il y a souvent une partie laborieuse alors que l’on aurait envie d’avancer plus vite, mais je ne calcule jamais le temps, d’autant que je travaille parfois sur plusieurs pièces en même temps. C’est peut-être ce qui distingue le travail artisanal de l’artistique: les notions d’utilité et de temporalité ne sont pas les mêmes.” Une fois terminées, les sculptures de Christian Hirlay sont habillées d’éléments afin de leur apporter de la naturalité. “Il m’arrive par exemple d’utiliser de la rouille de surface qui protège le métal. Avec ce produit, on obtient une belle couleur orangée quand il y a du soleil, et cela peut changer en fonction de la météo.” 

Inépuisable passionné, Christian Hirlay trouve de l’inspiration partout où il passe. Si son regard sur le monde n’y est sûrement pas étranger, il se nourrit de ce qui l’entoure comme du travail d’autres artistes. “Beaucoup de gens m’inspirent”, confie-t-il. “Les démarches et les parcours des autres m’intéressent. Tout travail est bon à regarder et à étudier, et il faut le faire plusieurs fois car l’art change parfois au cours d’une vie. Je trouve aussi l’art abstrait captivant dès lors que l’abstraction n’est pas le fruit d’une lacune en dessin. D’ailleurs, si vous regardez mon travail en détail, c’est finalement assez abstrait et construit avec de petits morceaux et des vides remplis par l’imagination du spectateur.” S’épanouissant encore dans son Berry natal, Christian Hirlay prend encore le temps de “fer” et de construire son œuvre. 

Cet article est paru dans le magazine GRANDPRIX n°118 de juillet 2020